L’objet de cette étude a tout d’abord débuté par un constat, la méconnaissance juridique des nouvelles opportunités de destruction que crée l’être humain pour nuire à sa propre humanité. Il est vrai qu’est de plus en plus étudiée la législation des drônes et autres nouvelles machines de guerre chargées d’engendrer le chaos et la désolation. Toutefois, en abordant la question de l’écocide dans mes premières recherches, j’ai constaté que peu de pays se sentaient concernés par ces nouveaux crimes internationaux de grande ampleur, la Russie était toutefois l’un des rares Etats à l’avoir incorporé dans ses textes pénaux.
En revanche, je demeurai décontenancé par l’absence de pensée scientifique qui se projettait vers l’avenir issue de la réflexion de la majorité des juristes. Ce futur paraissant tout aussi effrayant que fascinant pose de nombreuses questions. En effet, l’Homme ne cesse de s’inventer des méthodes toujours plus destructrices, des méthodes toujours plus avancées, des méthodes toujours plus sournoises pour provoquer la mort. Or, en découvrant que certains auteurs ont eu, et ont parfois toujours, de funestes impacts sur une population, cela m’a laissé penser que la communauté juridique n’était pas dotée d’outils pour les juger. Le criminel apprend de ces prédécesseurs. Des nombreux génocidaires ont déjà été jugés sur la base de la convention de 1948 relative au génocide.
Sous ces enseignements de la justice internationale, des individus développent ou peuvent développer des pratiques qui auraient pour finalité dissimulée un génocide. La communauté internationale commence à être coutumière de la gestion judiciaire des génocides classiques, mais elle n’envisage pas le futur, les émulations du génocide, ces descendants qui ont la même finalité et qui pourtant sont mieux dissimulés dans leurs intentions. Certains Etats, comme la Russie ou le Vietnam, ont entamé des innovations juridiques comme le processus de reconnaissance de nouveaux crimes internationaux graves en s’inspirant du concept de génocide, que ce soit consciemment ou inconsciemment.
Faire de l’innovation juridique, c’est avant tout réaliser un travail proche de la divination, anticiper des comportements qui n’auront peut-être jamais lieu. Cependant, ce processus est nécessaire au nom du principe de prévention, car quoi de plus essentiel que d’alerter la communauté juridique sur des risques futurs contre la vie humaine, avant même que celle-ci ne soit en danger ?
Sommaire
Introduction
TITREPRELIMINAIRE– Le système pénal russe.
Section 1 – La procédure législative ordinaire de Russie ..
Section 2 – L’organisation judiciaire de Russie .
T I T RE 1 – Le génocide, une notion internationale au sein du droit russe..
Section 1 –L’adhésion à des normes internationales : phase essentielle de l’incorporation du standard de génocide
Section 2 – La sélection normative par le législateur russe : phase de concretisation de l’incorporation du génocide .
TITRE 2 – Le concept de génocide, une source d’inspiration pour de nouvelles notions juridiques en Russie.
Section 1 – L’extension du standard de génocide par l’incrimination de contextes génocidaires
Section 2 – Les atteintes annonciatrices d’un génocide intégrées dans le droit russe .
Conclusion.
Remerciements
J’adresse mes remerciements aux personnes qui m’ont aidé dans la réalisation de ce mémoire.
En premier lieu, Madame Virginie Saint-James, professeure à l’université de Limoges. En tant que directrice de mémoire, elle m’a guidé dans mon travail en soutenant des idées parfois peu étudiées par la communauté juridique.
Je remercie aussi Madame Polly Higgins, avocate internationale et spécialiste de renommée mondiale de l’écocide, pour l’entretien et l’intérêt qu’elle a chaleureuseument manifesté pour mon sujet.
Je souhaite également accorder toute ma gratitude au député russe Yuri Afonin qui m’a accordé un entretien de qualité.
J’ai entre autre apprécié les explications sur le concept d’ethnie du conseiller spécial auprès du représentant du Tatarstan en France, Monsieur Pascal Klovdovitch Mas
J’adresse entre autre mes remerciements au Centre d’études Franco-Russe de Moscou, sous tutelle du CNRS et du MEAE, qui m’a accueilli afin que je puisse poursuivre mes recherches de terrain indispensables à la rédaction de ce mémoire.
Je reconnais avec enthousiasme le soutien dont a pu me faire part Madame Olga Kileseva, Doctorante en droit privé russe à l’Université d’Etat de Moscou, pour me faciliter l’exploration des méandres du droit russe et pour les traductions juridiques.
Je soutiens avec enthousiasme les propos de Madame Catherine Thibierge, professeure à l’université d’Orléans, qui lors de ma première année de droit m’avait confié l’importance de la pluridisciplinarité dans les études juridiques.
En second lieu, j’adresse particulièrement ma reconnaissance à ma famille qui m’a soutenu pour mes années universitaires et mes séjours d’études à l’étranger.
Je suis profondément reconnaissant à Maëva Cusin et Silan Manis, pour la relecture et la correction.
Avant-propos
L’objet de cette étude a tout d’abord débuté par un constat, la méconnaissance juridique des nouvelles opportunités de destruction que crée l’être humain pour nuire à sa propre humanité. Il est vrai qu’est de plus en plus étudiée la législation des drônes et autres nouvelles machines de guerre chargées d’engendrer le chaos et la désolation. Toutefois, en abordant la question de l’écocide dans mes premières recherches, j’ai constaté que peu de pays se sentaient concernés par ces nouveaux crimes internationaux de grande ampleur, la Russie était toutefois l’un des rares Etats à l’avoir incorporé dans ses textes pénaux. En revanche, je demeurai décontenancé par l’absence de pensée scientifique qui se projettait vers l’avenir issue de la réflexion de la majorité des juristes. Ce futur paraissant tout aussi effrayant que fascinant pose de nombreuses questions. En effet, l’Homme ne cesse de s’inventer des méthodes toujours plus destructrices, des méthodes toujours plus avancées, des méthodes toujours plus sournoises pour provoquer la mort. Or, en découvrant que certains auteurs ont eu, et ont parfois toujours, de funestes impacts sur une population, cela m’a laissé penser que la communauté juridique n’était pas dotée d’outils pour les juger. Le criminel apprend de ces prédécesseurs. Des nombreux génocidaires ont déjà été jugés sur la base de la convention de 1948 relative au génocide.
Sous ces enseignements de la justice internationale, des individus développent ou peuvent développer des pratiques qui auraient pour finalité dissimulée un génocide. La communauté internationale commence à être coutumière de la gestion judiciaire des génocides classiques, mais elle n’envisage pas le futur, les émulations du génocide, ces descendants qui ont la même finalité et qui pourtant sont mieux dissimulés dans leurs intentions. Certains Etats, comme la Russie ou le Vietnam, ont entamé des innovations juridiques comme le processus de reconnaissance de nouveaux crimes internationaux graves en s’inspirant du concept de génocide, que ce soit consciemment ou inconsciemment. Faire de l’innovation juridique, c’est avant tout réaliser un travail proche de la divination, anticiper des comportements qui n’auront peut-être jamais lieu. Cependant, ce processus est nécessaire au nom du principe de prévention, car quoi de plus essentiel que d’alerter la communauté juridique sur des risques futurs contre la vie humaine,avant même que celle-ci ne soit en danger ?
Abréviations
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Introduction
« Tous les génocides de l’histoire contemporaine adviennent en pleine guerre. Non qu’ils en soient les causes ou les conséquences, mais parce que la guerre créée un état de non-droit, elle régularise la mort, normalise la barbarie […], ébranle la morale et l’humanisme. Elle affaiblit les ultimes défenses psychologiques chez les futurs acteurs du génocide » 1. Il semblerait que les événements tragiques de grande ampleur soient le résultat d’actes dont la réalisation peut apparaitre impensable pour l’avenir de l’humanité. Quelle autre forme d’expression du mal a un aussi fort impact sur les esprits que le génocide au cours du XXe siècle ? La réalité des atrocités de l’Homme n’ont semble-t-il aucune limite, ou peut être seulement parfois restreintes par leur capacité d’imagination à de nouvelles formes de dévastation qui ne cessent de s’étendre au fil des siècles. En effet, le génocide est un de ces effroyables crimes internationaux au sommet de tous les actes portant atteinte irrémédiablement à la vie humaine. Toutefois, le génocide comme on le comprend usuellement n’est qu’un premier pas vers d’autres notions, d’autres concepts qui traduiraient l’opportunité d’une lutte contre des nouveaux crimes internationaux ayant vocation à être consacrés. Certaines de ces infractions sont déjà incriminées au sein de divers droits internes, notamment en Fédération de Russie, ou alors elles font l’objet de réflexions parmi les intellectuels. La Russie est notamment avant-gardiste concernant les futures incriminations internationales, instaurées dans son droit national, qui sont sous inspiration du concept de génocide. Néanmoins, la Fédération a su faire progresser sa législation pénale d’une telle manière qu’elle comprend des avancées notables comparée à la Cour Pénale Internationale (CPI), la fidèle bannière de la lutte contre les crimes internationaux. En effet, il existe une incorporation extensive du concept de génocide, issu du droit international pénal, au sein de la législation russe, sous considération de sa qualité d’Etat non-partie au Statut de Rome.
Le terme de génocide est une notion assez récente. Il est consacré pour la première fois en 1944 par R. Lemkin dans son ouvrage « Axis Rule in Occupied Europe » 2. Il forge cette appellation par un dérivé du grec genos signifiant tribu, genre, espèce et du latin cide issu du terme latin caedere signifiant tuer, massacrer3. L’auteur a souhaité que le mot soit « le moins possible arbitraire » 4 de telle sorte qu’il l’explique comme « une pratique de l’extermination des nations et des groupes ethniques mise en œuvre par les envahisseurs » 5 . Il s’est concentré sur le génocide en période de guerre commis par l’armée des forces de l’Axe, en particulier le IIIe Reich, car son ouvrage fut rédigé lors de la Seconde Guerre Mondiale quand son pays d’origine, la Pologne, était occupé par la Wehrmacht et les Schutzstaffel. Mais le génocide est bien plus vaste et précis que lors de sa conception originelle en 19446.
Le génocide est issu du droit international pénal, la branche normative de la sphère juridique visant à réprimer et définir les infractions concernant l’humanité dans son ensemble. C'est-à-dire que le droit international pénal a vocation à sanctionner « un fait contraire au droit international, et, de plus, tellement nuisible aux intérêts protégés par ce droit qu’il s’établit dans les rapports entre Etats une règle lui attribuant un caractère criminel exigeant ou justifiant qu’on le réprime pénalement » 7. Or, le génocide est bien un acte contraire au droit international extrêmement nuisible pour des intérêts protégés : le droit à la vie. Dès lors, les actes génocidaires appartiennent bien au droit international pénal.
En la matière, la CPI est l’acteur principal du XXIème siècle, dans la lutte contre l’impunité des responsables des crimes les plus graves. Pourtant, cette Cour par sa nature subsidiaire ne rend pas indispensable, pour la répression des crimes les plus graves, la signature ou la ratification du Statut de Rome dès lors que l’Etat s’acquitte de réprimer les crimes sur sont territoire. La Fédération de Russie est un Etat non-partie au Statut de Rome, impliquant de fait que la compétence de la CPI soit inopérante en matière de génocide sur le territoire russe. En outre, les incriminations telles que définies par la Cour n’ont pas vocation à s’appliquer en Russie du fait du retrait de sa signature au Statut le 16 novembre 2016 par décret du président Vladimir Poutine8. Toutefois, la Fédération de Russie ne s’abstient pas de légiférer sur la notion de génocide. Au regard de la définition restrictive du génocide par
le Statut de Rome, La Russie s’astreint-elle à une définition du génocide limitée tel que le préconise la CPI ? Il n’en est rien en territoire de la Fédération car son législateur intervient à plusieurs reprises afin de procéder à une incorporation extensive du génocide au sein de son droit interne. C’est une incorporation du génocide, et non une transposition, car la Russie opère un processus visant à intégrer un élément à un ensemble9. C'est-à-dire que l’élément de génocide est intégré au droit interne russe, sans être issu d’une norme communautaire ou internationale imposant sa promulgation. En effet, sans pour autant être un Etat-partie au Statut de Rome, la Russie a tout de même procédé à l’incorporation du crime de génocide dans son droit national, tel que le préconise l’alinéa 5 du Préambule. La Fédération s’est acquittée « du devoir […] de soumettre à sa juridiction les responsables des crimes internationaux » 10 sans pour autant être assujettie à la ratification du Statut.
De surcroit, le législateur russe s’inspire du génocide pour en incorporer une conception extensive dans les textes nationaux. Autrement dit, la loi russe prend pour référentiel les caractéristiques juridiques du génocide pour établir de nouvelles incriminations dans l’objectif de lutter contre la folie destructrice de grande ampleur des êtres humains. En effet, il en émerge un travail plus abouti, plus à même de répondre aux problématiques du XXIe siècle qui ne se limitent plus au génocide classique du siècle passé dont la justice Internationale s’est fait l’office notamment au travers des tribunaux ad hoc et de la CPI. Quoi qu’il en soit, la Russie est l’une des rares nations à légiférer sur des concepts inspirés du génocide tel que la destruction de l’identité culturelle ou la disparition d’un peuple. Par ailleurs, d’autres notions ont intéressé la Russie tel que l’écocide consistant en une destruction de l’environnement annonçant un génocide en devenir, voir même le meurtre de masse des suites de la destruction de l’économie. Cependant, la Russie n’est qu’un exemple de l’incorporation extensive du génocide car une dizaine d’autres pays ont déjà œuvré en la matière, particulièrement concernant l’écocide11.
Nonobstant, la Russie est un Etat central au sein de la communauté internationale de par sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies ou encore par son pouvoir militaire, politique ou économique à l’échelle du globe. Ainsi, la Fédération de Russie jouit d’une puissance d’influence majeure lui offrant l’opportunité d’inciter d’autres Etats à légiférer sur les nouveaux concepts de génocide, comme ce fut le cas avec la Biélorussie en 199912. De fait, ces promulgations permettraient de se conformer à la volonté de la CPI, la rendre inopérante conformément au principe de subsidiarité13. Son existence n’étant plus justifiée dans le cas où les pays s’acquittent eux-mêmes de la répression des crimes internationaux de manière effective.
De surcroit, le fait de limiter l’étude à un unique crime international, le génocide, tel que défini par le Statut de Rome, implique de se concentrer sur l’incrimination qui semble la plus grave pour une partie de la doctrine14. Mais il faut préciser qu’en réalité il n’existe pas de hiérarchisation des crimes internationaux devant la Cour de la Haye15. Par ailleurs, il est pertinent de se concentrer sur le génocide car c’est une notion inspiratrice pour définir de nouveaux actes qui apparaissent au fil des évolutions technologiques et de la modernisation de la guerre.
Au regard du vent de protestations qui souffle à l’encontre de la CPI, notamment par la menace de retrait de certains pays africains16, l’incorporation des crimes internationaux dans le droit interne est une alternative plausible. La Fédération de Russie s’est affranchie de la compétence de la Cour par la promulgation de sa propre législation contre les crimes internationaux. En outre, la Russie anticipe une éventuelle extension de la compétence de la Cour par exemple en matière d’écocide17, notamment reconnu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui constate le manque de caractère préventif de l’incrimination en droit russe, mais existant tout de même. Ainsi, cet Etat s’acquitte pleinement de son rôle législatif contre les crimes internationaux les plus graves, pouvant constituer un exemple pour les autres nations qui voudraient se substituer légitimement à la compétence de la Cour de la Haye sans pour autant faillir dans la lutte contre le génocide et les autres infractions en devenir.
Dès lors est-ce que la législation russe est un exemple d’alternative à la compétence de la CPI concernant la détermination du génocide classique et de ses émulations ?
Les émulations ne sont autres que les nouveaux concepts issus du génocide classique, tel que l’écocide ou l’ethnocide créés pour des situations auxquelles ils ne sont pas destinés au regard de la notion traditionnelle18.
En effet, le génocide constitue la cause et la conséquence de l’évolution de sa notion car il est l’engrenage des modifications engendrant la détermination de nouvelles incriminations. D’une part, il est pertinent d’étudier le génocide en tant que notion internationale incorporée dans le droit russe (Titre 1). D’autre part, il est nécessaire d’examiner le concept de génocide comme source d’inspiration pour de nouvelles notions juridiques en Russie (Titre 2). Toutefois, il est indispensable d’établir un titre préliminaire afin d’exposer les bases du système pénal russe, un domaine trop peu appréhendé par les juristes d’Europe de l’Ouest.
TITREPRELIMINAIRE-Lesystèmepénalrusse
« Ce n’est pas la loi qui faut craindre,
C’est le juge » 19
(Proverbe russe)
L’étude d’un système juridique impose nécessairement l’étude de certains éléments standards constituant les rouages de la machine judiciaire. Celle-ci est obligatoirement l’émanation d’une procédure législative (Section 1) instaurant un corpus de lois pénales dont s’en fait l’usage l’organisation judiciaire de Russie (Section 2). De fait, le législateur et les organes de la justice constituent le squelette du système pénal russe.
Section 1 – La pro cédure législative o rdinaire de R ussi e
La législation russe s’établit somme toute par des procédés relativement classiques de promulgation de la loi fédérale (A) au regard des pratiques des législateurs des pays de droit continental ou de Common Law. En outre, la Russie n’étant pas un Etat autarcique, celui-ci interagit inévitablement avec la communauté internationale. En effet, il existe un régime légal en Russie pour l’application des conventions internationales (B).
A - La promulgation de la loi fédérale
La Russie, par sa qualité de Fédération, dispose d’une division territoriale avec des caractéristiques uniques au monde. Les sujets de l’Etat sont neuf territoires (kraïs), quarante six régions (oblasts), vingt deux républiques, trois villes d’importance fédérale, d’une région autonome et de quatre districts autonomes20. Par cette complexité, la promulgation de la loi nationale pouvait s’avérer peu banale. Toutefois, en se concentrant sur les lois fédérales qui forment le socle normatif russe, la répartition territoriale n’a que peu d’effets sur la procédure de promulgation législative. L’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie21, le Parlement bicaméral russe, est tout d’abord composé de la chambre basse, la Douma d’Etat. Puis Le second organe du Parlement est la chambre haute, le Conseil de la Fédération. Le pouvoir législatif dans sa compétence ordinaire appartient principalement à la Douma d’Etat en vertu de l’article 105 de la Constitution russe. L’initiative législative pour le dépôt des projets de loi relève, pour les principales thématiques de la fédération dont le pénal, du président russe, des membres des deux chambres du Parlement, du gouvernement, ou encore du législateur local de chaque sujet de la fédération22. Ensuite, la Douma d’Etat adopte les lois fédérales à la majorité des votes des députés, soit un minima de 226 voix, conformément à l’article 105 alinéa 2 de la Constitution. Les lois ainsi votées sont transmises au Conseil de la Fédération dans un délai de 5 jours (article 105 alinéa 3).
La loi sera considérée comme adoptée si plus de la moitié des membres l’approuvent ou si elle n’a pas été examinée dans un délai de quatorze jours en vertu de l’article 105 alinéa 4 de la Constitution. En cas de rejet par le Conseil, une commission de conciliation peut être formée puis la loi est renvoyée pour une seconde lecture à la chambre basse. Selon l’article 105 alinéa 5, si un désaccord persiste entre les deux chambres, la loi fédérale sera considérée comme approuvée après un vote favorable des deux tiers des députés. Enfin, la loi fédérale est soumise au président de la Fédération pour signature en vertu de l’article 107 de la Constitution. Celui-ci peut rejeter la loi, qui sera alors réexaminée par le Parlement qui pourra imposer la signature au président par un vote à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée fédérative. Ainsi, la procédure législative qui aboutit permet la promulgation de la loi fédérale.23
L’importance donnée au caractère fédéral de la loi est lourde de sens car elle forme le socle de la législation russe sur l’ensemble de son territoire. « La Russie s’est édifiée en un agrégat de peuples très divers autour d’un pouvoir impérial fédérateur » 24 . Cette nature impériale de l’histoire russe impose de solidifier l’Etat autour de références communes, les lois fédérales, afin d’établir des éléments partagés à un peuple culturellement très disparate. Cependant, l’Etat accueille également des fondements d’origine internationale tels que les conventions.
B - L’application des conventions internationales en droit russe
Les bouleversements engendrés par la dissolution de l’Union Soviétique ont eu peu d’impact sur l’application des conventions internationales dans le droit russe. La plupart continuent à s’appliquer en Fédération de Russie, quand bien même elles auraient été ratifiées par l’URSS. En effet, la déclaration de Minsk du 8 décembre 1991 spécifie que la Russie reprend à son compte « l’ensemble des traités et conventions approuvés par l’URSS » 25 . Entre autres exemples, demeurent applicables en Russie des conventions signées par l’Union Soviétique. C’est le cas par exemple avec la convention pour la prévention et la répression du génocide du 9 décembre 1948 ou encore la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984. Ainsi, dans le cadre du droit international, la Russie respecte son obligation d’application continue des conventions conformément au principe de succession des traités. De surcroit, la Constitution du 12 décembre 1993 de la Fédération instaure l’application directe des conventions en droit interne. L’article 15 alinéa 4 dispose ainsi « les traités internationaux ratifiés par la Fédération de Russie font partie intégrante de son système juridique. Si un traité international établit d’autres règles que celles prévues par la loi, ce sont les règles du traité international qui s’appliquent ». En outre, l’article 5 alinéa 3 de la loi fédérale sur les traités internationaux du 15 juillet 1995 affirme : « Les dispositions des traités internationaux officiellement ratifiés par la Fédération de Russie, qui n’ont pas exigé l’adoption d’actes de droit interne pour leur application, ont un effet direct » 26 . Par conséquent, que ce soit au niveau constitutionnel ou au regard de la législation fédérale, il est confirmé que les conventions internationales régulièrement ratifiées sont directement applicables en droit
interne. C’est pourquoi, lors d’une procédure d’adoption d’une loi fédérale, le Parlement de la Fédération de Russie doit prendre en compte tout acte ratifié par le président afin de pallier toute inconventionnalité.
Ainsi, la Russie place les normes internationales au-dessus de la loi fédérale, dès lors qu’elles sont ratifiées. L’application des traités et conventions internationales en droit russe n’est nullement occultée par le législateur. Bien au contraire les conventions sont pleinement accueillies au sein du droit interne, conditionnant par la même la promulgation des lois fédérales.
La procédure législative visant à l’adoption et à la promulgation de la loi fédérale russe, norme centrale pour l’organisation de l’Etat et pour ses ressortissants, est autant soumise à des caractéristiques internes qu’internationales. En matière pénale, la procédure législative a pour objectif principal d’organiser, de construire le système juridictionnel, toujours dans le cadre d’une fédération centralisant les compétences judiciaires à Moscou.
Section 2 – L’organisation judiciaire de Russie
Les institutions de la justice russe suivent des règles assez classiques comparées aux autres systèmes juridictionnels dans le monde. Cependant, il est nécessaire de prendre en compte la spécificité de la division territoriale. C’est un élément de complexification de l’organisation judiciaire. Sous ces considérations, il est pertinent de déterminer la hiérarchie des juridictions pénales (A) ainsi que leurs compétences spatio- temporelles (B) afin d’établir le fonctionnement de la justice criminelle en Russie.
A - La hiérarchie des juridictions pénales
L’organisation judiciaire du système russe se voit conférer tout son particularisme du fait de la structuration administrative du pays. Telle que précédemment citée, la subdivision du territoire se fait autour de six catégories de zones en Russie (République, kraï, oblast, oblast autonome, ville d’importance fédérale et district autonome). Ces catégories correspondent au découpage judiciaire du pays.
De la base au sommet de la hiérarchie des tribunaux, le socle est formé par le juge de paix qui examine les affaires passibles d’une peine de trois ans d’emprisonnement maximum27. Ensuite, les tribunaux populaires d’arrondissement ou de ville sont compétents pour juger toutes les affaires qui font encourir une peine maximale de quinze ans d’emprisonnement, en vertu de l’article 31 du Code de Procédure Pénale de 2001 tel que modifié le 31 décembre 201728. Cependant, les tribunaux populaires sont incompétents pour les exceptions prévues par le même article mais ne concernant pas les crimes internationaux issus du droit interne russe, nous ne nous y attarderons pas. Ensuite, les tribunaux de territoire, de région, de ville, de région autonome et de district national sont compétents pour juger les crimes plus graves, faisant encourir plus de quinze années d’emprisonnement et les infractions internationales telles que l’atteinte à l’égalité nationale et raciale ou encore des désordres de masse29. La juridiction supérieure constitue les Cours suprêmes de Républiques compétentes pour les mêmes incriminations que la juridiction inférieure. Pour les territoires administratifs qui ne sont pas des républiques, et pour les cours suprêmes des républiques, la Cour suprême de la fédération de Russie est la juridiction la plus élevée en droit pénal interne en vertu de l’article 126 de la Constitution. Cette juridiction juge des infractions d’une particulière gravité donc nécessairement les crimes internationaux et dont le génocide. La Cour suprême a la particularité d’avoir l’exclusif pouvoir d’initiative des poursuites pour ces crimes particulièrement odieux.
Chaque juridiction supérieure est compétente pour juger l’appel de la juridiction inférieure. Mais, cette organisation judiciaire possède en parallèle les tribunaux militaires pour juger d’infractions impliquant l’armée, donc possiblement le génocide et ses activités annexes. L’article 325 du Code de Procédure Pénale30 dispose aussi de l’opportunité de la création d’une Cour d’assise sur demande d’un défendeur pour des affaires criminelles impliquant plusieurs accusés.
Ainsi, il existe en Russie une hiérarchie claire des tribunaux principalement selon la configuration suivante : Juge de paix, Tribunal d’arrondissement (ou de ville), tribunaux de territoires et équivalents, Cour suprême des 6 catégories de sujet, Cour suprême de la Fédération31. Chacun étant la juridiction d’appel du tribunal inférieur. L’examen de cette hiérarchie de l’organisation juridictionnelle permet d’appréhender avec plus de justesse le système pénal et notamment de comprendre que pour les affaires de génocide ou ses conceptions extensives portées devant la Justice, la Cour suprême de la Fédération sera majoritairement compétente. Cependant ces tribunaux sont assujettis à des règles de compétences communes régissant l’activité judiciaire sur le territoire de la Russie.
B - Les compétences spatio-temporelles de la justice pénale
La poursuite des crimes en Fédération de Russie, qu’ils soient nationaux ou internationaux, se conforme à des critères traditionnels. En vertu de l’article 32 du Code de Procédure Pénale de 2001 tel que modifié le 31 décembre 2017, la compétence des tribunaux de droit commun est établie dès lors que l’infraction est commise sur territoire de la Fédération de Russie, hors le cas d’une personne couverte d’une immunité. « La loi russe n’établit pas de différence en ce qui concerne les critères de compétence entre les crimes internationaux et les autres infractions pénales que le Code incrimine. Ce sont les juridictions nationales qui jugent » 32 . En effet, la compétence territoriale est délimitée pour partie par La Loi du 1er avril 1993 relative aux frontières de l’Etat. Dès lors, les tribunaux russes sont compétents sur l’espace terrestre de la Fédération, dans l’espace aérien et dans les eaux territoriales jusqu’à 12 milles marins et 200 milles marins concernant la zone économique exclusive33.
En outre, la compétence personnelle active est également valable pour les auteurs d’infractions commises en dehors du territoire russe, sous la condition d’une double incrimination en Russie et dans le pays de commission, ainsi que sous la limite d’une absence d’une condamnation définitive à l’étranger34. Par ailleurs, les tribunaux russes ont la compétence réelle si l’infraction qui a lieu à l’étranger est dirigée contre les intérêts de la Fédération de Russie, comme le faux-monnayage ou encore le terrorisme. Cependant, il y a une condition cumulative supplémentaire. La compétence réelle ne peut être mise en œuvre seulement si le cas est prévu par un traité international ratifié par la Russie et s’il n’a pas déjà été jugé définitivement conformément à l’adage ne bis in idem.
Enfin, la Fédération de Russie n’a pas adopté la compétence universelle mais il semblerait que ce soit une opportunité qui pourrait lui être offerte dans l’avenir avec l’article 15 alinéa 4 de la Constitution. En effet, il est cité des « normes universelles », de telle sorte qu’il n’est pas impossible d’employer une telle compétence dans un futur proche.
Peu importe quelle compétence serait invoquée par les tribunaux russes, « les juridictions nationales appliquent le droit interne en matière de crimes internationaux » 35 . Ainsi, que ce soit pour le génocide ou pour les autres crimes potentiels qui y sont connexes comme l’écocide, la justice russe s’avère compétente, voire même elle se réserve la compétence pour des infractions d’une particulière gravité, faisant fi de la justice internationale comme celle de la CPI. L’objectif étant indéniablement de protéger sa souveraineté nationale et de soulager la justice internationale du poids de l’afflux des criminels internationaux.
Ainsi, on peut constater que le système juridictionnel de Russie a pour objectif de faire son office de la criminalité internationale ayant un lien avec la fédération, hormis le cas de la compétence personnelle passive. Pour autant ces tribunaux locaux ont une multitude de compétences, dans les affaires pour lesquelles le prévenu encoure au maximum quinze ans d’emprisonnement. L’organisation judiciaire se veut d’essayer d’exercer une justice traitant le plus grand nombre d’affaires afin d’éviter la critique du déni judiciaire.
Le système pénal russe est régi par des normes précises comparables aux principales cultures juridiques dont est notamment représentatif l’Allemagne, les Etats-Unis, la France ou encore l’Espagne. La procédure législative et l’organisation juridictionnelle sont favorables à un dispositif de lutte contre les crimes internationaux, voire permettent même que la Russie d’être avant-gardiste sur certaines infractions d’une gravité importante pour lesquelles les juridictions internationales restent sourdes dans leurs propres textes.
TITRE1-Legénocide, unenotion international eause indudroitrusse
Le génocide a des caractéristiques qui lui sont réellement propres. Mais en considération de sa nature particulière de crime international d’une particulière gravité, le concept issu du droit international pénal a parfois l’opportunité d’intégrer un droit national, tel est le cas avec le Code Pénal russe voté sous la loi fédérale n°63-FZ du 13 juin 1996. La Fédération a procédé à une adhésion à des normes internationales pour réaliser une phase essentielle à l’incorporation du standard de génocide (Section 1). Par ailleurs, la sélection normative du législateur a concrétisé l’incorporation du génocide en droit interne (Section 2) afin de procéder à la prévention et à la répression de ce crime conformément à ses prérogatives souveraines en matière pénale.
Section1 – L’a dhésio n à des normes in ter nati onal es : phase essentielle de l’inc orporation du s t andar d de gé nocide
Les normes internationales ont un impact conséquent sur le système légal russe qui ne fait pas la sourde oreille concernant les sollicitudes mondiales. Le génocide est au cœur des préoccupations de la majorité des Etats qui veulent lutter contre l’impunité des criminels internationaux. Ces pays ne sont autres que les Etats-parties à la CPI. Cependant les Nations qui n’adhérent pas à cette Cour, telle que la Russie, n’en sont pas en reste dans leur lutte contre les crimes internationaux. En effet, l’incorporation du génocide en Russie se fait par la ratification des conventions originelles de la matière (A) et par l’assentiment de la Fédération aux règles fondamentales internationales (B) liées à la destruction de groupes d’individus.
A - La ratification par la Russie des conventions originelles relatives au génocide
Le génocide est concrétisé textuellement le 9 décembre 1948 par la résolution
260A (III) par l’Assemblée générale des Nations Unies. Celle-ci est étant entrée en vigueur le
12 Janvier 1951. Le texte s’intitule la Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide 36. Dès lors, il est explicitement évoqué le caractère préventif et répressif des mesures à prendre contre les pratiques génocidaires37. C’est pourquoi il existe une obligation de prévention du génocide issue des conventions internationales (1) mais aussi une obligation de répression du génocide provenant de ces mêmes normes (2).
1 - L’obligation de prévention du génocide issue des conventions internationales
En Russie, la convention relative au génocide est entrée en vigueur le 3 mai
1954 après ratification par le président du praesidium du Soviet suprême de l’URSS, le Maréchal Kliment Vorochilov. Lors de ce procédé, ont été émises des réserves concernant l’article IX spécifiant que les conflits entre Etats en matière de génocide ne pourraient être de la compétence de la Cour Internationale de Justice (CIJ), si et seulement si les parties en litige acceptent son intervention38. La Russie demeure dans son bon droit pour cette réserve en vertu de l’article 35 du Statut qui en dispose ainsi : « La Cour est ouverte aux États parties au présent Statut ». Or la Russie, sans adhérer à la Cour, en est ipso facto partie au regard de
l’article 93§1 de la Charte des Nations Unies qui fait de ses membres des Etats sous compétence de cette juridiction. D’où la réserve de la Russie qui marque son opposition à reconnaitre la compétence absolue de la Cour pour le contrôle de l’application de la convention relative au génocide, contrairement aux 72 membres ayant réalisé une déclaration explicite d’approbation de sa compétence juridictionnelle. Par conséquent, la Russie n’est pas expressément un Etat partie mais peut se voir assujettir à la compétence de la CIJ. C’est pourquoi, la Russie adhère à la jurisprudence de la CIJ même si elle n’a pas accepté expressément le caractère obligatoire de cette juridiction.
Cette Cour peut être amenée à se prononcer sur l’obligation de prévention du génocide, d’où l’importance que revêt cette réserve, excluant la faculté d’imposer la compétence de la Cour à la Fédération. Toutefois, elle se conforme à la jurisprudence de la CIJ par son droit interne, sans aucune obligation conventionnelle explicite, en matière de prévention du génocide. Selon le titre de la convention et son article premier, le texte implique « une obligation de comportement plutôt qu’une obligation de résultat » 39. Cela signifie que l’Etat doit « mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à sa disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide » 40. Ce principe a notamment été énoncé par la CIJ le 26 février 2007 dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro 41. Dès lors, la Cour impose que les Etats mettent en œuvre des moyens pour prévenir le crime de génocide, sans pour autant qu’ils s’acquittent d’un résultat précis.
La Convention relative au génocide de 1948, dispose par son article V « Les Parties contractantes s’engagent à prendre, conformément à leurs Constitutions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention ». Les mesures législatives précédemment citées constituent notamment les moyens de prévention devant être mis en œuvre par les Etats. Or, la Russie a promulgué l’article 357 du Code Pénal le 13 Juin 1996 (loi fédérale n°63-FZ tel que modifiée par la loi fédérale n°162-FZ du 8 Décembre 2003) sanctionnant le génocide. Cette loi incrimine le génocide et le réprime. Par la répression, la loi forme un moyen de dissuasion, c’est donc une consécration de la mise en œuvre d’une prévention, conformément au but préventif de la norme criminelle en Russie42.
Dès lors, la Russie s’est conformée à la jurisprudence internationale, sans pour autant y être expressément contrainte, et à la Convention de 1948 en mettant en œuvre une législation préventive relative au génocide. Il est ainsi pertinent de démontrer qu’il n’est pas nécessaire à la Russie d’être partie à une cour internationale, portant atteinte à sa souveraineté pénale, pour réprimer des actes comme le génocide, grâce aux conventions de soft Law qui incitent la mise en œuvre de mesures sans menace de mesures coercitives.
L’URSS a également ratifié des conventions qui n’ont pas directement trait à l’incrimination du génocide, mais qui par leurs dispositions ont des effets complémentaires sur le concept. L’effet principal étant de compléter la prévention du génocide telle qu’énoncée par la Convention de 1948. La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 196543, ratifiée par le Russie le 4 février 1969, intervient également pour la prévention relative au génocide. Dès l’alinéa 11 du Préambule, la Convention stipule l’objectif « d’adopter toutes les mesures nécessaires pour […] prévenir […] les doctrines et pratiques racistes », donc des actes et idéologies qui pourraient aboutir à un génocide. A la suite, la Convention de 1965 ajoute des obligations positives et négatives pour les Etats-Parties.
D’une part, l’article 2.1 (a) impose aux Etats de s’abstenir de se livrer à tout acte qui serait de nature à opérer une discrimination raciale par le biais des autorités publiques ou de leurs institutions officielles. De plus, l’article 2.1 (b) ajoute l’interdiction pour les Etats- parties d’encourager, de défendre ou d’appuyer la discrimination raciale réalisée par une personne ou une organisation privée. Selon ces dispositions, l’Etat russe est tenu par des obligations négatives visant à l’abstention de la commission, par des acteurs publics ou privés, d’actions spécifiques faisant émerger un terreau favorable au développement du génocide.
D’autre part, la Convention de 1965 impose aux Etats de procéder à des actes positifs visant à prévenir le génocide. Les articles 2.1 (c) et (d) préconisent que les Etats-parties mettent en œuvre des mesures ou des moyens appropriés afin d’interdire la discrimination raciale. Ceux-ci consistent principalement en l’instauration ou l’abrogation de lois ou de dispositions réglementaires relatives à la discrimination raciale.
En effet, la discrimination est un élément fondateur du génocide44. La Convention
relative au génocide de 1948 évoque, par son article 2, la destruction d’un groupe (national, ethnique, racial ou religieux). Or cette destruction s’opère dans le cadre d’une discrimination, un groupe distingué d’un autre groupe dans l’objectif de le détruire selon des critères établis par les criminels génocidaires. La Convention de 1965 complète celle de 1948 et est applicable dans le droit interne russe, conditionnant sa législation anti-discrimination par un caractère préventif à l’égard d’actes génocidaires. Ainsi, l’article 357 du Code pénal russe, tel qu’amendé par la loi fédérale n°162-FZ, envisage l’interdiction de la « création de conditions de vie destinées à entrainer la destruction physique des membres de ce groupe ».
Ces conditions de vie ne sont autres que des mesures de discrimination à l’égard d’un groupe ayant pour finalité un génocide. Cette disposition consacre l’obligation positive, du fait de la promulgation d’une loi, et négative car elle oblige les acteurs de la société russe à s’abstenir de créer des conditions de vie provoquant un génocide.
On peut donc en déduire qu’une autre convention que celle de 1948 a eu des effets sur la définition préventive du génocide au sein du droit russe.
Par conséquent, un corpus de conventions emporte des conséquences bénéfiques sur la législation interne russe relative au génocide. Autrement dit, la Russie incorpore des normes internationales traitant de la prévention en la matière afin de donner des lignes directrices au législateur sans pour autant faire hypothétiquement l’objet de sanction de la part de juridictions mondiales ou régionales en cas de défaut d’application. En définitive, la Loi Russe se conforme à ses obligations négatives de sorte que des textes internationaux sont incorporés dans son système normatif interne afin d’éclairer le droit interne sur la prévention du génocide. Toutefois, les conventions internationales relatives aux pratiques génocidaires ne se limitent pas à la prévention, mais incitent également à la répression afin de créer une structure législative commune aux Etats-parties.
2 - L’obligation de répression du génocide issue des conventions internationales
Les infractions d’une importante gravité suscitent généralement, dans l’esprit de l’opinion publique, le caractère rétributif de la peine45. Autrement dit, il est souvent envisagé la répression au nom de la réprobation sociale. Les conventions internationales en matière pénale comportent des dispositions relatives aux sanctions, car sans mesures coercitives, l’acte incriminé n’aurait pas d’effet dissuasif sur les potentiels auteurs. Sous ces considérations, le génocide est aussi envisagé au travers de la répression par les conventions internationales.
La Convention relative au génocide de 1948 prévoit expressément la nécessité et l’obligation pour les Etats-parties de réprimer le génocide. L’article V stipule ainsi que les les Etats doivent « prendre […] les mesures législatives nécessaires […], et notamment de prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ». La disposition met notamment l’accent sur le caractère efficace des sanctions pénales, signifiant que celles-ci ne doivent pas être dérisoires, voire illusoires. La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), par analogie, a traité de la question de l’efficacité des sanctions pénales par son arrêt Taricco e. a. du 8 septembre 201546 de telle sorte que « des sanctions pénales peuvent cependant être indispensables pour combattre de manière effective et dissuasive » une infraction précise. Par le biais d’une étude comparée des peines encourues, nous constatons que le génocide est en généralement sanctionné par une peine de quinze ans d’emprisonnement jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité47. Ce spectre du quantum des peines semble faire l’unanimité au sein de la communauté internationale pour considérer la répression comme efficace au regard de la Convention de 1948. Or, la Fédération de Russie fait encourir, en fonction du degré d’implication dans l’affaire de la personne jugée (auteur, co-auteur, complice, tentative…), de douze à vingt ans d’emprisonnement. Dans les circonstances les plus graves, les peines encourues sont la perpétuité voire même la peine de mort conformément à l’article 357 du code pénal russe tel qu’amendé par les lois fédérales n°73- FZ du 21 Juillet 2004, et n°377-FZ du 27 décembre 2009. Toutefois, il n’existe pas de décision d’une Cour nationale ou internationale traitant du caractère efficace des sanctions pénales en ce domaine. Cependant, il est possible d’estimer que la Russie se conforme à la pratique législative moyenne en matière de sanctions pénales au regard de son arsenal répressif.
Néanmoins, il est important de noter que la Russie pourrait se voir sanctionnée par la CEDH si, à l’avenir, l’une de ses juridictions venait à condamner à la peine de mort dans le cadre d’un procès pour génocide, dans le cas où elle opérerait une ratification des protocoles additionnels n°6 ou n°13 à la Convention européenne des droits de l’Homme. La ratification du protocole n°6 est plus probable étant donné que la Russie l’a déjà signé le 16 avril 1997. Dès lors, il serait envisageable que la Russie soit sanctionnée si elle appliquait la peine de mort pour un crime de génocide commis en temps de paix, donc en l’absence de déclaration de guerre par le parlement russe en vertu de l’article 106 de la Constitution du 12 décembre 1993. Cependant, depuis la décision du Conseil constitutionnel russe du 19 novembre 200948, la peine de mort est déclarée inconstitutionnelle et un moratoire de facto par décret présidentiel49 est établit afin d’en interdire sa pratique. En effet, la Russie n’applique plus la peine de mort depuis le 2 septembre 1996, a l’encontre de son dernier condamné Sergey Golovkin50. En revanche, le législateur n’est pas encore formellement intervenu pour l’interdire. Mais la peine de mort ne saurait être appliquée en matière de génocide, considérant les dispositions réglementaires, alors même que le législateur n’a pas abrogé cet élément de la disposition. Toutefois, quand bien même si la peine de mort était appliquée, elle ne contreviendrait pas à la Convention de 1948 qui invoque seulement « des mesures pénales efficaces », sans pour autant en préciser le contenu. Ainsi, le pays se conforme aux limites du droit international originel en matière de répression du génocide.
La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale traite également de la répression dans le cadre des actes qui peuvent favoriser le développement de situation génocidaire. L’article 4 (a) déclare comme étant des « délits punissables par la loi » toute idée ou incitation qui seraient de nature à exprimer des discriminations raciales telle que la supériorité d’un groupe sur un autre. En outre, doit être punie selon la Convention, la commission, la provocation ou l’assistance à des actes dirigés contre « tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique ». Cette disposition est complétée par les articles 4 (b) et 4 (c) spécifiant que ces actes sont également interdits pour les organes officiels et les organisations de droit privé. A contrario, l’article 4 (a) déclare implicitement que ces délits sont punissables quand ils sont commis par des personnes de droit privé. La Convention précise explicitement que ces actes doivent être déclarés punissables. Autrement dit, les actes de discrimination raciale doivent être incorporés au sein du droit interne, en comportant spécifiquement des dispositions énonçant les peines encourues. L’article 357 du Code pénal incrimine « les actions visant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Cet article se concentre sur des actions qui opèrent une distinction entre deux groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux avec pour finalité leur destruction plus ou moins importante. Le terme « actions » semble quelque peu imprécis car Il ne distingue pas explicitement la commission, la provocation ou l’assistance liées au génocide, c’est-à-dire le modus operandi. Dès lors, en matière de précision, l’article 357 ne se conforme que partiellement à la Convention de 1965. Toutefois, des précisions n’ont pas pu être apportées par les juges russes car aucune jurisprudence n’a fait l’objet de crimes relevant de cette disposition. En revanche, ces actions sont matériellement identifiables dans la loi, telles que le meurtre ou encore le transfert forcé d’enfant. Ainsi l’incrimination de génocide semble lacunaire s’agissant du détail des actes à réprimer au regard de la Convention. De surcroit la défectuosité de l’article 357, au regard des critères des articles 4 (b) et 4 (c), est aussi manifeste dans le fait qu’il ne soit pas incorporé par la loi dans le droit russe. C’est-à-dire qu’est omise l’intervention des organes officiels (autorités publiques et institutions publiques) ou des organisations dans l’incitation de la discrimination raciale, créant un terreau favorable au génocide. Par conséquent, la loi russe est loin d’être en totale adéquation avec la Convention.
Considérant les peines encourues lors de la commission d’actes génocidaires, les délits sont bien punissables en droit interne russe. Ceux-ci sont passibles de douze ans de prison à la perpétuité, excluant la peine de mort du fait des précédents développements. C’est pourquoi, sur le plan de l’incrimination des peines, le législateur en a bien fait des délits punissables conformément à l’article 4 (a) de la Convention.
Tout bien considéré, l’incorporation de la Convention sur la discrimination raciale de 1965 dans le système légal russe en matière de génocide semble encore hésitante. Sur le plan de la répression pure, autrement dit les sanctions encourues, celles-ci sont bien établies. Toutefois certains termes des dispositions sont encore lacunaires, notamment en ce qui concerne l’identification des auteurs ou encore le mode opératoire constituant un crime.
En somme, les Conventions internationales de 1948 et 1965 imposent des obligations de répression plus ou moins directes envers le génocide ou contre les pratiques discriminatoires pouvant favoriser le développement d’une situation génocidaire. En dépit de ce corpus international auquel adhère la Russie, son législateur n’est pas en parfaite concordance avec ces accords pour la répression.
La Fédération de Russie a finalement ratifié les Conventions internationales originelles qui ont établi les bases du génocide. Cependant, celles-ci n’assujettissent pas l’Etat signataire à des contraintes en cas du non-respect des dispositions des Conventions. Toutefois, la Russie se conforme à ses obligations de prévention et de répression, tout du moins partiellement, l’incorporation étant un processus, son aboutissement n’est pas total mais semble bien amorcé vis-à-vis des normes internationales.
L’adhésion à des normes internationales ne se limite pas aux normes écrites classiques que sont les conventions. Des sources moins concrètes du droit international interviennent dans l’incorporation du génocide afin de conditionner le concept en droit interne, dans l’objectif d’acquérir un certains cadre commun autour de la notion.
B - L’assentiment de la Russie aux règles fondamentales internationales relatives au génocide
La Russie appartient pleinement à la communauté internationale. Cela signifie que l’ensemble des normes auxquelles le pays consent va s’appliquer en droit interne, dans la limite de sa hiérarchie des normes. Au sein de ce cadre normatif, la Soft Law internationale profite à la consécration du crime de génocide en Russie (1) tout comme les principes généraux du droit international (2) qui y contribuent.
1 - La consécration supplémentaire du génocide comme crime issue de la Soft Law international
Le génocide en tant que crime international se voit déjà conférer une certaine longévité. Dès la période d’après-guerre avec le Procès de Nuremberg jugeant les crimes nazis, le génocide entra dans la terminologie juridique, mais les actes qui lui furent relatifs ont été requalifiés en crimes contre l’humanité51. Le terme a été consacré le 11 décembre 1946 par la résolution 96 (I) votée par l’Assemblée Générale des Nations Unies52. Puis finalement arrive l’apogée juridique du génocide par l’entrée en vigueur de la Convention qui lui est propre le 12 janvier 1951. En 2018, le génocide a déjà 72 ans d’entérinement dans la justice internationale et est un élément central dans la compétence des Cours
Internationales.
Les deux premiers Tribunaux Pénaux Internationaux non-militaires relatifs aux conflits en Ex-Yougoslavie et au Rwanda sont les premiers à réprimer concrètement le génocide sous cette appellation. Le Statut du Tribunal Pénal International pour le conflit en Ex-Yougoslavie (TPIY) adopté le 25 mai 199353, tel qu’amendé le 7 juillet 200954, dispose en son article 4 la définition du génocide au travers de ses éléments constitutifs. Il en est de même dans l’article 2 du Statut du tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le 8 novembre 1994 55, tel qu’amendé le 16 décembre 2009 56. Les deux Statuts comportent exactement les mêmes termes afin de qualifier le génocide que ce soit les actes constitutifs de l’infraction ou le degré de participation des responsables. Plus tar, Les tribunaux pénaux internationalisés reprennent à leur compte cette définition du génocide dans ses termes exacts issus du TPIY et du TPIR. En effet, la résolution 2000/15 57, succédant à la résolution 2000/11 58, institue les panels du Timor-Oriental. L’accord entre l’ONU et le Cambodge du 6 juin 2003 59 créer les chambres extraordinaires jugeant des crimes commis par les Khmers rouges. Les Chambres africaines extraordinaires sont créées ensuite par un Accord entre le Sénégal et l’Union Africaine60. Tous ces tribunaux internationalisés définissent toujours les mêmes éléments constitutifs et le même degré de participation engageant la responsabilité des auteurs que le TPIY et le TPIR.
Or, l’article 38§1 (b) du Statut de la CIJ accueille « la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit ». 61. En somme, on peut en déduire que la reprise systématique des mêmes termes pour définir le génocide et le degré de participation retenu pour les auteurs par les Tribunaux Pénaux Internationaux et par les Cours internationalisées, lui confère la valeur de coutume internationale62.
Le génocide a obtenu une force supplémentaire par son appartenance au jus cogens en étant qualifié de « norme impérative du droit international » 63 par la CIJ à maintes reprises. Or le jus cogens constitue « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise » 64 . C’est-à-dire que l’incrimination internationale du génocide s’applique à tous les Etats sans distinction et sans aucune nécessité de transposition ou d’incorporation dans le droit interne, tout en laissant libre le législateur sur le détail des actes constitutifs. Toutefois, sans ces mécanismes l’infraction serait jugée par des instances internationales au regard du principe de légalité des délits et des peines qui impose l’incrimination d’un comportement en droit interne pour le réprimer.
La Fédération de Russie ne semble pas incorporer explicitement la coutume internationale dans son ordre normatif, ne souhaitant pas se conformer à des pratiques juridiques qui lui sont extérieures. Le droit coutumier international nait de la pratique contrairement au jus cogens qui se base sur une acceptation universelle des Etats. L’article premier alinéa 3 du Code de procédure pénal65 a explicitement intégré la reconnaissance des « normes universellement reconnues du droit international ». Dès lors, ce n’est pas un critère défavorable à l’incrimination du génocide en Russie que le législateur ne reconnaisse pas le droit coutumier international dans son ordre interne car le fait d’instaurer le jus cogens au sein du Code supplante cette précédente caractéristique. En effet, le jus cogens est incorporé dans le droit russe au travers de normes universellement reconnues. La Cour Internationale de Justice définit ces normes en tant que « principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tous lien conventionnel. […] (Ce sont) des droits et obligations erga omnes » 66. Ainsi le législateur donne des gages de bonne volonté en incorporant le génocide à l’article 357, mais en réalité des crimes de cette nature commis sur le territoire de Russie font déjà l’objet d’une incrimination dans l’ordre pénal international en étant une norme erga omnes de jus cogens.
C’est pourquoi, il importe peu que l’Etat russe reconnaisse explicitement les normes universelles car celles-ci, et notamment celles sur le génocide, s’appliqueront erga omnes sans qu’aucune dérogation législative ou constitutionnelle ne soit envisageable.
La Soft Law internationale a un réel effet bénéfique sur la prévention et la répression du génocide car elle s’impose aux droits nationaux. Du point de vue de ses auteurs, la caractéristique principale du génocide réside dans l’intervention de hauts responsables militaires ou politiques dans l’organisation des actes. Le législateur qui se rendrait complice d’actes génocidaires serait bien évidemment opposé à la promulgation et à l’incrimination du génocide et s’empresserait d’abroger les dispositions qui lui sont relatives. Par cet aspect, la Soft Law internationale contrevient à cette opportunité en ne rendant pas indispensable l’incrimination en droit interne du génocide, pour autant la Russie s’en est tout de même acquitté pour se conformer au droit international. Mais la Soft law ne constitue pas les seules règles fondamentales internationales consacrant le génocide. Les principes généraux du droit international interviennent aussi afin de faire du génocide une norme d’une importance supérieure, inhérente à l’humanité.
2 - La consécration cumulative du génocide comme crime issu des principes généraux du droit international
La CIJ mentionne explicitement les principes généraux du droit international dans l’article 38§1 (c) de son statut. Elle se sert de la dénomination suivante : « les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées ». La CPI précise même par son article 21 (c) que les principes généraux du droit sont issus des « lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde », tant qu’ils ne contreviennent pas à des « normes internationalement reconnues ».
On peut en déduire que ces principes doivent avoir une reconnaissance avérée de leur autorité dans tous les principaux systèmes de droit, voire même qu’ils soient inclus dans des instruments internationaux ratifiés en très grand nombre afin d’en confirmer une adhésion globale des pays67. Tel est le cas avec l’article 15 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques qui consacre les règles, nullum crimen, nulla poena sine lege 68 . En outre, on peut retenir comme principe général du droit international leur corollaire qui est la non-rétroactivité ratione personae du droit pénal69. Autrement dit, la peine et le crime doivent être établis par la loi avant que l’infraction ne soit effectivement constituée. Il est pertinent de constater que les principes généraux du droit international concernent les droits fondamentaux de la personne humaine. Ces trois principes que sont le principe de légalité des délits, celui des peines et la non-rétroactivité de la loi pénale constituent un pilier central en matière de crimes internationaux. Il est notamment important de percevoir que ceux-ci sont prévus au sein du Statut de Rome aux articles 22 à 24, ce qui signifie que la CPI érige également ces principes comme des éléments qui nécessitent d’être démarqués des autres notions de par leur caractère fondamental. De surcroit, ils se trouvent dans le Chapitre III du Statut intitulé « Principes généraux du droit pénal », ce qui confirme d’autant plus leur appellation. Ainsi, la CPI se conforme à ces principes pour rendre la justice notamment en matière de génocide.
Auparavant, la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 avait déjà évoqué les principes généraux. Dans son préambule, l’alinéa 8 établit que ce sont des règles fondamentales du droit international, sans valeur coutumière ou conventionnelle, mais qui dérivent des usages entres les nations civilisées en raison « d’une exigence de conscience publique ».
Par leur généralité et leur importance majeure, les principes généraux du droit international régissent les rapports internationaux, ici en matière de traitement des crimes internationaux, dont le génocide. Or, le législateur les a incorporé dans le droit national par l’article premier alinéa 3 du Code de procédure pénale70 et à l’article 15 alinéa 4 de la Constitution71 sous la mention suivante : « principes […] universellement reconnus du droit international ». En effet, les placer dès le premier texte dans le Code de procédure pénale détermine l’importance qui leur ait donnée dans le droit russe. Le Code pénal mentionne dès son article 3 le principe de légalité des délits et des peines et à son article 9 la non- rétroactivité de la loi pénale, sauf dans le cas d’une loi in mitius conformément à l’article 10. Somme toute, ces principes généraux du droit international sont à même de s’appliquer à l’ensemble de la matière pénale. Au regard de l’exceptionnelle gravité des actes génocidaires, ceux-ci s’appliquent d’autant plus que le traitement d’une situation grave appelle une rigueur supplémentaire vue l’ampleur de la tâche à réaliser par les juges et les enquêteurs. Ainsi, la Russie confère une position privilégiée aux normes issues des principes généraux en les incorporant dans son droit interne parmi les premiers articles de ces codes pénaux afin d’en marquer leur application sur l’ensemble des textes qui suivent.
L’imprescriptibilité est un principe général du droit international au cœur de la définition du génocide en matière de poursuite par l’autorité publique et de l’exécution de la peine. Autrement dit, la poursuite d’une infraction ou l’exécution d’une peine ne peut être paralysée par le seul fait de l’écoulement du temps72. Le texte majeur sur le sujet est la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité du 26 novembre 1968 73, ratifiée par l’URSS le 22 avril 1969 74. Son article premier (b) impose l’imprescriptibilité pour le crime de génocide « même si ces actes ne constituent pas une violation du droit interne du pays où ils ont été commis ». Cependant, en vertu de l’article IV, l’imprescriptibilité s’appliquera dans l’Etat partie qu’après l’entrée en vigueur, dans le droit interne, de mesures législatives visant à donner effet à cette disposition de la Convention.
Or, le législateur russe a promulgué l’article 78 du Code pénal relatif à la prescription de l’action publique ainsi que l’article 83 consacré à la prescription de la peine. Dès lors, les délais de prescription ne s’appliquent pas aux crimes prévus aux articles 353, 356, 357 et 358 du Code pénal. Les auteurs de génocide (article 357) et d’écocide (article 358) peuvent faire l’objet de poursuite et exécuter leur peine sans aucune considération de l’écoulement du temps, hors le cas de leur décès qui mettrait fin à l’opportunité de toute procédure pénale75.
Toutefois, l’imprescriptibilité est une exception au principe de la prescription, car cette dernière s’applique aux infractions de droit commun. Par cette qualité d’exception, le droit russe a procédé à une définition restrictive des crimes imprescriptibles de telle sorte qu’il serait applicable seulement pour des infractions d’une extrême gravité.
Le droit russe s’est emparé de l’imprescriptibilité, un principe général du droit international, fondamental pour la lutte contre le génocide. Cette infraction d’une gravité sans commune mesure appelle un dispositif pénal peu classique dont la réponse doit être à la hauteur de l’atrocité des actes génocidaires.
Les principes généraux du droit international, par les quelques exemples choisis pour leur importance majeure dans la lutte contre les crimes internationaux, sont déterminants pour définir les modalités d’exécution relatives au génocide. Elles permettent notamment d’entériner l’incrimination de génocide dans la législation russe.
Le législateur russe se sert des règles fondamentales internationales afin d’incorporer le génocide. L’objectif est de se conformer aux normes de la communauté internationale afin d’éviter des jurisprudences de la CIJ ou encore de la CPI qui s’opposeraient à la définition nationale du génocide et du corpus de principes sur lequel il repose.
Tout bien considéré, l’incorporation du génocide par l’adhésion à des normes internationales, qu’elles soient conventionnelles ou que ce soient des normes de Soft law, est bénéfique à la mise en conformité du droit interne avec le droit pénal mondial. Il est pourtant vrai que le droit russe n’est pas en complète adéquation avec les normes internationales, du fait de quelques imprécisions, voire des lacunes dans sa définition du génocide. Or, dans ce domaine, la CPI est un élément central car elle est la seule juridiction à vocation universelle qui réprime le génocide. Cependant, la Russie n’a pas ratifié le Statut de Rome relatif à cette Cour donc n’est pas assujettie à ses définitions. Pourtant, l’incorporation du génocide au sein du droit russe n’est pas si différente à celle du Statut de Rome.
[...]
1 HATZFELD Jean, Une saison de machettes, éditions du seuil, Paris, 2003, p. 66.
2 LEMKIN Raphael, Axis Rule in Occupied Europe : Laws of occupation, Analysis of Government, Proposals for r ed r e s s,Carnegie Endowment for International Peace, division of international, Washington, 1944, p. 712.
3 VANDERMEERSCH Damien, Comment devient-on génocidaire ?, Institut européen de recherche et information sur la paix et la sécurité, novembre 2013, p. 16
4 BEAUVALLET Olivier, Lemkin : Face au génocide, Collection le Bien Commun, Michalon Editions, 2011, p. 33
5 Op.cit BEAUVALLET Olivier, Lemkin : Face au génocide, p. 33.
6 Voir Titre 1, Section 1
7 GLASER Stefan, Introduction à l’étude du droit international pénal, Editions Sirey, Paris, 1954, p.11
8 MAUPAS Stéphanie, La Russie inflige un nouveau coup dur à la CPI, Le Monde, 17 Novembre 2016
9 http://www.cnrtl.fr/definition/incorporation
10 Alinéa 5, Préambule, Statut de Rome - https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/6A7E88C1-8A44-42F2-896F- D68BB3B2D54F/0/Rome_Statute_French.pdf
11 Les pays ayant adopté le crime d’écocide sont : l’Arménie, la Biélorussie, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Moldavie, la Russie, le Tadjikistan, l’Ukraine, le Vietnam ; NEYRET Laurent, Libres propos sur le crime d’écocide : un crime contre la sûreté de la planète, in Pour un droit économique de l’environnement, Mélanges G. J. Martins, Paris, Frison-Roche, 2013, p. 417
12 NEYRET LAURENT, Des écocrimes à l’écocide : Le droit pénal au secours de l’environnement, Editions Bruylant, Paris, 2015, p. 30.
13 DULAIT. A, La CPI : Quel nouvel équilibre entre souveraineté, sécurité et justice pénale internationale , Les rapports du Sénat, n°313, 1998-1999, p. 93
14 LINGANE zakaria, Mémoire et génocides au XXe siècle, collection mémoire et survivance, 2008, éd PUF, p. 192.
15 ROSMERLIN ESTUPINAN silva, La gravité dans la jurisprudence de la CPI à propos des crimes de guerre, Volume 280, Revue Internationale de Droit pénal, éd Eres, Juillet-Septembre 2011, p. 541-558 ; TPIR, Semanz a, 15 mai 2003, § 555
16 HUBRECHT Joël, La Cpi bientôt finie?. Revue Esprit, 2017, no 1, p. 17-21.
17 CEDH., arrêt Boudaïeva et autres c. Russie du 20 mars 2008, Recours CEDH., 2008-II, p. 309 in Revendication d’un crime d’écocide : les droits fondamentaux pour la protection de l’environnement sont-ils suffisants ?, CASTIAUX. G, BONBLED Nicolas (dir.), Mémoire de master, droit et criminologie, Louvain : Université de Louvain, 2017
18 BLUM Claude, Le littré 2008 en 20 Volumes : Le dictionnaire de référence de la langue française, éd Garnier, Paris, 2008
19 PILET Raymond, La Russie en Proverbes, éd Leroux, 1905, p. 27
20 MONGRENIER Jean-Sylvestre et THOM Françoise, Géopolitique de la Russie, Collection Que sais-je, éd PUF, Paris, 2018, p. 128
21 Voir Annexe 1.1
22 Article 104 alinéa 1 de la Constitution russe
23 DUTOIT Bernard, Le droit russe, Dalloz, 2008, pp. 15-16.
24 WACKERMANN Gabriel, Géographie des conflits non armés, éd Ellipses, 2011, p. 322. ; Voir Annexe 1.2
25 MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe (chapitre 8) ,in Juridictions nationales et crimes internationaux, CASSESE. Antonio et DELMAS-MARTY Mireille (dir.), éd PUF, 2002, p. 259 .
26 Op. cit, Nadine Marie-Schwartzenberg, Droit russe, p.259
27 Op. cit, MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe, p. 262.
28 Code de Procédure Pénale de la Fédération de Russie, Loi n°174-FZ du 18 décembre 2001 tel que modifié le 31 décembre 2017.
29 Op. cit, MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe, p. 261.
30 www.wipo.int/wipolex/fr/text.jsp?file_id=464899
31 MINISTERE DE LA JUSTICE, Le système judiciaire en Russie, présenté par le Bureau du droit comparé - services des affaires européennes et internationales, Rapport à Monsieur le Secrétariat générale, France, 12 décembre 2013 ; Voir Annexe 1.3
32 Op. cit, MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe, p. 269.
33 Voir Loi fédérale n°63-FZ, 13 juin 1996, amendé par la loi fédérale n°35-FZ, 19 février 2018, article 11 alinéa 2
34 Op. cit, MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe, p. 269.
35 Op. cit, MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe, p. 270.
36 http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CrimeOfGenocide.aspx
37 SCHABAS. William, Le génocide (chapitre 9), in Droit International Pénal, ASCENCIO. E., DECAUX. H et PELLET. A (dir.), A. Pedone, Paris, 2012, pp. 125-131.
38 Op. cit, MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe, pp.262-263.
39 SCHABAS. William, Le génocide (chapitre 9), in Droit International Pénal, ASCENCIO. E., DECAUX. H et PELLET. A (dir.), A. Pedone, Paris, 2012, p.131.
40 CIJ, Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, « Application de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide », 26 février 2007, §430
41 Ibid
42 DUTOIT Bernard, Le droit russe, Dalloz, 2008, p. 37.
43 Résolution 2106A (XX), 21 décembre 2005, Assemblée Générale, Nations Unies
44 AMBRUS Monika, Genocide and Discrimination : Lessons to be Learnt from discrimination Law, Volume 25,Issue 4, December 2012, Leiden Journal of International Law, pp. 935-954
45 XAVIER José Roberto Franco, La réception de l’opinion publique par le système de droit criminel, Thèse de doctorat, criminologie, Ottawa : Université d’Ottawa, Canada, 2012
46 CJUE, arrêt Taricco e.a., 8 septembre 2015, C-105/14, EU:C:2015:555, § 39
47 JACQUELIN Mathieu, L’incrimination de génocide : Etude comparée du droit de la CPI et du Droit Français,Thèse de doctorat, droit comparé, Collection Thèses, éd Fondation Varennes, février 2013
48 Cour constitutionnelle russe, 19 novembre 2009, décision n°1344-O-R ; http://doc.ksrf.ru/decision/KSRFDecision24593.pdf
49 Décret présidentiel n°724 « sur la suppression progressive de l’application de la peine de mort en lien avec l’entrée de la Russie dans le Conseil de l’Europe », 16 mai 1996
50 BENSON Ana, The mad russian killer : The true story of Sergey Golovkin, CreateSpace Independent Publishing Platform , 18 février 2017, p. 56.
51 VENTURINI Gabriella, Otto Ohlendorf’s trial, Law Reports of Trials of War Criminals, Vol. III, Londres, 1947- 1949, p. 470.
52 SCHABAS. William, Le génocide (chapitre 9), in Droit International Pénal, ASCENCIO. E., DECAUX. H et PELLET. A (dir.), A. Pedone, Paris, 2012, p. 125
53 Résolution 827, AGNU, A/RES/827, 25 mai 1993
54 Résolution 1877, AGNU, A/RES/1877, 7 juillet 2009
55 Résolution 955, AGNU, A/RES/955, 8 novembre 1994
56 Résolution 1901, A/RES/1901, AGNU, 16 décembre 2009
57 Résolution 2000/15, section 4 et 14, AGNU, A/RES/2000/15, 6 juin 2000
58 Résolution 2000/11, AGNU, A/RES/2000/11, 6 mars 2000
59 Résolution 57/228, Article 9, AGNU, A/RES/57/228, 18 décembre 2002
60 Sommet de l’Union Africaine, Accord, Articles 4, 5 et 10, Union Africaine, 22 août 2002
61 Voir Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ¸ Avis consultatif, CIJ, Rec. 1951
62 TPIR, Procureur c. Kayishema et Ruzindana, Chambre de première instance, ICTR-95-1-T, 6 décembre 1999, §46
63 CIJ, République Démocratique du Congo c. Rwanda, recueil 2006, 3 février 2006, §64 ; CIJ, Bosnie- Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, « Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », recueil 2007, 26 février 2007, §161
64 Convention de Vienne, article 53, 23 mai 1969
65 Loi fédérale n°174-FZ du 18 décembre 2001, telle qu’amendé le 31 décembre 2017
66 CIJ, Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie, exceptions préliminaires, « Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », recueil 1996, 11 juillet 1996
67 DUPUY Pierre-Marie, Normes internationales pénales et droit impératif (chapitre 6), in Droit International Pénal, ASCENCIO. E., DECAUX. H et PELLET. A (dir.), A. Pedone, Paris, 2012, p.83.
68 HEUGAS Emmanuel, Article 22 : Nullum crimen sine lege, in, Statut de Rome de la CPI : Commentaire article par article, FERNANDEZ Julian et PACREAU Xavier, Tome 1, Editions A. Pedone, 2012, pp. 781-791 ; Ibid, SCALIA Damien, Article 23 : Nulla poena sine lege in, Statut de Rome de la CPI : Commentaire article par article, FERNANDEZ Julian et PACREAU Xavier, Tome 1, Editions A. Pedone, 2012, p. 794-802
69 Ibid, Article 24 : Non-rétroactivité raionae personae, p. 803-808
70 Loi fédérale n°174-FZ du 18 décembre 2001, telle qu’amendée le 31 décembre 2017
71 DUTOIT Bernard, Le droit russe, Dalloz, 2008, p. 20.
72 LA ROSA Anne-Marie, Dictionnaire de droit international pénal, Ed Puf, Avril 1998
73 Résolution 2391 (III), AGNU, 26 novembre 1968
74 Voir aussi Article 29 du Statut de Rome
75 75 MARIE-SCHWARTZENBERG Nadine, Droit russe (chapitre 8) , in Juridictions nationales et crimes internationaux, CASSESE. A et DELMAS-MARTY Mireille (dir.), éd PUF, 2002, p. 271.
- Citar trabajo
- Jordan Goulet (Autor), 2018, L’incorporation extensive du génocide en Russie, un Etat non-partie au Statut de Rome, Múnich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/459759
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