Les relations politiques entre la France et l’Allemagne furent marquées pendant de longues périodes par des malentendus réciproques et des conflits violents. Entre 1870 et 1945, trois guerres avaient opposé ces deux grands pays au cœur de l’Europe, tous les deux se voulant les héritiers d’une tradition nationale prestigieuse, qui remonterait jusqu’aux périodes les plus anciennes de l’histoire européenne, notamment aux temps de l’Empire carolingien. L’expérience de ces affrontements militaires avait laissé des traces considérables dans la conscience collective des deux peuples.
Quoi qu’il en soit, en 1945 les deux «ennemis héréditaires» avaient enfin perdu le goût de la guerre. Au début des années 1950, on assistait à une renaissance de l’idée européenne dans les deux pays (née dans les années 1920), incarnée par des hommes politiques d’inspiration chrétienne comme Robert Schuman et Konrad Adenauer. Il était évident qu’un vrai processus d’unité européenne n’était possible que sous la condition que la France et l’Allemagne soient prêtes à tourner la page et à oublier leurs vieux griefs.
Telle était la situation quand, en 1958, la IVe République disparut pour céder la place au Général de Gaulle, héros de la France libre et de la lutte contre les Allemands entre 1940 et 1945. Dans les années précédentes, celui-ci avait combattu la CED et tout réarmement de l’Allemagne aussi bien que le projet de marché commun tel qu’il avait été entamé par les traités de Rome de 1957, considérant le principe de la supranationalité comme limitant l’indépendance nationale et par cela contraire aux intérêts et à la «grandeur» de la France. Comme la nouvelle constitution attribua au Président de la République un rôle majeur dans la politique extérieure de son pays, l’avenir des relations franco-allemandes dépendait largement de l’attitude que celui-ci allait adopter sur ce sujet.
Il convient donc de regarder, dans un premier temps, l’image de l’Allemagne chez de Gaulle, pour examiner ensuite les motifs du rapprochement avec la R.F.A. qu’il entreprit après son arrivée au pouvoir et qui trouva son apogée dans le traité de 1963. Ceci permettra, dans une deuxième partie, d’évaluer la coopération entre les deux pays dans les domaines définis par ce traité et de démontrer les raisons de l’échec de l’union franco-allemande telle que de Gaulle l’avait conçue.
Plan
Introduction
I.) Les « grandes choses » qu’on pourrait faire 5
I.1) De Gaulle et l’Allemagne
I.2) Du « miracle de Colombey » à l’idée d’une « union » franco-allemande
I.3) Le traité de
II.) Les chagrins du quotidien
II.1) « Oncle Sam » et l’OTAN
II.2) La politique à l’Est
II.3) Les troubles européens
Conclusion
Tableau chronologique
Bibliographie:
I.) Sources
II.) Littérature
« Nous avons ressemblé à ces deux hommes partis dans l’ardeur des déserts et le froid des glaces pour chercher un trésor. Ils traversèrent beaucoup d’épreuves et ne trouvèrent finalement pas le trésor, mais ils trouvèrent quelque chose d’encore plus précieux: ils trouvèrent l’amitié.»
Charles de Gaulle
Introduction
Les relations politiques entre la France et l’Allemagne furent marquées pendant de longues périodes par des malentendus réciproques et des conflits violents. Entre 1870 et 1945, trois guerres avaient opposé ces deux grands pays au cœur de l’Europe, tous les deux se voulant les héritiers d’une tradition nationale prestigieuse, qui remonterait jusqu’aux périodes les plus anciennes de l’histoire européenne, notamment aux temps de l’Empire carolingien. L’expérience de ces affrontements militaires avait laissé des traces considérables dans la conscience collective des deux peuples. Du côté gauche du Rhin, on regardait d’un œil toujours inquiet l’Allemagne, la grande voisine vigoureuse dans l’est, toujours prête à envahir la petite France paisible, le «pays du blé et du vin». En Allemagne, par contre, on gardait une méfiance toujours vigilante à l’égard de la «grande nation» dans l’ouest, considérée comme ennemie déclarée de l’unité allemande, à cause de ses aspirations hégémoniques sur le continent.[1]
Quoi qu’il en soit, en 1945 les deux «ennemis héréditaires» avaient enfin perdu le goût de la guerre. Mais tandis que l’Allemagne se retrouvait complètement en ruines et sous occupation militaire après la défaite dans la guerre meurtrière qu’elle avait déclenchée, la France, bien qu’affaiblie moralement par l’expérience de l’Occupation et devant, elle aussi, faire face aux destructions de la guerre, figurait, surtout grâce à l’action du Général de Gaulle, parmi les puissances victorieuses, ayant obtenu une zone d’occupation dans le sud-ouest de l’Allemagne et à Berlin.[2] Le développement international, avec le début de la guerre froide, força finalement le gouvernement français à donner son accord à la création d’un Etat ouest-allemand, la République fédérale d’Allemagne (R.F.A.), née en 1949 sur le territoire des trois zones d’occupation américaine, britannique et française. Bientôt après celle-ci qui, avec l’accord de Petersberg du 22 novembre 1949, fut aussitôt intégrée dans l’alliance occidentale, vit le jour, sous la tutelle soviétique, son homologue oriental, la République démocratique d’Allemagne (R.D.A.).[3]
Désormais on avait donc affaire à deux Etats allemands, mais sous les conditions de la guerre froide c’était bien sûr la République fédérale qui devait devenir l’interlocuteur normal de la France. Au début des années 1950, on assistait à une renaissance de l’idée européenne dans les deux pays (née dans les années 1920), incarnée par des hommes politiques d’inspiration chrétienne comme Robert Schuman et Konrad Adenauer, mais aussi par des socialistes/sociaux-démocrates comme Jean Monnet et Carlo Schmid. Il était évident qu’un vrai processus d’unité européenne n’était possible que sous la condition que la France et l’Allemagne soient prêtes à tourner la page et à oublier leurs vieux griefs.
La menace soviétique et la pression américaine contribuaient sans doute à faire avancer les choses: le 18 avril 1951 fut signé à Paris le traité sur la création d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) par les représentants de la France, la R.F.A., l’Italie et le Bénélux, qui fut suivie en 1957 par la création, à Rome, d’une Communauté économique européenne (CEE), présidée par une Commission de fonctionnaires des Etats partenaires, donc supranationale. Après l’échec de la Communauté européenne de la défense (CED) les traités de Paris de 1954 avaient déjà consacré le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest, dont la nouvelle armée (la «Bundeswehr») faisait partie des forces militaires de l’OTAN. Depuis le traité de Luxembourg du 27 octobre 1956, par lequel la France, à la suite du référendum de 1955, reconnut l’adhésion de la Sarre à la République fédérale, il n’existait plus de litige territorial entre les deux pays.[4]
Telle était la situation quand, en 1958, la IVe République disparut pour céder la place au Général de Gaulle, héros de la France libre et de la lutte contre les Allemands entre 1940 et 1945. Dans les années précédentes, celui-ci avait combattu la CED et tout réarmement de l’Allemagne aussi bien que le projet de marché commun tel qu’il avait été entamé par les traités de Rome de 1957, considérant le principe de la supranationalité comme limitant l’indépendance nationale et par cela contraire aux intérêts et à la «grandeur» de la France. Comme la nouvelle constitution attribua au Président de la République un rôle majeur dans la politique extérieure de son pays, l’avenir des relations franco-allemandes dépendait largement de l’attitude que celui-ci allait adopter sur ce sujet.
Il convient donc de regarder, dans un premier temps, l’image de l’Allemagne chez de Gaulle, pour examiner ensuite les motifs du rapprochement avec la R.F.A. qu’il entreprit après son arrivée au pouvoir et qui trouva son apogée dans le traité de 1963. Ceci permettra, dans une deuxième partie, d’évaluer la coopération entre les deux pays dans les domaines définis par ce traité et de démontrer les raisons de l’échec de l’union franco-allemande telle que de Gaulle l’avait conçue.
I.) Les «grandes choses» qu’on pourrait faire
I.1) De Gaulle et l’Allemagne
«Si l’obsession du Général a toujours été le destin de la France, il est non moins certain que l’Allemagne, tout au long de sa vie, n’a cessé de constituer un point de référence et un sujet de réflexions privilégiées»[5]. Ce constat même ne peut pas surprendre, puisque «pour la France, depuis toujours, l’Allemagne constitue un sujet capital de sa politique étrangère»[6] et que de Gaulle, en tant qu’homme d’Etat, devait tenir compte de la situation géopolitique de son pays. Mais ses idées sur l’Allemagne remontaient à une période bien antérieure à 1958 et même à l’époque de la France libre. Pendant la Première guerre mondiale, il avait passé presque trois ans en captivité dans plusieurs forteresses dans le Reich[7], dont il avait profité pour étudier entre autres le livre récent (paru en 1911) de l’historien militaire allemand Friedrich von Bernhardi, intitulé «L’Allemagne et la prochaine guerre», et dont de Gaulle résuma le contenu de la façon suivante: «La France [selon von Bernhardi] n’a qu’une idée: tomber sur l’Allemagne à la première occasion.»[8] De plus, il en tira la conclusion, dans son livre «Vers l’armée de métier» (1934)[9], que «son unité [à savoir de l’Allemagne] a pour condition l’expansion au-dehors et les grands desseins» parce que ses frontières étaient floues et son unité intérieure constamment menacée par les antagonismes nord-sud et protestant-catholique.[10] Cette vision plutôt sombre des impératifs de la politique allemande ne l’empêcha pas de faire allusion, dans le même livre, aux bénéfices dont une entente entre eux pourrait doter «Germains» et «Gallois», bien qu’elle lui parût presque impossible à atteindre, à cause des différences de mentalité qui les séparaient: «Ce n’est point que chacun méconnaisse la valeur de l’autre et ne se prenne à rêver, parfois, aux grandes choses qu’on pourrait faire ensemble. Mais les réactions sont si différentes qu’elles tiennent les deux peuples en état constant de méfiance.»[11]
La Deuxième guerre mondiale ne pouvait qu’augmenter cette méfiance. Comme chef du gouvernement provisoire de la France de Gaulle plaida pour la création d’une «confédération» allemande, basée sur les régions traditionnelles qui étaient la Bavière, la Saxe et d’autres, avec un statut spécial pour toute la rive gauche du Rhin et sans institutions centrales fortes. «L’Allemagne ne doit pas redevenir le Reich, c’est-à-dire une puissance unifiée, centralisée autour d’une force et nécessairement amenée à l’expansion par tous les moyens» maintint-il encore en 1947.[12] De plus, il s’efforça d’assurer à son pays une emprise sur les mines et sur l’industrie d’acier allemandes, ce qui se traduisit concrètement par le rattachement économique de la Sarre à la France et par l’instauration d’une Autorité internationale («Ruhrbehörde») pour la Ruhr.
Après son départ de la tête du gouvernement, de Gaulle, désormais dans l’opposition, accompagna d’une critique vive la création de la R.F.A. - qualifiant celle-ci de «Quatrième Reich»[13] - et la transformation de l’Autorité internationale de la Ruhr dans la CECA. Les institutions supranationales, selon lui, favorisèrent la République fédérale, parce que celle-ci sut les dominer à la suite de son rebond économique qui se dessina à partir de 1952. Pour faire équilibre à cette «Allemagne nouvelle»[14] et l’intégrer solidement dans un cadre européen, il faudrait d’abord une renaissance de la France, puis l’Europe devrait être basée sur un «accord direct entre Français et Allemands».[15] Renaquit ainsi dans sa tête l’idée d’une entente franco-allemande qu’il avait déjà esquissée en 1934. Sa description de l’Allemagne vaincue dans le dernier tome de ses «Mémoires de guerre», qui fut publié en 1959 (donc après son retour au pouvoir), traduit également une attitude moins amère envers «l’ennemi odieux»[16] qu’il avait combattu dans deux guerres: «Ainsi, au milieu des ruines, des deuils, des humiliations, qui submergeaient l’Allemagne à son tour, je sentais s’atténuer dans mon esprit la méfiance et la rigueur. Même, je croyais apercevoir des possibilités d’entente que le passé n’avait jamais offertes.»[17]
Les sentiments du Général de Gaulle à l’égard de l’Allemagne étaient donc complexes, sinon ambigus: d’une part, il avait aperçu déjà dans les années 1930 la possibilité d’une entente entre les deux peuples qui les rendrait à même de «faire de grandes choses» ensemble, d’autre part il craignait toujours qu’une Allemagne unifiée doive remettre en question ses frontières et s’abandonner à de «grands desseins», et par cela constituerait inévitablement un danger pour la paix en Europe et la sécurité de la France. En 1948 encore il avait exprimé un pareil souci concernant l’évolution du futur Etat ouest-allemand: «Ce Reich, toute la question est de savoir de quel côté il évoluera, mais une chose est certaine, il n’évoluera pas vers la tranquillité, vers la modération. Il ne pourra pas. Il évoluera vers le mouvement et vraisemblablement, comme toujours, vers l’aventure.”[18]
C’était donc la tâche du gouvernement allemand et du chancelier Adenauer de rassurer le nouveau Président du Conseil et futur Président de la République sur la sincérité de sa politique d’intégration dans le monde occidental («Westbindung») et de ses bonnes intentions concernant l’Europe et la réconciliation franco-allemande. De Gaulle se montra d’ailleurs déjà beaucoup plus optimiste sur ce point en septembre 1958 que dix ans auparavant, reprenant sa formule de 1934 dans l’instruction qu’il donna alors à François Seydoux, ambassadeur de la France à Bonn: «Bien entendu, beaucoup dépendra du chancelier Adenauer, mais si je trouve en ce grand homme des dispositions qui correspondent aux miennes, nous pourrons faire ensemble de grandes choses.»[19]
I.2) Du «miracle de Colombey» à l’idée d’une «union» franco-allemande
«Tout pourtant devrait séparer les deux hommes. L’un a le goût de l’impossible, l’autre le sens du réalisme le plus terre à terre. L’un a le sens du tragique, l’autre a le tragique en horreur. L’un utilise des mots qui, dans la bouche de tout autre Français, paraîtraient emphatiques, parfois ridicules. Le chancelier Adenauer, lui, parle un langage de président de conseil d’administration, avec une véritable répulsion pour le pathétique. L’un est général, l’autre n’a jamais été soldat. Ils sont tous les deux catholiques, mais le catholicisme du Général est plus janséniste, plus sceptique encore sur la nature humaine que le catholicisme plus souriant de Konrad Adenauer.»[20] Et ils se sont pourtant bien entendus, le Général grisonné et le vieux chancelier, ce jour du 14 septembre 1958 dans le petit village lorrain de Colombey-les-deux-Eglises - tellement bien qu’on a voulu parler de «miracle»[21] ou de «coup de foudre»[22], mais cela paraît sans doute exagéré.[23] Puisque de Gaulle savait bien qui était cet homme qu’il allait rencontrer dans sa résidence provinciale, le lieu même de cette entrevue constituant déjà un geste assez significatif de sa part.[24]
[...]
[1] Voir les considérations de Carlo Schmid, homme politique allemand (SPD) et connaisseur excellent de la France, cf. Binoche, Jacques: Les relations franco-allemandes de 1789 à nos jours, Masson/Armand Colin 1996, p.263. Bien sûr, l’origine de ces jugements, surtout du côté allemand, doit être cherchée bien avant 1870, aussi bien que les guerres de 1914 et de 1939 n’étaient pas uniquement (la deuxième même pas en premier lieu) des confrontations franco-allemandes. Une analyse exhaustive de tout cela dépasserait pourtant le cadre de cet exposé. Il ne s’agit ici que d’esquisser en peu de mots les conditions mentales sous lesquelles dut être amorcé le projet de réconciliation franco-allemande après 1945.
[2] N’empêche qu’on a pu dire qu’à l’issue de la guerre «tous les deux étaient battus», ce qui aurait rendu beaucoup plus facile leur réconciliation ultérieure (voir les idées de Jean-Marie Soutou, cf. Weisenfeld, Ernst: Geschichte Frankreichs seit 1945, 3e édition, Beck 1997, p.360s).
[3] Cf. Binoche, p.232-235.
[4] Cf. Binoche, p.240-254
[5] Maillard, Pierre: De Gaulle et l’Allemagne. Le rêve inachevé, Plon 1990, p.11.
[6] Couve de Murville, Maurice: Une politique étrangère. 1958-1969, Plon 1971, p.235.
[7] cf. Linsel, Knut: Charles de Gaulle und Deutschland, Thorbecke 1998, p.28.
[8] Linsel, p.29.
[9] Ce livre parut en Allemagne en 1935 sous le titre «Die Stoßarmee», cf. Weisenfeld, Ernst: Charles de Gaulle. Der Magier im Elysée, Beck 1990, p.14.
[10] Linsel, p.31.
[11] Linsel, p.79s.
[12] Linsel, p.133.
[13] Binoche, p.244
[14] Binoche, p.245
[15] Binoche, ibd.
[16] Linsel, p.28.
[17] Bertrand, Jean-Paul (ed.): Charles de Gaulle: Doctrine politique, Rocher 1992, p.64.
[18] Linsel, p.134.
[19] Linsel, p.80.
[20] Grosser, Alfred: Affaires extérieures. La politique de la France 1944-1989, Flammarion 1989, p.182.
[21] cf. Linsel, p.10.
[22] formule de Maurice Couve de Murville, selon Weisenfeld, p.92.
[23] Kleßmann, Christoph: Zwei Staaten, eine Nation. Deutsche Geschichte 1955-1970, Vandenhoeck & Ruprecht 1988, p.76 parle quand même d’une relation personnelle entre les deux qui «se soustrait à une analyse rationnelle».
[24] Adenauer fut le seul homme d’Etat étranger qui ait jamais été reçu à Colombey (cf. Kleßmann, p.76).
- Citar trabajo
- Martin Feyen (Autor), 2000, Les relations politiques entre la France et la République fédérale d'Allemagne à l'époque gaullienne (1958-1969), Múnich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/77003
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