Au cours du XXe siècle, des changements dans les habitudes linguistiques et culturelles des bretonnants ont suscité une plus forte dépendance de la langue écrite pour le développement et la transmission du breton. Et lorsqu’il est question de la langue écrite, il est aussi souvent question de la ponctuation. Mais malgré la quantité non négligeable des études linguistiques portant sur le breton, la ponctuation bretonne reste inexplorée.
Notre travail s’inscrit dans le cadre théorique de la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Celle-ci donne une importance primaire aux choix sémantiques qui peuvent éventuellement être réalisés à travers des formes syntaxiques et lexicales. Les systémiciens modélisent ces choix-là au moyen de réseaux systémiques qui sont destinés à représenter le potentiel significatif d’une langue donnée, et qui, avec des critères de réalisation, forment sa lexicogrammaire.
Afin d’articuler une description de la lexicogrammaire de la ponctuation bretonne, la présente thèse s’appuie sur des analyses syntaxiques et sémantiques effectuées sur un corpus composé de 551 énoncés écrits provenant de 27 extraits littéraires. Les résultats de ces analyses nous permettent d’abord de faire l’inventaire des signes de ponctuation bretonne et de les associer à des éléments syntaxiques et à des valeurs sémantiques. À partir de ces données, nous réussissons à identifier des liens qui existent entre certains choix sémantiques et la présence de certains éléments syntaxiques dans l’énoncé écrit. Nous parvenons aussi à formuler un modèle descriptif de la ponctuation bretonne. Celui-ci consiste en un réseau systémique que nous utilisons ensuite pour définir la valeur sémantique de chacun des signes de ponctuation recensés dans notre corpus. Cependant, notre description de la ponctuation bretonne ne peut être que provisoire, puisque il n’existe pas encore un modèle systémique fonctionnel génératif capable de vérifier nos conclusions.
Table des matières
1. L’Introduction
1.1. Quelques mots à propos de la langue bretonne
1.1.1. Un bref aperçu de l'évolution de la langue bretonne
1.1.2. La littérature dans la transmission du breton contemporain
1.1.3. L'orthographe bretonne : toujours une question polémique ?
1.2. Présentation de notre problématique
1.3. Présentation du contenu du présent travail
2. L'État de la question
2.1. La Langue bretonne
2.1.1. La Grammaire dite « traditionnelle »
2.1.2. La Grammaire dite « générative »
2.1.2.1. Le breton :VSO, V2, SVO ou X(P) VSO ?
2.1.2.2. Deux mots sur les idées de mouvement et de traces
2.1.2.3. la notion de pro-drop
2.1.3. D’autres approches majeures de la linguistique bretonne
2.1.3.1. La linguistique contrastive/comparative
2.1.3.1.1. La comparaison simple
2.1.3.1.2. La comparaison composée
2.1.3.2. La sociolinguistique
2.1.3.2.1. Qui parle breton aujourd'hui ?
2.1.3.2.2. Le bretonnant « traditionnel » vs. le « néo-bretonnant »
2.1.3.3. Quelques études « marginales » qui méritent notre regard
2.1.3.3.1. Description syntaxique du syntagme verbal en breton de C. Avézard-Roger
2.1.3.3.2. « Syntaxe et interlocution [...] » de D. Bottineau
2.2. La Ponctuation
2.2.1. Qu'est-ce que la ponctuation ?
2.2.1.1. L'évolution historique de la ponctuation
2.2.1.2. Quels sont les signes de ponctuation ?
2.2.2. La ponctuation prescriptive ou la ponctuation descriptive ?
2.2.2.1. Le bon usage
2.2.2.2. Du point de vue linguistique
2.2.2.2.1. Les fonctions de la ponctuation
2.3. Pourquoi la Linguistique Systémique Fonctionnelle ?
2.3.1. La LSF vs. la linguistique générative
2.3.2. La LSF vs. la sociolinguistique
2.3.3. La LSF vs. la linguistique énonciative
2.3.4. La LSF vs. la linguistique fonctionnelle
2.4. Synthèse de notre état de la question
3. La Linguistique Systémique Fonctionnelle
3.1. Les fondements de la LSF
3.1.1. Les idées « révolutionnaires » de Halliday selon Robin P. Fawcett
3.1.1.1. La primauté des relations paradigmatiques
3.1.1.2. La primauté du sens
3.1.1.3. La réalisation simultanée de plusieurs fils de sens
3.1.1.4. La notion d'une lexicogrammaire unifiée
3.1.1.5. L'incorporation de l'intonation dans la lexicogrammaire
3.1.2. La diversification de la LSF
3.2. La Grammaire Sydney
3.2.1. Les éléments clés de la Grammaire Sydney
3.2.1.1. Il s’agit d’abord et avant tout de la primauté du sens.
3.2.1.2. La nature socio-sémiotique de la langue
3.2.1.3. Les trois métafonctions principales de la Grammaire Sydney
3.2.1.3.1. Textuelle
3.2.1.3.2. Interpersonnelle
3.2.1.3.3. Idéationnelle
3.2.1.4. Modéliser le potentiel significatif et définir ses liens avec la réalisation
3.2.2. Deux points faibles de la Grammaire Sydney
3.2.2.1. La multiplication des « structures »
3.2.2.2. Des réseaux systémiques insuffisamment ancrés dans la sémantique
3.3. La Grammaire Cardiff
3.3.1. La GC et la GS ont des aspects en commun
3.3.2. Les éléments distinctifs de la GC
3.3.2.1. Les éléments principaux d'une grammaire systémique fonctionnelle selon la Grammaire Cardiff
3.3.2.2. La GC: une approche cognitive-interactive
3.3.2.3. La production prime sur la compréhension
3.3.2.4. Le modèle génératif tel que la Grammaire Cardiff le conçoit
3.3.2.4.1. Le Sentence Planner
3.3.2.5. La théorie syntaxique de la GC
3.3.2.6. Les fils sémantiques majeures selon la GC
3.4. La ponctuation d'un point de vue systémique fonctionnel
3.5. Nos innovations
3.5.1. Une nomenclature mieux adaptée aux nuances de la ponctuation
3.5.2. D’autres innovations
3.5.2.1. Un fil sémantique informationnel augmenté
3.5.2.2. Le « complexe » et le « groupe verbal »
3.5.2.2.1. L’intégration d’une notion de complexe dans la Grammaire Cardiff
3.5.2.2.2. L’adoption d’un groupe verbal révisé
3.6. Synthèse de nos bases théoriques
4. Notre méthodologie
4.1. Définir le corpus
4.1.1. Les critères de base
4.1.1.1. La langue écrite
4.1.1.2. Le nombre et la longueur des textes
4.1.1.3. La diversité des auteurs
4.1.2. Nos textes
4.1.2.1 La justification du choix des textes
4.1.2.1.1. La question des textes littéraires
4.1.2.1.2. La question de l'orthographe
4.1.2.1.3. L'inclusion des écrivains néo-bretonnants
4.2. Comment analyser les textes ?
4.2.1. Nos analyses syntaxiques et sémantiques
4.2.1.1. Les analyses syntaxiques
4.2.1.2. Les analyses sémantiques
4.2.1.3. Un petit inconvénient et notre façon d’y pallier
4.2.2. La synthèse des analyses
4.3. Synthèse de notre méthodologie
5. L’analyse lexicogrammaticale de la ponctuation en langue bretonne
5.1. Yann-Frañsez Kaba (1895-1944)
5.1.1. extrait 1
5.1.1.1. extrait 1: énoncé écrit 1
5.1.1.2. extrait 1: énoncé écrit 2
5.1.1.3. extrait 1: énoncé écrit 3
5.1.1.4. extrait 1: énoncé écrit 4
5.1.1.5. extrait 1: énoncé écrit 5
5.1.1.6. extrait 1: énoncé écrit 6
5.1.1.7. extrait 1: énoncé écrit 7
5.1.1.8. extrait 1: énoncé écrit 8
5.1.1.9. extrait 1: énoncé écrit 9
5.1.1.10. extrait 1: énoncé écrit 10
5.1.1.11. extrait 1: énoncé écrit 11
5.1.1.12. extrait 1: énoncé écrit 12
5.1.1.13. extrait 1: énoncé écrit 13
5.1.1.14. extrait 1: énoncé écrit 14
5.1.1.15. extrait 1: énoncé écrit 15
5.1.1.16. extrait 1: énoncé écrit 16
5.1.1.17. extrait 1: énoncé écrit 17
5.1.1.18. extrait 1: énoncé écrit 18
5.1.1.19. extrait 1 : énoncé écrit 19
5.1.1.20. extrait 1 : énoncé écrit 20
5.1.1.21. extrait 1 : synthèse des analyses
5.1.2. extrait 2
5.1.2.1. extrait 2 : énoncé écrit 1
5.1.2.2. extrait 2 : énoncé écrit 2
5.1.2.3. extrait 2 : énoncé écrit 3
5.1.2.4. extrait 2 : énoncé écrit 4
5.1.2.5. extrait 2 : énoncé écrit 5
5.1.2.6. extrait 2 : énoncé écrit 6
5.1.2.7. extrait 2 : énoncé écrit 7
5.1.2.8. extrait 2 : énoncé écrit 8
5.1.2.9. extrait 2 : énoncé écrit 9
extrait 2 : énoncé écrit 9a
extrait 2 : énoncé écrit 9b
extrait 2 : énoncé écrit 9c
5.1.2.10. extrait 2 : énoncé écrit 10
5.1.2.11. extrait 2 : énoncé écrit 11
5.1.2.12. extrait 2 : énoncé écrit 12
5.1.2.13. extrait 2 : énoncé écrit 13
5.1.2.14. extrait 2 : énoncé écrit 14
5.1.2.15. extrait 2 : énoncé écrit 15
5.1.2.16. extrait 2 : énoncé écrit 16
5.1.2.17. extrait 2 : énoncé écrit 17
5.1.2.18. extrait 2 : énoncé écrit 18
5.1.2.19. extrait 2 : énoncé écrit 19
5.1.2.20. extrait 2 : énoncé écrit 20
5.1.2.21. extrait 2 : énoncé écrit 21
5.1.2.22. extrait 2 : synthèse des analyses
5.2. Gwilherm Berthou-Kerverziou (1908-1951)
5.2.1. extrait 3
5.2.1.1. extrait 3: synthèse des analyses
5.3. Yann-Vari Kerwerc'hez (1910-1974)
5.3.1. extrait 4
5.3.1.1. extrait 4 : synthèse des analyses
5.4. Youenn Drezen (1899-1972)
5.4.1 extrait 5
5.4.1.1. extrait 5: synthèse des analyses
5.4.2. extrait 6
5.4.2.1. extrait 6: synthèse des analyses
5.4.3. extrait 7
5.4.3.1. extrait 7: synthèse des analyses
5.5. Fañch Elies-Abeozen (1896-1963)
5.5.1. extrait 8
5.5.1.1. extrait 8 : synthèse des analyses
5.5.2. extrait 9
5.5.2.1. extrait 9 : synthèse des analyses
5.5.3. extrait 10
5.5.3.1. extrait 10 : synthèse des analyses
5.5.4. extrait 11
5.5.4.1. extrait 11 : synthèse des analyses
5.5.5. extrait 12
5.5.5.1. extrait 12 : synthèse des analyses
5.5.6. extrait 13
5.5.6.1. extrait 13 : synthèse des analyses
5.6. Gawain (???)
5.6.1. extrait 14
5.6.1.1. extrait 14 : synthèse des analyses
5.7. Yann Ar Gow (1897-1966)
5.7.1. extrait 15
5.7.1.1. extrait 15 : synthèse des analyses
5.8. Roparz Hemon (1900-1978)
5.8.1. extrait 16
5.8.1.1. extrait 16 : synthèse des analyses
5.8.2. extrait 17
5.8.2.1. extrait 17 : synthèse des analyses
5.8.3. extrait 18
5.8.3.1. extrait 18 : synthèse des analyses
5.8.4. extrait 19
5.8.4.1. extrait 19 : synthèse des analyses
5.9. Ronan Huon (1922-2003)
5.9.1. extrait 20
5.9.1.1. extrait 20 : synthèse des analyses
5.10. Fant-Rozeg Meavenn (1911-2001)
5.10.1. extrait 21
5.10.1.1. extrait 21 : synthèse des analyses
5.10.2. extrait 22
5.10.2.1. extrait 22 : synthèse des analyses
5.11. Reun Menez-Keldreg (1914-1984)
5.11.1. extrait 23
5.11.1.1. extrait 23 : synthèse des analyses
5.12. Jakez Riou (1899-1937)
5.12.1. extrait 24
5.12.1.1. extrait 24 : synthèse des analyses
5.12.2. extrait 25
5.12.2.1. extrait 25 : synthèse des analyses
5.13. Frañsez Vallée (1860-1949)
5.13.1. extrait 26
5.13.1.1. extrait 26 : synthèse des analyses
5.13.2. extrait 27
5.13.2.1. extrait 27 : synthèse des analyses
6. Vers une description empirique de la ponctuation bretonne
6.1. Observations générales
6.2. Sur la syntaxe de la ponctuation bretonne
6.2.1. L’ensemble
6.2.2. Le sous-ensemble
6.2.3. La Rannig
6.3. Sur la sémantique de la ponctuation bretonne
6.3.1. Interpersonnelle
6.3.2. Thématique
6.3.3. Informationnelle
6.3.4. Les fils sémantiques dits relations logiques et affective
6.4. Quelques ébauches des réseaux systémiques
6.4.1. Un regard global sur les réseaux systémiques ponctuationnels
6.4.2. L’exposition des signes de ponctuation du point de vue systémique
6.4.2.1. Le « . »
6.4.2.2. Le « ? »
6.4.2.3. Le « ! »
6.4.2.4. Le « : »
6.4.2.5. Le « ; »
6.4.2.6. La « , »
6.4.2.7. Le « »
6.4.2.8. Le « – » et les « ( ) »
6.4.2.9. La majuscule
6.4.2.10. La « ‘ »
6.5. Quelques commentaires sur les probabilités provisoires
6.6. Deux mots sur les critères de réalisation
6.7. La prochaine étape : évaluer nos observations en les intégrant dans une grammaire systémique fonctionnelle générative ?
Appendices
I. Glossaire des termes en Grammaire Cardiff de la Linguistique Systémique Fonctionnelle
Units/les Unités
Elements of the Clause/ Les Éléments de la Proposition
Elements of the nominal group/ les Éléments du groupe nominal
Elements of the prepositional group/ les Éléments du groupe prépositionnel
Elements of the quality group/ les Éléments du groupe qualitatif
Elements of the quantity group/ les Éléments du groupe quantitatif
Elements of the genitive cluster/ les Éléments de l'agglomérat génitif
Elements found in all groups/ les Éléments qui se trouvent dans tous les groupes
La Bibliographie :
Résumé
Au cours du XXe siècle, des changements dans les habitudes linguistiques et culturelles des bretonnants ont suscité une plus forte dépendance de la langue écrite pour le développement et la transmission du breton. Et lorsqu’il est question de la langue écrite, il est aussi souvent question de la ponctuation. Mais malgré la quantité non négligeable des études linguistiques portant sur le breton, la ponctuation bretonne reste inexplorée.
Notre travail s’inscrit dans le cadre théorique de la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Celle-ci donne une importance primaire aux choix sémantiques qui peuvent éventuellement être réalisés à travers des formes syntaxiques et lexicales. Les systémiciens modélisent ces choix-là au moyen de réseaux systémiques qui sont destinés à représenter le potentiel significatif d’une langue donnée, et qui, avec des critères de réalisation, forment sa lexicogrammaire.
Afin d’articuler une description de la lexicogrammaire de la ponctuation bretonne, la présente thèse s’appuie sur des analyses syntaxiques et sémantiques effectuées sur un corpus composé de 551 énoncés écrits provenant de 27 extraits littéraires. Les résultats de ces analyses nous permettent d’abord de faire l’inventaire des signes de ponctuation bretonne et de les associer à des éléments syntaxiques et à des valeurs sémantiques. À partir de ces données, nous réussissons à identifier des liens qui existent entre certains choix sémantiques et la présence de certains éléments syntaxiques dans l’énoncé écrit. Nous parvenons aussi à formuler un modèle descriptif de la ponctuation bretonne. Celui-ci consiste en un réseau systémique que nous utilisons ensuite pour définir la valeur sémantique de chacun des signes de ponctuation recensés dans notre corpus. Cependant, notre description de la ponctuation bretonne ne peut être que provisoire, puisque il n’existe pas encore un modèle systémique fonctionnel génératif capable de vérifier nos conclusions.
D’an holl a labour evit astenn ar frankiz hag ar peoc’h…
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de thèse, Monsieur le Professeur Desiderio Tejedor de Felipe, pour toute la confiance qu’il m’a accordée lorsqu’il a accepté de participer à mon projet un peu hors-piste, mais aussi pour son soutien pendant tout mon parcours doctoral.
Je remercie aussi tous ceux qui m’ont encouragé tout au long du chemin, que ce soit en me donnant de leur temps, en partageant leurs bons conseils, ou bien en m’offrant un sourire d’amitié dans ces moments où le travail de thèse risquait de devenir une corvée solitaire : Sarah et Pascal M., Thierry T., Ingrid M., Denise M., Claire B., Miguel G., et tous mes professeurs et camarades de classe à l’École française de Middlebury.
Et un très grand merci à Aimée W. pour sa patience, pour ses encouragements, pour son soutien inébranlable, mais surtout pour sa tendresse.
1. L’Introduction
« I don't see how you can justify devoting your research career to the syntax of French, a language with millions of speakers, when the skills that you possess could help document a language that is going to go extinct in your lifetime. » K. David Harrison (Kramer, Miller, & Newberger, 2008)
Nous nous voyons comme étant partisans d’une « linguistique engagée ». Et les questions portant sur les langues menacées nous semblent être d’une urgence toute particulière. Cela n’empêchera sans doute pas que certains de nos lecteurs s'étonneront tant soit peu qu'une thèse élaborée dans le cadre des études doctorales à l'École française de Middlebury College se donne comme objet de recherche une langue celtique : le breton. Et cette surprise serait certainement légitime, si on ne tenait pas compte des faits tels que les suivants :
- En 1999, la France a signé la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.
- En 2008, « [l]a réforme institutionnelle adoptée par le Congrès le 21 juillet a fait entrer dans l'article 75 de la Constitution l'appartenance des langues régionales "au patrimoine de la France"’ » (Ternisien, 2008, c’est l’auteur qui souligne).
- En 2014, « la proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires […] a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale » (« Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ratification. Proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires - Panorama des lois - Actualités - Vie-publique.fr », 2014).
- Fin 2016, l’Assemblée nationale a adopté quatre articles d’une loi visant à promouvoir les langues régionales (Larvor, 2016).
Il semble clair que la question des langues régionales n’est pas sans importance, puisqu’elle continue à appartenir à l’actualité politique nationale, voire internationale, en France. Il nous paraît donc aussi évident que les recherches portant sur une langue régionale ont une pertinence toute particulière dans un programme visant à former des professionnels dans le domaine de l'enseignement des langues et cultures françaises.
Mais tout en admettant la valeur d'une étude sur les langues régionales de France, on pourrait bien se demander pourquoi nous avons choisi le breton et non pas le basque, l'alsacien, l'occitan, le francoprovençal, le comtois, etc. Une réponse à cette question serait peut-être moins évidente. Nous pourrions dire que l'usage de la langue bretonne, c'est un sujet d'actualité qui ne manque pas de susciter de l'intérêt et la polémique, mais on constaterait que cela est tout aussi vrai pour les autres langues régionales. Nous pourrions alors expliquer que l'auteur de la présente étude a des attaches personnelles au breton ; il a vécu en Bretagne juste après avoir terminé ses études de premier cycle ; à cette époque, il avait une collègue dont le père bretonnant prenait plaisir à partager sa première langue avec un jeune américain enthousiaste. Cependant, il faudrait reconnaître que l'auteur a des attaches tout aussi personnelles à l'alsacien, au provençal et au comtois. En fin de compte, nous devons avouer que, outre son actualité et nos attaches personnelles, nous avons choisi le breton en raison de l’accessibilité relative des textes en breton et sur le breton. Cela a facilité la tâche d'un chercheur qui ne peut se rendre sur le terrain que très périodiquement.
Malgré la disponibilité de ces textes, le breton reste quand même une langue méconnue par le lecteur français francophone, sans parler de l’ignorance presque totale sur ce sujet de la part de la majorité de ceux qui demeurent en dehors de l’Hexagone. Il nous semble donc utile d’offrir à nos lecteurs quelques mots à propos de la langue bretonne, son évolution, le rôle de la littérature dans sa transmission et son orthographe. Cela préparera le terrain pour la présentation de la problématique qui guidera nos recherches. Et puis nous terminerons ce premier chapitre par l'annonce du plan de travail de la présente thèse.
1.1. Quelques mots à propos de la langue bretonne
Étant donné que, en dehors de la communauté bretonnante, la langue bretonne peut paraître mystérieuse ou impénétrable, le croquis du breton qui suit servira autant d'initiation à la matière que de point de départ à nos recherches. Par conséquent, notre description se voudra, malgré sa brièveté, panoramique. Cette esquisse consistera donc en un bref aperçu de l'évolution de la langue bretonne, un regard sur le rôle de la littérature dans la transmission du breton contemporain et un coup d’œil sur la question de l'orthographe bretonne.
1.1.1. Un bref aperçu de l'évolution de la langue bretonne
Le breton est une langue vivante qui se classe parmi le groupe brittonique de la branche celtique des langues indo-européennes. Ceux qui se sont penchés sur la question semblent tous reconnaître trois périodes majeures dans l'évolution de la langue bretonne : le vieux breton, le moyen breton et le breton moderne. Il est à noter que cette division-là se base sur les textes écrits qui sont parvenus jusque à nos jours, mais ces derniers ne représentent pas de manière égale le développement de la langue bretonne. Ces textes sont en effet très épars avant la période moderne. Une telle disparité nous empêche de saisir, selon le linguiste P. Schrijver, l'évolution graduelle du breton (2011a, p. 359). Il faudrait donc considérer les étapes identifiées, non pas comme des unités discrètes, mais comme des points de repère au long d'un parcours continu.
Pour le breton, le parcours semble trouver ses sources dans une langue celte latinisée qui a survécu à l'empire romain dans le nord et l'ouest des îles britanniques. P. Schrijver parle ici d'un proto-brittonique qui formerait la base d'un vieux brittonique (2011b, p. 3 5). Celui-ci, qui semble se définir vers le VIIe siècle, connaîtrait, au fil du temps, deux dialectes majeurs : le vieux gallois et le vieux brittonique sud-occidental. Ce dernier donnerait, à son tour, au cours des XIe et XIIe siècles, naissance à deux dialectes principaux : le vieux cornique et le vieux breton (Fife, 2009, p. 5; Schrijver, 2011b, p. 2 5).
Nous devons signaler que, malgré le fait qu'une distinction entre le vieux cornique et le vieux breton soit impossible avant le XIe siècle (Schrijver, 2011b, p. 4), on appelle « vieux breton » même les textes brittoniques sud-occidentaux antérieurs lorsqu'il s'agit de la langue utilisée dans la péninsule armoricaine (e.g. Fleuriot, 1959; Plenier, 2010, p. 23 31). Mais, puisqu'un examen détaillé de cette distinction nous éloignerait de notre objectif, c'est-à-dire un bref aperçu de la langue bretonne, nous ne l'aborderons pas. Il nous suffit ici de souligner que le vieux breton, à l'acception large ou étroite, est la manifestation d'un processus linguistique évolutif qui, d'un côté, le lie aux autres langues brittoniques, et, d'un autre côté, le distingue de ces derniers sur les plans phonologique, morphologique, syntaxique, etc. (Schrijver, 2011b) Au cours du XIe siècle, les distinctions deviennent plus marquées et c'est à partir de celles-ci que les linguistes délimitent la frontière entre le vieux breton et le moyen breton.
Le terme « moyen breton » s'applique normalement au breton qui commence à la fin du XIe siècle et qui dure jusqu'à la première moitié du XVIIe siècle (Schrijver, 2011a, p. 359 360). « Pendant ces cinq siècles, la langue bretonne va évoluer pour se rapprocher de celle que nous connaissons. Elle s'est complètement différenciée du gallois et s'éloigne peu à peu du cornique. C'est définitivement la langue de la Bretagne armoricaine. » (Plenier, 2010, p. 33) Un examen de l'évolution de cette langue armoricaine permet la distinction de trois sous-étapes à l'intérieur du moyen breton : le moyen breton précoce (de la fin du XIe au milieu du XVe), le moyen breton classique (du milieu du XVe à la fin du XVIe), et le moyen breton tardif (la première moitié du XVIIe) (Schrijver, 2011a, p. 360).
Une des caractéristiques majeures de la période du moyen breton c'est l'influence des langues romanes sur son développement. Cette influence se fait sentir de manière particulièrement remarquable dans le domaine du lexique (Press, 2009, p. 427). Cependant, P. Schrivjer démontre clairement que le moyen breton diffère du vieux breton également aux niveaux phonologique, morphologique et syntaxique (2011a). En fait, sur le plan syntaxique, le moyen breton classique se révèle déjà très proche du breton moderne (2011a, p. 414).
Quant à ce breton moderne, son début est marqué par la publication, en 1659, du Sacré Collège de Iesvs [...] (Plenier, 2010, p. 49; Schrijver, 2011a, p. 419), mais sa division en étapes reste un point de désaccord parmi les linguistes. Certes, il semble y avoir un consensus sur les frontières du breton moderne précoce, qui s'entend de 1659 jusqu'au début du XIXe siècle quand J.-F. Le Gonidec fait publier en 1807 sa Grammaire celto-bretonne et en 1821 son Dictionnaire celto-breton ou breton-français (Plenier, 2010, p. 64 65; Ternes, 2011, p. 432; Timm, 2009, p. 718). Mais pour certains linguistes, ces deux publications signalent le début d’un breton moderne proprement dit qui persiste jusqu'au présent (Timm, 2009, p. 718). Cependant, la charnière des XIXe et XXe siècles a vu le développement d'un mouvement littéraire contemporain qui aurait un tel impact sur la langue que d’autres linguistes y trouvent le point de départ d’une troisième étape dans le développement du breton moderne (Ternes, 2011, p. 434). Ce dernier argument nous semble convaincant, et c'est justement ce breton littéraire contemporain qui fera l'objet de nos recherches.
1.1.2. La littérature dans la transmission du breton contemporain
Bien que le breton s'écrive depuis le vieux breton (Plenier, 2010, p. 25), c'est pendant sa période moderne que l'écriture bretonne montre sa plus grande richesse littéraire. On peut y voir un paradoxe dans le fait que la montée du breton littéraire aux XIXe et XXe siècles semble coïncider avec le déclin du breton populaire (2010, p. 96 97). Quoiqu'il en soit, c'est ce breton littéraire qui forme la base du breton standard enseigné à l'école (Timm, 2009, p. 727). Et puisque le breton se transmet de moins en moins en milieu familial et de plus en plus en milieu scolaire (Déniel, 2014), il nous paraît raisonnable de conclure que le rôle de la littérature bretonne dans la transmission de la langue bretonne va grandissant, ne serait-ce que de manière indirecte. Mais il faut avouer que, pour l'instant, il semble y avoir très peu de recherches concrètes concernant cette question. Nous sommes tout de même d'accord avec D. Déniel lorsqu'il écrit, au sujet de la question de la survie de la langue bretonne, « [l']approche plus littéraire serait un sacré atout pour les décennies à venir. »
1.1.3. L'orthographe bretonne : toujours une question polémique ?
Chaque communauté linguistique qui se dote d'une écriture se trouve confrontée à une série de questions épineuses qui peut se résumer ainsi : quelle écriture faudrait-il adopter ? La communauté bretonnante ne fait pas d'exception à la règle. En fait, la question de l'écriture bretonne, ou plus précisément de l'orthographe bretonne, en est une qui se pose depuis presque mille ans et qui n'est pas encore résolue à la satisfaction de toutes les parties concernées.
Les efforts vers l'établissement d'une orthographe bretonne standard datent de la période du moyen breton qui a connu deux versions standard basées sur le breton des prêtres vivant dans le Trégor. Plus tard, juste après la Grande Révolution française, c'est-à-dire bien dans la période du breton moderne, se développe une troisième orthographe standard, toujours basée sur le breton trégorrois. Chacune de ces trois orthographes s'appliquait surtout à la production des textes religieux destinés au petit peuple bretonnant (Timm, 2000, p. 148).
Au XIXe siècle, une espèce de « celtomanie », qui se fait sentir dans certains secteurs du monde bretonnant, suscite une vague de réformes orthographiques et lexicales censées normaliser la langue bretonne et la purger de toute influence française. L'élan de ce mouvement sera maintenu, et même intensifié, au XXe siècle par des militants partisans d'une orthographe unifiée comme expression d'une politique régionaliste, voire nationaliste (Timm, 2000, p. 148 149). Mais, contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, ces efforts vers une unification orthographique bretonne n'ont jamais abouti.
En fait, le XXe siècle est une période où l’orthographe bretonne subit une forte polarisation dialectale : d’un côté le breton cornouaillais, léonard et trégorrois sous une même étiquette, le KLT ; et de l’autre le breton vannetais. Cette division s'exprime d'abord à travers la formulation de deux orthographes standard distinctes : l'orthographe vannetaise en 1902 et l'orthographe KLT en 1907. En 1941 l'adoption d'une orthographe dite « peurunvan » , c'est-à-dire « super-unifiée » (Broudic, 1999, p. 21), semble mettre fin à la nécessité de la bifurcation orthographique. Après tout, le peurunvan se voulait l'aboutissement d'un projet d'unification orthographique censée munir le breton d'une écriture unique afin de le rendre susceptible de devenir une langue d'enseignement au même titre que le français. Mais le fait que le peurunvan voit le jour pendant l'Occupation, tout autant que ses faiblesse sur le plan linguistique, le rend suspect aux yeux de certains (Wmffre, 2007a, p. xxvii). Le peurunvan se révèle plus polémique qu’unificateur. Alors, en 1955 certains adoptent le « skolvreurieg », l'orthographe dite universitaire. D'un point de vue, le skolvreurieg peut être considéré comme un pas en arrière par rapport à l'unification orthographique puisqu'il offre de nouveau deux variantes standard : le skolveurieg KLT et le skolveurieg vannetais. Et puis le skolveurieg et le peurunvan ont chacun ses adhérents, ce qui provoque des tensions dans les milieux bretonnants académique et littéraire. Il y aura donc des tentatives de réunir le peurunvan et le skolveurieg. Ces effort aboutissent, en 1975, à la création d'une orthographe interdialtectale, le « etrerannyezhel » (Ar Menteg, 2013). Malheureusement, cela ne fait qu’attiser le feu de la discorde.
Alors, dans ces premières années du XXIe siècle, le breton semble disposer non pas d'une orthographe standard, mais de trois, voire quatre si on compte séparément les deux variantes du skolveurieg ! En réalité, la situation est plus simple. Oui, il existe toujours plusieurs propositions d'orthographe standard, mais en 1999 Fañch Broudic pouvait déjà écrire : « l'orthographe ''unifiée'' [c’est-à-dire le peurunvan] est actuellement la plus utilisée dans l'enseignement. » (1999, p. 21) Aujourd'hui, on n'hésite pas à affirmer que le peurunvan « est de très loin l'orthographe dominante. » (« Reizhskrivadur ar brezhoneg », s. d.) Ceci ne veut pas dire que les autres orthographes n'ont plus de partisans. Mais vu que les orthographes bretonnes se ressemblent plus qu'elles ne se différencient, et vu que d'autres menaces à l'existence même du breton se montrent de plus en plus imminentes, la question de l'orthographe semblent peut-être moins pertinente. Et même s'il y en a toujours qui militent en faveur de réformes orthographiques, nous avons l'impression que bon nombre de bretonnants aujourd'hui n'ont pas envie de revenir sur une question qui a provoqué tant de divisions au siècle précédent.
1.2. Présentation de notre problématique
De notre survol de la langue bretonne, le lecteur retiendra sans doute ces trois points importants : la littérature contemporaine en breton est un véhicule, voire un moteur, de l’évolution de la langue ; l’importance du breton littéraire va grandissant dans la transmission de la langue ; la question du breton comme langue écrite est étroitement liée à celles portant sur une identité bretonne, comme on peut deviner à travers les débats polémiques sur l’orthographe bretonne. De là on comprendra non seulement que la langue bretonne écrite se présente comme un objet de recherches linguistiques tout à fait pertinent, mais aussi qu’elle est d’un intérêt linguistique tout particulier par sa valeur pluridisciplinaire. Et lorsqu’il s’agit de la langue écrite, il n'y a rien de plus emblématique que la ponctuation. Vu que celle-ci n'est plus considérée comme universelle, il est raisonnable d’envisager des enquêtes portant sur la ponctuation bretonne.
Voilà précisément ce que nous proposons de faire ici. Nous chercherons à jeter un peu de lumière sur la question : Dans quelle mesure la ponctuation est-elle une ressource lexicogrammaticale de la langue bretonne ?
Mais la simplicité de notre problématique est quelque peu trompeuse, et cela à cause de ces deux termes : ponctuation et lexicogrammaire. Définissons-les :
Ponctuation. C’est un terme auquel on attribue des acceptions larges aussi bien que restreintes. Nous en ferons l’inventaire, et nous en proposerons une définition précise, lorsque nous reviendrons sur la question dans la partie 2.2. de la présente thèse. Pour l'instant il suffit de dire que nous adoptons ici la notion d'une ponctuation restreinte qui se limite à des signes de ponctuation opérant au niveau de la phrase. Autrement dit, la ponctuation sera, pour nous, les signes comme « . », « ? », « ! », « , », etc. qui viennent tout de suite à l’esprit du non-spécialiste lorsqu’on utilise le mot.
Lexicogrammaire. C'est un terme technique qui désigne à la fois un concept développé dans le cadre de la Linguistique Systémique Fonctionnelle et l’outil qui le réalise ; A. Caffarel définit le concept de la manière suivante:
Combinaison de la grammaire et du lexique (vocabulaire) ; l’ensemble des ressources pour signifier verbalement. En dehors de la linguistique systémique, la grammaire et le lexique sont presque toujours traités comme des modules distincts. La théorie systémique interprète le lexique comme la grammaire la plus fine […] ou spécifique. (2006, p. 198 199)
Autrement dit, les systémiciens conçoivent la langue d’une manière qui insiste sur l’inutilité d’une division lexique-grammaire ; Quant à la lexicogrammaire comme outil descriptif et génératif, nous y reviendrons dans le chapitre 3, celui qui traite les bases théoriques de nos recherches.
Il devrait donc être clair que l’objet de notre investigation est bien délimité, et que nos recherches s’inscriront dans un cadre théorique parfaitement précis.
De plus, nos recherches seront d’un intérêt indubitable pour d’autres linguistes, puisque les réponses à notre problématique seront polyvalentes. Premièrement, elles nous permettront d’approfondir la description du breton. Deuxièmement, elles contribueront au développement des outils descriptifs destinés au phénomène de la ponctuation, attendu que les études linguistiques sur la ponctuation sont très éparses. Et troisièmement, nos réponses seront une occasion de vérifier la validité de certaines thèses défendues dans la Linguistique Systémique Fonctionnelle, car, malgré sa reconnaissance de la valeur linguistique de la ponctuation, aucun systémicien n'a encore abordé la question de ponctuation de manière adéquate. À tout cela nous pouvons ajouter que nos recherches seront les premières, à notre connaissance, en Linguistique Systémique Fonctionnelle à prendre le breton comme objet d'études.
1.3. Présentation du contenu du présent travail
Après ce premier chapitre servant d’introduction, le deuxième consistera en une élaboration de l'état de la question. Il s'agira d'examiner, d'un œil critique, quelques éléments des grands courants des travaux portant sur la langue bretonne et la ponctuation. Ainsi nous pourrons situer le présent travail dans un contexte d'études plus large. Cela nous mènera aussi à justifier notre choix de la Linguistique Systémique Fonctionnelle comme bases théoriques de notre travail.
Et le troisième chapitre sera celui où nous présenterons les aspects de la Linguistique Systémique Fonctionnelle (dorénavant LSF) qui sont les plus pertinents à la présente thèse. Dans un premier temps, nous tracerons les grandes lignes du développement de la LSF. Et dans un deuxième temps, nous préciserons les éléments distinctifs essentiels de la Grammaire Cardiff, c’est-à-dire la version de la LSF qui nous intéressera le plus.
Le quatrième chapitre, intitulé « Notre méthodologie », sera l'occasion d'expliciter la façon dont nous aborderons les analyses qui fourniront les données destinées à informer les réponses à notre problématique. Nous parlerons d'abord de la définition de notre corpus : les critères de base et les textes. Ensuite nous expliquerons notre approche analytique et la structure de nos commentaires.
Le cinquième chapitre sera consacré aux analyses qui nous permettront de mieux connaître le rôle de la ponctuation dans la lexicogrammaire de la langue bretonne. Ces analyses nous mèneront à des conclusions qui seront, elles, présentées au chapitre six.
2. L'État de la question
Lorsque nous choisissons d'examiner la langue bretonne par le biais du rôle lexicogrammaticale de sa ponctuation, il faut que nous tenions compte de l'énorme travail fait par nos devanciers dans trois domaines principaux. Premièrement, et c'est peut-être une évidence, nous devons évaluer les études linguistiques portant sur le breton. Une telle démarche nous aidera bien sûr à mieux comprendre la langue bretonne en tant qu'objet de recherches, mais elle nous permettra aussi d'entrevoir les points forts et faibles des approches linguistiques (générativistes, sociolinguistiques, fonctionnalistes, etc.) sur lesquelles les études dans le domaine se fondent. Deuxièmement, il sera nécessaire de parcourir l’œuvre académique traitant de la ponctuation. Nous serons obligés de porter notre regard sur des travaux qui se situent à l’extérieur de la linguistique proprement dite ; et cela pour la simple raison que la ponctuation attire l’attention de très peu de linguistes. Troisièmement, nous devrons justifier notre décision d’inscrire nos recherches dans le cadre de la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Nous le ferons par une brève comparaison de la LSF et trois des grands courants linguistiques. Notre intention sera de poser la convenance de la LSF avant d’entrer dans une discussion détaillée à son sujet, ce qui se fera dans le chapitre suivant.
2.1. La Langue bretonne
Il suffit d’observer la bibliographie du projet ARBRES , intitulée « Ressources bibliographiques pour la recherche en syntaxe et morphosyntaxe formelle du breton » et recueillie par Mélanie Jouitteau (2013), pour se rendre compte du grand intérêt que la langue bretonne suscite chez les linguistes de tous les grands courants. Il ne sera donc pas question ici de passer en revue toute la recherche portant sur le breton, au contraire. Nous nous limiterons à un aperçu critique sur un échantillon des travaux qui nous semblent les plus pertinents à la matière de la présente thèse , c’est-à-dire la lexicogrammaire de la ponctuation en langue bretonne.
Cependant, il n'existe pas, à notre connaissance, d'analyse de la ponctuation bretonne. Il nous faudra donc revenir sur la question de la ponctuation, ce que nous ferons dans la partie 2.2. du présent chapitre, pour l’aborder par le biais des études traitant la ponctuation française, espagnole, anglaise, etc. En ce qui concerne la langue bretonne plus généralement, nous nous concentrons sur les axes majeurs des études grammaticales que l’on lui a consacrées aux XXe et XXIe siècles.
Parmi ces axes, il y en a deux que l'on peut qualifier de dominants : la grammaire dite traditionnelle et la grammaire générative. Mais la linguistique contrastive et la sociolinguistique offrent aussi des regards intéressants sur le breton et méritent notre considération. Nous les incorporerons alors dans notre panorama.
2.1.1. La Grammaire dite « traditionnelle »
Plusieurs grammairiens et linguistes ont abordé la langue bretonne par le biais d'une approche souvent qualifiée de « grammaire traditionnelle ». Cette approche se caractérise par un manque de clarté théorique et par une tendance vers la description formelle normative. Cela ne veut pas dire que l'approche est sans valeur. Hémon (1970), Kervella (1947), Trépos (1980) et Press (1986) ont tous rédigé des grammaires traditionnelles qui continuent à fournir des points de repère à d'autres recherches linguistiques sur le breton. L'intérêt de ces grammaires se trouve surtout dans leurs descriptions formelles de la phonologie et de la morphologie de la langue bretonne. Mais ces ouvrages traitent la syntaxe de manière insuffisante. Prenons, par exemple, le traitement du « sujet » que nous propose Trépos. Il consiste en l’énumération d’une petite série de cas de figure destinés à illustrer les types de mots et de phrases susceptibles de remplir le rôle de « sujet » (1980, p. 243 244). Cependant, aucune définition du « sujet », ni de son rôle syntaxique ou sémantique, n’est articulée par l’auteur. En outre, lorsqu’il écrit « Dans la voix passive […] le véritable sujet de l’action est ce l’on nomme le complément d’agent » (1980, p. 243, c’est l’auteur qui souligne), Trépos semble assimiler le sujet au complément. Ainsi on arrive à une ambiguïté terminologique qui nous paraît typique de la « grammaire traditionnelle ». Et si on considère aussi que la ponctuation n’occupe que très peu de place dans les grammaires traditionnelles, on comprendra que le présent travail n'aura recours que rarement à ces ouvrages-là.
2.1.2. La Grammaire dite « générative »
Contrairement à la grammaire traditionnelle, les approches réunies sous l'étiquette de la Grammaire générative se basent sur un effort de précision théorique capable non seulement de décrire la syntaxe d'une langue, mais aussi de l'expliquer de manière que les fondements mêmes de la capacité langagière humaine puissent en être déduit. Le fondateur de ce grand courant linguistique est « Noam Chomsky (MIT, Cambridge, Massachusetts) dont les travaux ont à la fois permis un changement de cap dans l’histoire de la linguistique et un retour à la tradition rationaliste de Port-Royal. » (Moeschler & Auchlin, 2009, p. 79) Et « [p]our Chomsky, l'approche formelle du langage (l'étude de la syntaxe) est autonome et indépendante par rapport à l'étude de la sémantique. » (2009, p. 82) Les générativistes qui se penchent sur le breton partagent cette notion de l'autonomie de la syntaxe. Cela se fait sentir dans la manière dont ils abordent les questions qui semblent les préoccuper le plus, c'est-à-dire le positionnement du verbe et le statut du sujet dans la proposition bretonne.
Avant d'entrer dans un survol des grands thèmes abordés par ces générativistes, il est important de se rappeler que, puisque les bases théoriques du présent travail se trouvent dans la Linguistique Systémique Fonctionnelle, nous ne proposons pas ici une analyse en profondeur de la prise de position de la Grammaire générative par rapport à un quelconque élément de la syntaxe bretonne. Nous ne ferons qu'effleurer la matière par un petit compte-rendu des grands axes de l'argumentation générativiste . Ainsi nous aurons établi un premier point de repère qui nous aidera à situer la présente thèse dans un contexte plus large des recherches linguistiques.
2.1.2.1. Le breton :VSO, V2, SVO ou X(P) VSO ?
Comme les autres langues celtes, le breton se classe traditionnellement parmi les langues VSO (c.-à-d. verbe, sujet, objet). Cependant, le breton manifeste une flexibilité syntaxique qui dépasse de loin celle de ses proches parents. Ceci a suscité de nombreux débats sur la véritable nature de la structure de base d'une proposition bretonne. Pour le générativistes, la solution de cette énigme se bâtira sans doute sur l’idée d’une opposition entre la structure profonde et la structure de surface ; mais le consensus s’arrête là. L’importance de l’ordre VSO en breton n’est pas vraiment mise en question par la majorité de ces linguistes ; c’est le mécanisme permettant la réalisation d’autres ordres qui est le réel point de contention.
Considérons d’abord « Topicalization in Breton » de Stephen R. Anderson (1981). On voit que, ici, ce linguiste générativiste insiste sur le fait que la flexibilité syntaxique du breton ne gêne aucunement son classement comme langue VSO. Pour justifier sa prise de position, l'auteur s'appuie sur des exemples tels que les suivants :
- des propositions principales à la modalité déclarative négative
N'eo ket brav an amzer hiziv.
Nég/cop/nég beau déf temps aujourd'hui
« Il ne fait pas beau aujourd'hui »
- des propositions principales à la modalité impérative
Ro din un tamm bara.
Donner/impér prép/1esing indéf morceau pain
« Donne-moi un morceau de pain. »
- des propositions subordonnées
Pa welo da vamm-gozh da gaier-notennoù...
Quand voir/fut poss/2esing grand-mère poss/2esing cahier
« Quand ta grand-mère voit ton cahier... »
Anderson reconnaît quand-même que la structure typique des propositions principales déclaratives se réalise dans des propositions où le verbe est précédé d'un autre élément. Il en offrent plusieurs exemples dont le suivant est représentatif :
- Perig a zo o klask e vreur er c'hoad.
Nom propre/dim ® être/3sing part chercher/inf poss/3e frerè prép bois
« Le petit Pierre cherche son frère dans les bois. »
Mais, selon l'analyse d'Anderson, il s’agit d’une thématisation qui, selon l’analyse d’Anderson, ne saurait être une contradiction à un classement VSO.
Voici son raisonnement : l’élément qui apparaît dans la position pré-verbale est le thème. Le choix du thème dépend des faits discursifs. L'auteur affirme que tout élément constitutif de la proposition peut être thématisé. Lorsque l'élément thématisé est un verbe sans flexion, Anderson l'interprète comme un verbe nominalisé qui fonctionne comme noyau d'un syntagme nominal. Il peut ainsi conclure que le thème est en-dehors de la structure de base de la proposition. Anderson trouve que la manière la plus naturelle d'aborder l'analyse structurelle du thème, c'est de le placer dans la position Comp (complémenteur), comme une sœur de S (phrase) et une fille de S’ (S' -» Comp S). Alors que l'élément thématisé est externe à S, Anderson peut se permettre de réaffirmer la qualité VSO de la phrase bretonne. (1981, p. 27 29)
Mais cet argument ne convainc pas tous. Prenons Borsely, Rivero et Stephens, par exemple. Dans leur article intitulé « Long Head Movement in Breton », ils se montrent d'accord avec Anderson au sujet du classement VSO de la langue bretonne, mais ils trouvent que la notion de la thématisation est insuffisante pour expliquer l'existence des formes VAuxSO (c-à-d Verbe, Auxiliaire, Sujet, Objet) en breton. Pour illustrer l’ordre VauxSO, les auteurs proposent des exemples comme les suivants :
- Lennet e oa al levr gant Yann.
Lire/accompli ® être/3esing/passé dét livre prép Jean
« Le livre a été lu par Jean. »
- Lenn a ra Anna al levr.
Lire ® faire/3e Anna dét livre
« Anna lit le livre. »
Selon les auteurs, ce phénomène s'explique mieux par le déplacement « étendu » de tête, « un procédé qui envoie un verbe directement à C[omp] sans que le verbe entre en contact avec certaines des têtes interposées. » (1996, p. 53 61)
Qu’il s’agisse de la thématisation ou du déplacement, l’idée que Comp se trouve à l’extérieur de S est primordiale pour ces arguments qui s’accrochent au classement VSO de la langue bretonne, tout en admettant de nombreux cas divergents. Et même si les étiquettes tendent à changer à mesure qu’évolue la linguistique générative, ce principe reste central à toute analyse générativiste visant la syntaxe bretonne. Cela n’empêche quand même pas certains générativistes de conclure à la nécessité de reclasser le breton.
Il y en a, par exemple, qui, tout en admettent la dominance de la structure VSO dans les propositions bretonnes subordonnées, avancent que, pour les propositions principales, une catégorisation de V2 (Verbe second) reflète mieux l'analyse des données. Dans son article intitulé « Negation and Verb Second in Breton », Robin Schafer nous offre un aperçu de la complexité de cette prise de position. Ici Schafer aborde la question de la syntaxe bretonne par le biais de la théorie du gouvernement et du liage. Il part de l’idée selon laquelle l'ordre VSO est celui qui n'est pas marqué dans les langues celtes, et il affirme que, en breton, ce phénomène se voit clairement dans les propositions enchâssées. Pour le démontrer, Schafer fait la comparaison suivante :
- Kredin ran [en deus aret Yann e bark].
Croire faire/1s ® avoir/3m labourer/accompl.Yann pos/3s champ
« Je crois que Yann a labouré son champ. »
- *Kredin ran [Yann en deus aret e bark].
Croire faire/1s Yann ® avoir/3m labourer/accompl. pos/3s champ
L'auteur affirme que la deuxième de ces phrases est considérée agrammaticale à cause de la proposition enchâssée où le sujet précède le verbe (1995, p. 136). Quant à la première, qui est jugée grammaticale, la structure VSO de la proposition enchâssée s'explique bien, selon Schafer, par la combinaison du déplacement V-à- I° et la position sujet interne à partir d'une structure SVO sous-jacente (1995, p. 137); notre illustration 1 montre l’essentiel de cet argument. Schafer poursuit en déclarant que cette même structure VSO, obligatoire pour les propositions enchâssées, n’est pas permise lorsqu’il s’agit d’une proposition principale en modalité affirmative , dont le verbe doit être précédé par un constituant qu’il nomme la XP (X-phrase, où X représente une catégorie de tête quelconque) pré-verbale (1995, p. 140). Mais en fin de compte, la qualité V2 des propositions principales ne semble pas suffisante, toujours selon Schafer, pour supprimer le caractère VSO du breton (1995, p. 170), qui se base lui-même sur une structure SVO sous-jacente.
Cette notion d'une structure SVO sous-jacente est assez répandue chez les générativistes qui se penchent sur des questions de la syntaxe bretonne. Mais elle semble aussi trouver un écho dans le travail d’autres linguistes qui définissent le breton tout simplement en termes de SVO. Ce positionnement est censé avoir ses racines dans un article de Amy Varin intitulé « VSO and SVO Order in Breton » où l'auteure pose que le breton moderne est une langue SVO et que ceci s'explique par son contact avec le français (Timm, 1989, p. 361; Winterton, s. d., p. 1). Cette idée sera développée par d'autres à un tel point que R. Raney se permet d'affirmer que « There is little question that the dominant word order in Modern Breton is SVO. » (1984, p. 49) Mais de telles affirmations, que nos propres expériences avec la langue bretonne semblent démentir, ne diminuent nullement l’envergure du débat sur la typologie syntaxique du breton.
En effet, M. Jouitteau prouve que, du point de vu générativiste, la typologie syntaxique du breton continue à être pertinente aujourd’hui non seulement pour une meilleure compréhension du breton, mais aussi pour répondre à des questions linguistiques plus larges. Dans sa thèse intitulée « La syntaxe comparée du breton », cette linguiste préconise la nécessité de reformuler la question de classification en avançant « un nouveau classement typologique des langues qui refond les ordres SVO, V2 et les ordres dits 'VSO' des langues celtiques et sémitiques dans le type X(P)-VSO. » (2005, p. 568) Le temps nous dira si un tel classement répondra suffisamment bien aux besoins théoriques de la linguistique générative pour enfin y établir un certain consensus sur ce point.
En attendant, il faut reconnaître qu'il existe toujours une diversité d'opinions sur la structure de base de la proposition bretonne à l'intérieur même du milieu générativiste. Mais le fait même que cette question reste contentieuse est peut-être révélateur d’une des faiblesses de la linguistique générative. Celle-ci semble exiger la postulation d’une structure syntaxique fondamentale à partir de laquelle il serait possible de tracer les chemins d’éventuels éloignements, sans toute fois valoriser le recours aux analyses des corpus pour vérifier la validité des hypothèses. À notre sens, cette approche est trop susceptible au picorage ; et ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les linguistes dont le niveau de breton est faible, c’est-à-dire la majorité de ceux qui ont écrit à ce sujet . Alors, il nous semble plus utile et plus révélateur d'abandonner un effort de classement rigide du breton basé sur les besoins théoriques en faveur d'une analyse objective des donnés. Ici nous suivons Timm qui, dans son article intitulé « Word Order in 20th Breton », favorise « [statistical predominance] as the chief indicator of basic word order » (1989, p. 362). Ainsi nous nous conformons aussi à la notion de « probabilité », adoptée par la Linguistique Systémique Fonctionnelle, dont nous parlerons brièvement dans la section 6.3. de la présente thèse.
2.1.2.2. Deux mots sur les idées de mouvement et de traces
En rejetant la notion de la nécessité de dégager une « structure fondamentale » de la proposition bretonne, nous nous libérons aussi du besoin d'adopter les concepts de mouvement, ou déplacement, et de traces qui servent aux générativistes à expliquer la réalisation des structures autres que la fondamentale. Le déplacement est un moyen de surmonter le décalage syntaxique que les générativistes aperçoivent lorsque « la structure de surface » ne correspond pas à la « structure profonde » comme dans les cas de l'inversion, de la topicalisation, des interrogatives à wh-initial, etc. (Dubois-Charlier & Vautherin, 2008, p. 8 9) . Et ce sont les traces qui permettent d'expliquer comment cette « structure de surface » n'échappe pas aux contraintes qui agissent sur la « structure profonde » (2008, p. 12).
Et quoique nous ne puissions que reconnaître le sérieux du travail de certains générativistes qui développent des analyses où le déplacement et les traces jouent un rôle important (voir, par exemple: Borsley et al., 1996; Jouitteau, 2011), nous ne sommes pas tout de même convaincu de l'utilité de ces deux concepts en dehors du cadre théorique générativiste où il s'agit de justifier un modèle qui oppose une « structure de surface » à une « structure profonde ». Il nous semble surtout que les règles censées gérer le déplacement et les traces dépendent plus de la manière dont on visualise la structure syntaxique que de cette structure elle-même. Considérons, par exemple, ce que dit C. Black au sujet du déplacement : « In general, a head can move into an empty head position […] or a maximal projection can move to an empty specifier position. » Pour illustrer cette notion, C. Black se sert de plusieurs exemples dont l’illustration 2 est resprésentative. Celle-ci est censée permettre l’explication de la transformation d’une phrase affirmative (« Sally has declined the job. ») en phrase interrogative (« Has Sally declined the job ? »). C. Black dit que « has », qui débute en V[aux], se déplace premièrement vers le nœud vide I[+fin] et ensuite vers le nœud vide C[+q] (1998, p. 24). À notre sens, une telle explication souffre de trois grandes faiblesses : d'abord, le manque absolu de preuve concrète que les nœuds existent en dehors d'une représentation graphique destinée à illustrer la théorie en question ; et puis même si on accepte l'existence de ces nœuds, il nous semble difficile d’admettre que I[+fin] puisse être considéré comme vide puisque le V[aux] « has » recèle des marques flexionnelles de troisième personne et de présent ; et finalement, les mécanismes structurels qui nécessiteraient un tel mouvement s’avèrent peu clairs. Nous constaterons que de telles faiblesses se font aussi sentir dans la notion de pro drop, c'est-à-dire le sujet nul, qui sert de point de départ à plusieurs études générativistes sur le breton, et qui sera l'objet de la section 2.1.2.3. du présent travail.
2.1.2.3. la notion de pro-drop
Tout comme le déplacement et les traces, le pro-drop est un concept qui sert à réconcilier ce que l'on peut observer dans les énoncés avec les prédictions fondées sur les théories génératives. La notion de pro-drop, c.-à-d. le sujet nul, postule la présence syntaxique du sujet même lorsque celui-ci ne se réalise pas au niveau phonologique (ou graphique). Cette présence s'explique par des « catégories pronominales vides » que les générativistes appellent « pro référentiel» (Guedes Pereira, 2008, p. 20). Il n'est pas question ici d'aborder ce concept dans ses moindre détails. Cependant, il faut reconnaître que le sujet mérite notre attention puisque plusieurs générativistes s'en sont servi dans leurs efforts d'expliquer la syntaxe bretonne.
Dans les études sur le breton, la notion de sujet nul est souvent liée au débats VSO/SVO /V2 dont nous venons de faire le compte rendu. Elle est aussi un élément constitutif de la discussion sur l'accord du verbe versus l'incorporation du sujet breton (Borsley & Stephens, 1989; Hendrick, 1988; Jouitteau & Rezac, 2006; voir Stump, 1984, 1989b). Au risque de caricaturer cette discussion, on pourrait la résumer en disant que les générativistes cherchent à articuler des contraints théoriques capables d'expliquer le phénomène, et ses exceptions, où la déclinaison personnelle du verbe se fait lorsque le sujet ne se réalise pas au niveau phonologique et vice versa. Pour illustrer ce phénomène, les générativistes se servent d'exemples isolés de tout contexte interlocutif tels « Levrioù a lennont. » et «Ar bugale a lenn levrioù. » En outre, ils attribuent une étendue plus large à la question lorsqu'ils reconnaissent le fait que le breton permet/exige aussi la déclinaison personnelle des prépositions. Autrement dit, lorsqu’il s’agit du breton, la notion de pro-drop ne se limite pas au « sujet nul », mais elle s'applique aussi à ce que nous pouvons appeler « complément nul ».
On soupçonne donc la complexité de la question. Mais cela n’est pas une spécificité de la langue bretonne, c’est tout aussi vrai pour les langues considérée exemplaires du pro-drop, comme l’espagnol. Dans son article « El español del Caribe : orden de palabras a la luz de la interfaz léxico-semantica y sintáctico-pragmatica », L.A. Ortiz López met en cause une interprétation simpliste de l'espagnol comme langue pro-drop. Il dit que « la investigación en torno al parámetro sujeto nulo ha demostrado que este parámetro es variable en muchos hablantes monolinguës, bilinguës y de herencia o atricción (L2). » Il insiste sur la nécessité de raffiner les connaissances dans ce domaine par des recherches plus larges (2009, p. 78 79).
Alors, on comprend que la considération des variables sociolinguistiques risque de fragiliser la validité de l’actuel concept pro-drop. On sait aussi que le breton connaît une situation sociolinguistique d'une complexité qui n'est pas encore suffisamment prise en compte par les chercheurs générativiste. Il nous paraît donc raisonnable d’écarter pro-drop des outils à considérer lors des analyses syntaxiques de la langue bretonne.
Mais en vérité, notre hésitation envers l’adoption des outils générativistes est globale. À notre sens la linguistique générative se fait de la langue une conception mécanique où la langue peut se définir par la somme des relations de ses parties structurelles constitutives. Sans nier l'importance de la prise en compte des structures linguistiques, nous croyons que l'effort de réduire la langue à un mécanisme dont l'opération s'ancre dans une série de règles structurelles n'aboutit pas à une véritable compréhension du phénomène linguistique puisque celui-ci sera toujours susceptible de varier aux caprices des locuteurs. Ici nous suivons M. Berry qui affirme que « [context of situation, context of culture and existing ressources of the language] may strongly influence human [linguistic] choice, but it is always open to human choosers to do something outrageous with their language, for humour, as a sign of rebellion, or for literary purposes. » (2013, p. 369) Nous estimons donc que la linguistique générative est très peu adaptée aux objectifs du présent travail.
2.1.3. D’autres approches majeures de la linguistique bretonne
Que la syntaxe bretonne soit l'objet de recherches importantes dans le domaine de la linguistique générative est hors de doute. Cependant on aurait tort de considérer le breton comme chasse gardée des générativistes. Au contraire, le breton suscite l'intérêt dans tous les grands courants de la linguistique. De ces derniers, la linguistique contrastive/comparative et la sociolinguistique nous semblent les plus pertinentes au présent travail. Nous offrirons donc ici un aperçu de quelques thèmes abordés dans ces deux domaines. Mais il y a aussi quelques études « marginales » qui méritent notre regard. Nous y jetterons un coup d’œil afin de rester fidèle à la diversité qui marque la linguistique bretonne.
2.1.3.1. La linguistique contrastive/comparative
Comparer et mettre en contraste des langues c'est peut-être la manière la plus instinctive d'aborder la linguistique. On entre en contact avec une nouvelle langue et on la met de manière quasi-automatique en rapport avec des langues déjà connues. L’élaboration d'une méthode comparative et « les premières contributions importantes » aux recherches linguistiques comparatives remontent au XIXe siècle (Perrot, 1971, p. 66). Il n'y a aucun doute qu'une telle approche peut aboutir à des révélations fascinantes à propos des langues en question. Voilà une des raisons pour laquelle la linguistique génétique, par exemple, suscite encore aujourd'hui tant d'intérêt (voir, par exemple, Jucquois, 2009). On ne devrait donc pas s'étonner que certains linguistes contemporains n'hésitent pas à étudier le breton par le biais d'une approche contrastive/comparative. Il nous est peut-être utile d'en considérer quelques exemples représentatifs ; ceux-ci se partagent en deux groupes majeurs que nous appellerons respectivement « la comparaison simple » et « la comparaison composée ».
2.1.3.1.1. La comparaison simple
Nous appelons « comparaison simple » toute recherche linguistique comparative/contrastive qui ne s'inscrit pas en même temps dans un autre courant théorique ou méthodologique. Sous cette rubrique se classent des textes assez variés en ce qui concerne la portée de leurs conclusions. Nous nous limiterons ici à deux exemplaires : un article de S. Hewitt et un autre de É. Corré.
Dans son article « Le progressif en breton à la lumière du progressif anglais », S. Hewitt fait une description du progressif en breton. C'est une description qu'on peut appeler "traditionnelle" dans le sens qu'elle semble dépourvue de bases théoriques bien définies. Hewitt constate l'existence de formes progressives et il en décrit la structure dans la langue bretonne. Ensuite il en examine l'emploi tout en soulignant les similarités et les différences entre le progressif breton et le progressif anglais. Ses conclusions semblent se limiter au constat que, oui, il y a effectivement des similarités et des différences entre le breton et l'anglais au niveau du progressif. En outre, cet article souffre de trois grandes faiblesses: 1. le manque de bases théoriques bien définies, 2. l'auteur compare un dialecte breton précis (le trégorrois) à un anglais standard, 3. l'auteur accepte la dichotomie instance possible/instance impossible au lieu de considérer les instances en termes de probabilités. La portée de ses conclusions nous semblent donc assez restreinte.
Au contraire, celles présentées par É. Corré dans son article intitulé « L'auxiliarité en anglais et en breton : le cas de DO et d'OBER » nous paraissent vraiment intéressantes. Par le biais d'une approche contrastive, É. Corré présente la conjugaison périphrastique du verbe breton à la lumière de la grammaire, synchronique et diachronique, de l'anglais. Tout d'abord, Corré adopte "la thèse de P. Miller pour qui 'DO auxiliaire et Do verbe plein sont deux mots séparés en anglais moderne'." (Corré, 2005, p. 28) Ensuite l'auteur présente la conjugaison auxiliée du verbe breton OBER. Il fait alors une distinction entre OBER auxiliaire et OBER verbe plein. Puis il examine les relations entre le verbe et le sujet, et aussi les particules verbales, en soulignant leurs rôles discursifs. Enfin l'auteur aborde la grammaire diachronique de l'anglais (vieil anglais, moyen anglais et anglais moderne) en examinant l'évolution de DO. À chaque étape l'auteur contraste le breton à l'anglais afin de préciser ses descriptions de OBER et de DO. Parmis ces observations sur le breton, celles-ci nous semblent les plus révélatrices : OBER auxiliaire n'égale pas OBER verbe plein ; les trois conjugaisons syntaxiques (marquée, basique et auxiliée) ont différents rôles discursifs ; la particule « A caractérise un syntagme de relation » et « E marque la non-existence d'un tel rapport » (2005, p. 35 36). Et quoique ces aspects de la langue bretonne n’aient que très peu de pertinence en ce qui concerne notre travail sur la ponctuation bretonne, ils sont à retenir pour leur utilité lors de l’élaboration d’un modèle intégral.
2.1.3.1.2. La comparaison composée
Nous appelons « comparaison composée » toute recherche linguistique comparative/contrastive qui s'inscrit aussi pleinement dans un autre courant linguistique. Cette approche est très utilisée dans la linguistique générative, ce qui n'est peut-être pas étonnant vu que la linguistique générative se propose le but « d’approcher la description de la grammaire universelle » (Moeschler & Auchlin, 2009, p. 81 ce sont les auteurs qui soulignent). En général ce type de travail utilise une comparaison de langues comme moyen d'aborder des questions théoriques beaucoup plus générales : le déplacement, le pro-drop, les traces, etc. Puisque nous avons déjà présenté, dans la section 2.1.2. du présent travail, un survol de ces éléments de la grammaire générative tels qu’ils s’appliquent à la linguistique bretonne, nous ne ferons ici que signaler deux ouvrages représentatifs de la manière dont le courant générativiste réalise des comparaisons composées : la Syntaxe comparée du breton de M. Jouiteau et « Some Syntactic Effects of Suppletion in the Celtic Copulas » de R. Hendrick.
Dans sa Syntaxe comparée du breton, M. Jouiteau offre « un nouveau classement typologique des langues qui refond les ordres SVO, V2 et les ordres dits ‘VSO’ des langues celtiques et sémitiques dans le type X(P)-VSO » (2005, p. 566). Pour ce faire, M. Jouiteau compare la syntaxe bretonne à celle de plusieurs autres langues représentatives de familles linguistiques diverses. C'est un travail sérieux et bien exécuté.
De manière similaire, R. Hendrick, dans son article « Some Syntaxic Effects of Suppletion in the Celtic Copulas » adopte une approche comparative/contrastive ancrée dans les théories « principes et paramètres ». Ici R. Hendrick propose une argumentation en faveur d'une distinction entre le « copule substantif », c’est-à-dire lexical, et le « copule fonctionnel », c’est-à-dire grammatical, dans les langues celtes. Hendrick contraste le gallois (copule substantif) au breton (copule fonctionnel) afin de démontrer la centralité de la variation morphosyntaxique dans les différences syntaxiques des copules entre les deux langues en question et à l'intérieur de chacune d'elles.
Quoique l'on ne puisse pas douter du sérieux de telles études, cette approche structuraliste nous semble très peu révélatrice. Nous avons déjà évoqué, dans le dernier paragraphe de la section 2.1.2.3. de la présente thèse, les raisons pour lesquelles nous sommes de cet avis. Nous n'insisterons donc ici que sur l'importance que nous attribuons aux aspects socio-cognitifs que la linguistique générative ne semble pas en mesure de prendre en compte lors de ses analyses.
Cela ne veut quand même pas dire que nous ne voyons pas l'utilité de l'approche comparative, qu’elle soit simple ou composée. Au contraire, nous trouvons que la comparaison des langues est un moyen souvent efficace pour dégager des caractéristiques d'intérêt aux linguistes. Et bien que le présent travail ne s'inscrive pas ouvertement dans une tradition comparative, il faut que nous reconnaissions un certain élément de comparaison sous-jacente. Ceci devient évident si on tient compte de deux faits qui doivent forcément influer sur notre travail. Premièrement, il n'existe pas, à notre connaissance, d'autres études sur la ponctuation bretonne. Alors, la conception de la ponctuation qui nous servira comme point de départ se fondera sur la ponctuation telle qu'on la conçoit dans d'autres langues : en l'occurrence, le français, l'anglais, l'espagnol et l'italien. Deuxièmement, nous avons choisi de baser nos recherches sur une théorie linguistique, la Linguistique Systémique Fonctionnelle, qui s’est surtout développée par le biais de l'analyse de l'anglais. En adaptant les outils systémiques fonctionnels aux besoins d'une analyse du breton, une mesure de comparaison sera inévitable. Il est donc raisonnable de penser que la présente œuvre présentera au lecteur attentif certains aspects de la linguistiques comparative en palimpseste.
2.1.3.2. La sociolinguistique
C. Silva Corvalán nous rappelle, dans sa Sociolingüística y pragmatica del español, que la sociolinguistique est une discipline qui aborde une large gamme de questions liées à l'étude d'une langue, ou plusieurs, dans son environnement social (2001, p. 1). Ceci tend à se caractériser par un « plurilinguisme [qui] fait que les langues sont constamment en contact » (Calvet, 2009, p. 17). Dans le cas du breton, en tant que langue minoritaire, c'est son contact avec le français, langue majoritaire, qui suscite le plus d'intérêt chez les sociolinguistes. Ils se penchent surtout sur des questions telles que : qui parle breton aujourd'hui ? et quel breton parle-t-on ?
2.1.3.2.1. Qui parle breton aujourd'hui ?
La conception commune veut que la Bretagne se divise en deux grands aires linguistiques : Breiz izel, la Basse-Bretagne ou la Bretagne bretonnante, et Breizh uhel, la Haute-Bretagne ou la Bretagne « francophone ». Beaucoup de chercheurs se sont penchés sur la question de la frontière linguistique et son déplacement vers l'ouest au cours des XIXe et XXe siècles. Cependant, lorsque l'on s'interroge sur le locuteur bretonnant contemporain, on se rend vite compte du fait que cette conception géographique de la distribution du breton ne correspond pas à ce que l'on peut observer en ce début du XXIe siècle : il n'existe plus de zone que l'on pourraient honnêtement qualifier de bretonnant. Nous rejoignons ici L. Timm qui affirme que la notion d'une frontière linguistique séparant une Bretagne bretonnante d'une Bretagne francophone est aujourd'hui illusoire. On devraient parler plutôt de petits îlots bretonnants, voire de réseaux sociaux bretonnants (2009, p. 714 716).
Ces réseaux sociaux représentaient pendant les années 1990 moins de 260.000 individus qui affirmaient parler breton avec les leurs au moins périodiquement (Le Coadic, 2000, p. 24; Timm, 2001, p. 450, 2009, p. 719). De ces locuteurs, presque la moitié avait déjà plus de 60 ans à cette époque (Timm, 2009, p. 719). Cette distribution démographique a sûrement contribué à la chute à 172.000 locuteurs du breton recensés en 2007 (voir aussi Broudic, s. d.; Gaillard, 2009). L’estimation qui met le chiffre des bretonnants actuels autour des 100.000 nous paraît donc raisonnable (Gaillard, 2009; Timm, 2001, p. 450).
Dans un article d’Ouest France en ligne, basé sur le travail du sociolinguiste bretonnant Fañch Boudic, Philippe Gaillard décrit ainsi la population bretonnante contemporaine :
Le bretonnant type est... une femme de plus de 60 ans, mariée, peu diplômée, habitant le Finistère. Problème pour la survie de la langue bretonne : aujourd'hui, il y a dix fois moins de bretonnants parmi les jeunes que chez les plus âgés. Il ne reste que 12 000 personnes de 15 à 40 ans parlant breton, alors que les locuteurs de plus de 60 ans sont 120 000. Ces derniers constituent 70 % des bretonnants. (2009)
En raison de ce déséquilibre démographique, Gaillard affirme, dans le même article, que le « déclin [de la population bretonnante] est donc inéluctable. » Ce journaliste d’Ouest France n'est certes pas le seul à le penser puisque « l'Unesco considère que le breton est bel et bien menacé d'extinction » (Déniel, 2014).
La situation précaire du breton aujourd'hui résulte sans doute de multiple facteurs socio-économiques, politiques et personnels, comme le signale L. Timm (2003, 2009, p. 720 722). Mais dans le cadre du présent travail, il nous suffit de constater que, globalement, la transmission du breton ne se passe plus de manière intergénérationnelle et en famille , que la langue bretonne tend actuellement à s'apprendre à l'école (Hornsby, 2009, p. 194; Lux, 2010, p. 31 32). Fortement lié à cela, c'est le développement d'une dichotomie « breton traditionnel/néo-breton ».
2.1.3.2.2. Le bretonnant « traditionnel » vs. le « néo-bretonnant »
Le breton dit traditionnel, le badume, c'est la langue parlée des bretonnants L1 qui, pour des raisons diverses, ont gardé un dialecte/sociolecte sur lequel l'influence de la scolarité en breton a été négligeable. C'est un breton qui est associé surtout à des personnes âgées vivant en milieu rural dans l'ouest de la Bretagne (Hornsby, 2009, p. 195; voir aussi Timm, 2001, p. 454).
Le néo-breton, par contre, est le produit des efforts à la standardisation du breton entrepris par des linguistes et des militants, tel que Roparz Hémon, pendant la première moitié du XXe siècle. Le néo-breton est devenu la langue de la littérature et de la scolarité bretonnes ; c'est aussi la langue des média bretonnants (Timm, 2009, p. 725 727). On l'associe avant tout à des jeunes bretonnants L2 scolarisés en breton et vivant en milieu urbain (Hornsby, 2009, p. 195; voir aussi Timm, 2001, p. 454).
La dichotomie « breton traditionnel/néo-breton » est un sujet qui suscite une polémique dont il ne sera pas ici question ; le lecteur intéressé devrait lire les articles de L. Timm et de M. Hornsby pour en savoir plus. Il nous suffit de signaler qu'à l'heure actuelle le nombre de locuteurs du breton est en chute rapide. D'après les enquêtes menées par F. Broudic, la population des bretonnants est tombée de 246.000 en 1997 à 172.000 en 2007, c’est-à-dire une baisse de 30 %. Cette enquête a aussi montré que 98 % des locuteurs interrogés se considèrent comme des bretonnants traditionnels, et seulement 2 % comme des néo-bretonnants (Broudic, s. d.).
Mais ces derniers chiffres nous paraissent suspects dans le sens qu’ils semblent se baser sur une étanchéité mutuelle et impossible de ces deux grandes variétés de la langue bretonne. A. Quéré nous rappelle que « [p]our nombre de jeunes […] la référence en matière linguistique est le breton ''parlé par les vieux'', ou du moins par les personnes l'ayant parlé depuis leur enfance dans une région précises […] le badume » (2000, p. 54). Il est raisonnable d’en conclure que le parler de ces jeunes néo-bretonnants serait influencé par le breton traditionnel. Et lorsqu’on considère la dominance du néo-breton dans les média, on ne saurait surestimer la possibilité que nombre de bretonnants traditionnels puissent avoir une certaine capacité d'opérer dans le breton standard, c’est-à-dire le néo-breton, tout aussi bien que dans leur dialecte traditionnel.
Dans le cadre de la présente étude, il nous paraît inutile d'insister sur une nette coupure entre le breton traditionnel et le néo-breton. Nous pensons que cette distinction est plus opérative lorsqu'elle se fait dans le cadre des registres . En fait, on peut constater que le jeu entre ces registres fait déjà partie intégrale de la littérature bretonne, nous pensons, par exemple, aux nouvelles de Youenn Olier recueillies sous le titre An deiz-ha-bloaz (1975). Alors, ce sera sans hésitation que nos recherches porteront sur la langue bretonne par le biais d'un breton littéraire, qui n'est pas seulement le point d'origine du néo-breton, mais c'est aussi un point de rencontre où le néo-breton et le breton traditionnel peuvent se côtoyer, voire s'entremêler.
2.1.3.3. Quelques études « marginales » qui méritent notre regard
Dans certains courants de la linguistique, comme la linguistique fonctionnelle et la linguistique interlocutionnelle, le breton ne semble pas avoir fait l'objet d'une grande quantité de recherches. En dépit de cela, le travail effectué sur le breton dans ces domaines offre des points de vue intéressants. Nous porterons ici notre regard sur les recherches de deux linguistes qui nous en paraissent emblématiques : C. Avézard-Roger et D. Bottineau.
2.1.3.3.1. Description syntaxique du syntagme verbal en breton de C. Avézard-Roger
La Description syntaxique du syntagme verbal en breton : approche dynamique de C. Avézard-Roger nous offre, comme son titre l'indique clairement, une description syntaxique d'un élément important de la langue bretonne : le syntagme verbal. Ce travail de thèse doctorale se base sur une variation de la théorie de la linguistique fonctionnelle française. Avézard-Roger s'intéresse à ce qu'elle appelle la variation dialectale bretonne, par opposition au breton littéraire ou standard, qu'elle aborde par le biais du fonctionnement syntaxique des unités verbales. Après avoir parlé des bases théoriques et méthodologiques de sa thèse, l'auteure fait un survol de l'histoire et de la pratique de la langue bretonne. Ensuite elle entre dans une description de la prédication, qui, selon la version de la linguistique fonctionnelle adoptée par C. Avézard-Roger, se fonde sur une distinction entre syntaxe connective et syntaxe nucléaire . L’auteure poursuit par une « présentation des différentes modalités verbales dégagées pour le breton » (2004, p.156). Et puis elle propose une typologie des structure verbales suivie d'une considération de l'usage de ces structures dans la communication orale. Enfin, Avézard-Roger présente la notion de fonction syntaxique en linguistique fonctionnelle et elle signale les différentes fonctions dégagées pour le breton.
Il n'est pas question ici d'entrer dans les détails de ce travail sérieux et intéressant. Il suffit de signaler que, malgré ses bonne qualités, la thèse de C. Avézard-Roger ne sera pas de grande utilité à nos propres recherches. Il y a deux raisons principales pour cela : Premièrement, C. Avézard-Roger s'intéressent surtout à la langue parlée ; elle ne fait aucune mention de la ponctuation. Deuxièmement, le travail de C. Avézard-Roger s'ancre dans la linguistique fonctionnelle française, et celle-ci souffre, à notre sens, de certaines faiblesses dont nous parlerons plus en détail dans la section 2.3.4. du présent chapitre.
2.1.3.3.2. « Syntaxe et interlocution [...] » de D. Bottineau
La contribution de Didier Bottineau au corpus des études portant sur le breton est sans doute restreinte, nous n'en avons recensé qu'une poignée d'articles. Mais le regard qu'il porte sur le sujet nous semble vraiment révélateur. Nous ferons ici le résumé des éléments les plus pertinents aux présentes recherches.
D'abord les travaux en question semblent s'inscrire dans le cadre d'une linguistique socio-cognitive où l'intersubjectivité et l'interlocution ont des rôle centraux. D. Bottineau affirme que « [l]a morphosyntaxe allocutive du sens grammatical se fixe pour objectif de montrer que la sémantique et la pragmatique de l'interaction langagière jouent un rôle structurant dans le formatage des classes morphémiques et de leur mise en œuvre syntaxique dans une langue donnée » (2008, p. 1). On voit ici une approche qui s'apparente à celle que C. Douay appelle « une théorie de l'interlocution » selon laquelle la « syntaxe locutionnelle » et la « syntaxe élocutionnelle » doivent toutes les deux être prises en compte lors des analyses linguistiques (2000, p. 75 76, c’est l’auteure qui souligne).
Sur ces bases D. Bottineau avance l'idée d'un agenda orthosyntaxique du breton où « la focale amorce la proposition par un effet de divergence (ancrage dialogal) ou de convergence (ancrage monologal) alors que la proposition, par son organisation, garantit l'entière liberté de choix focal, écartant toute motivation gestaltique dans la composition de la procédure » (2012, p. 16). D. Bottineau affirme aussi que l'agenda orthosyntaxique varie selon la langue, mais il s'ancre toujours dans l'expérience de l'interlocution (2012, p. 1).
Ainsi décrit, l'agenda orthosyntaxique offre plusieurs similarités avec ce que la Linguistique Systémique Fonctionnelle dénomme « la structure potentielle » d'une langue (Fawcett, 2000, p. 178 179 ; 2008, p. 40 41). Cependant, contrairement aux travaux qui s'inscrivent dans le cadre de la LSF (voir, par exemple, Fawcett, 2000, p. 303 307), les articles de D. Bottineau ne propose pas d'outils pour représenter de manière efficace cet agenda orthosyntaxique. Le présent travail ne puisera donc dans les travaux de Bottineau que dans la mesure où ils nous rappellent l'importance de la place de l'interlocution dans les analyses linguistiques. Et cela nous paraît tout à fait compatible avec la Grammaire Cardiff qui servira de bases théoriques et méthodologiques à nos recherches.
2.2. La Ponctuation
Contrairement à d'autres éléments de la syntaxe du breton, la ponctuation n'a pas attiré l'attention des chercheurs en linguistique. En fait, il n'existe, à notre connaissance, aucune étude portant sur la ponctuation bretonne. Il est vrai que, dans sa Yezhadur bras ar brezhoneg, F. Kervella y consacre trois petites pages au début desquelles l'auteur affirme que « [n]'eus netra o disheñvelout ar brezhoneg diouzh yezhoù all kornog Europa, ha dreist-holl diouzh ar galleg, e-keñver ar poentaouiñ. An hevelep arouezioù a vez graet ganto en hevelep degouezhioù » (1947, p. 58). Mais l’auteur n’offre aucune justification pour cette affirmation. Et puis la brève description des marques de ponctuation qui suit est dépourvue d'analyses approfondies, elle ne peut donc nous être que d'une très faible utilité. Il faudra alors que nous puisions dans les travaux sur d'autres langues : le français, l'espagnol, l'italien, l'anglais, l'allemand, etc., si nous espérons connaître l'état actuel des recherches dans le domaine de la ponctuation. Mais en dépit d'un tel élargissement du champ visé, nous constaterons, avec Nina Catach, que « [d]e l'histoire culturelle à celle du Livre et des signes, de la littérature à la linguistique, de la genèse du langage à la création artistique ou à l'apprentissage, les champs de recherches sur la ponctuation sont largement ouverts. Ils attendent leurs curieux et leurs découvreurs » (1996, p. 119).
Nous aimerions nous compter parmi ces curieux. Cela dit, nos devanciers, aussi épars qu'ils soient, ont fait des observations et des commentaires qui méritent notre attention. Nous ferons donc ici le survol des éléments de ces travaux qui nous semblent les plus pertinents à la présente thèse, c’est-à-dire ceux qui contribuent à définir la ponctuation et ceux qui permettent la distinction entre la ponctuation prescriptive et la ponctuation descriptive.
2.2.1. Qu'est-ce que la ponctuation ?
Au premier regard, définir la ponctuation pourrait sembler se réduire à un simple relevé de ces marques que « la tradition » désigne comme signes de ponctuation. Mais on se rendrait vite compte qu'un tel relevé ne se fait pas sans difficulté. La tradition de la ponctuation est, après tout, en évolution continue et les signes de ponctuation varient selon l'époque.
De plus, le débat autour de la ponctuation s’étend au-delà des signes de ponctuation proprement dits. Les théoriciens ne s'accordent pas sur la place que l'on devrait attribuer à la mise en page par rapport au système de ponctuation. Ils se divisent en deux grands camps : ceux qui donnent un sens restreint à la ponctuation, et ceux qui lui accordent un sens large.
Il est donc utile, dans un premier temps, de faire ici un bref survol des grandes étapes dans le développement des signes de ponctuation. Et puis, dans un deuxième temps, nous ferons un compte-rendu des prises de position relative à la portée du terme « ponctuation ». Cela nous permettra ensuite de signaler le parti pris des présentes recherches.
2.2.1.1. L'évolution historique de la ponctuation
La ponctuation, qui semble aujourd'hui un élément constitutif de tout texte écrit, est totalement absent des premières écritures alphabétiques que l'on connaît et qui datent d'il y a environ 3.400 ans. À cette époque « le texte se présentait en bloc, d'un seul tenant, sans aucun apprêt, sans espace entre les mots. » Les premiers signes de ponctuation n'apparaîtraient que mille ans plus tard. (Houdart & Prioul, 2006, p. 9)
On attribue aux bibliothécaires à Alexandrie pendant les IIIe et IIe siècles avant notre ère l'établissement des bases d'un système de ponctuation destiné à faciliter une meilleure préservation et transmission des textes littéraires grecques. Ils inaugurent la pratique des divisions intratextuelles, l'usage des marques diacritiques, et la tradition des signes de ponctuation proprement dits. Cette dernière trouve son expression dans trois signes : le point en haut (˙) ; le point médian (•) ; le point en bas (.) (Catach, 1996, p. 13 17; Houdart & Prioul, 2006, p. 10 11). Ceux-ci servent à la fois de « marques de diction » et d'outils d'interprétation ou commentaire (Catach, 1996, p. 15 18; Serça, 2004, p. 12).
Au Moyen Âge, la ponctuation connaît des progrès suscités, en grande partie, par les besoins des copistes dans leurs efforts de préserver et transmettre l'héritage textuel de l'antiquité. Parmi les signes de ponctuation qui apparaissent à cette époque, le point d'interrogation, le point d'exclamation et les parenthèses sont à noter (Houdart & Prioul, 2006, p. 12 14). Mais le progrès ne se limite pas à une accumulation de nouveaux signes : il y a aussi des développements dans le domaine de ce que nous pouvons appeler une théorie ponctuationnelle. Celle-ci consiste à systématiser la ponctuation en définissant l'usage de chacun des signes (Catach, 1996, p. 24 29).
L'invention de l’imprimerie, en 1455, déclenchera ce que O. Houdart et S. Prioul appellent une « éclosion des signes » (2006, p. 14). Celle-ci résulte d'un désir d'une lisibilité améliorée dans les textes imprimés, et provoque, chez les imprimeurs, un besoin de codification qui s'exprimera par l'édition des premiers traités de ponctuation dont celui de Étienne Dolet en 1540 (Catach, 1996, p. 29 32; Houdart & Prioul, 2006, p. 15). Dolet considérait la ponctuation comme chasse gardée des typographes et correcteurs. Il est même réputé pour avoir reponctué les textes de Rabelais sans avoir consulté l'auteur (Houdart & Prioul, 2006, p. 15). Cette question de prise en charge de la ponctuation sera polémique jusqu'à nos jours, mais au XVIe et XVIIe siècles, il semble que les imprimeurs ont le dessus. Dans tous les cas, N. Catach nous rappelle que « [l]a pratique courante [à cette époque] reste à une ponctuation extrêmement sobre, voire inexistante, faite pour aider une lecture orale » (voir Barroy, 2010, p. 57 58 pour un point de vue contraire; 1996, p. 32).
Au XVIIIe siècle « [on] voit la stabilisation de l'arsenal des signes de ponctuation et la théorisation de leurs emplois par les grammairiens » (Houdart & Prioul, 2006, p. 19). Cela n'empêche pas qu'au cours des XVIIIe et XIXe siècles il y ait une évolution importante dans la conception de la ponctuation. Ces deux siècles verront l'intégration de plus en plus d'éléments syntaxiques au concept ponctuationnel qui est, au début de cette période, dominé par la notion d'une ponctuation ancrée dans le besoin de respirer. Cette évolution vers une ponctuation syntaxique est fortement associée à l'influence toujours grandissante des imprimeurs/typographes, et au développement de la pratique de la lecture silencieuse (Catach, 1996, p. 35 46; Houdart & Prioul, 2006, p. 16 24; Serça, 2004, p. 13).
Quant à la ponctuation du XXe et de ce début du XXIe siècles, I. Serça la résume bien lorsqu'elle écrit :
De nos jours, l'omniprésence de l'écrit semble donner la première place à l'aspect visuel de la ponctuation. De marques propres à faciliter la lecture à voix haute […], la ponctuation est devenue la seule trace que l'auteur laisse derrière lui pour guider son lecteur dans son appréhension visuelle du texte. Malgré cette évolution, la tradition orale de la ponctuation existe toujours bel et bien, chez les écrivains, certes, mais aussi dans les théories linguistiques contemporaines de la ponctuation, qui se différencie précisément par l'importance qu'elles accordent à cette référence à l'oral, prégnante chez les uns quand cette référence est niée par d'autres. (Serça, 2004, p. 13)
Il nous semble donc que la ponctuation soit toujours en mouvement évolutif, et qu'il reste encore des découvertes à faire dans ce domaine.
2.2.1.2. Quels sont les signes de ponctuation ?
Au sens restreint, la ponctuation se limite, comme nous le rappelle Nina Catach, à « une dizaine d'éléments graphiques surajoutés au texte : virgule, point-virgule, points (final, d'exclamation, d'interrogation, de suspension), et ce que nous appellerons signes d'énonciation (deux-points, guillemets, tirets, parenthèses, crochets) » (1980, p. 17). Et c'est cette acception qui semble la plus répandue, que ce soit dans les traités de bon usage (Drillon, 1991; Figueras, 2001; Houdart & Prioul, 2006) ou dans les ouvrages axés sur la linguistique (Curreri, 2011; Demanuelli, 1987; Lafont, 2009; Nunberg, 1990). Le grand mérite de cette définition-là se trouve dans le fait qu'elle limite le champ de travail à des dimensions facilement abordables. En effet, c’est une des raisons pour lesquelles nous attribuerons un sens restreint à la ponctuation au cours de nos propres recherches.
Cependant, nous reconnaissons qu’une telle simplification risque d’entraîner la perte de perception des nuances nécessaires lorsqu'il s'agit de comprendre la ponctuation comme ressource sémantico-syntaxique. Nous essayerons donc de tenir compte des théoriciens qui proposent des définitions élargies de la ponctuation. Certains, comme R. Laufer, envisagent d'y inclure la quasi-totalité de la mise en page par une vision de l'espace graphique où la ponctuation se produit à trois niveaux : du mot, de la phrase et du texte (cité dans Catach, 1980, p. 18 19). D'autres, comme N. Catach, ne rejettent pas cette division tripartite de l'espace graphique, mais ils trouvent utile d'exclure les éléments du troisième niveau « qui entour[ent] et dépass[ent] le texte et en général échapp[ent] à l'auteur » (1980, p. 19), e.g. justification, marges, disposition des interlignes, etc. Mais chacun de ces points de vue nous semblent imparfait. Le premier est tout simplement trop large pour servir d'outil de recherche efficace. Quant au deuxième, la décision d'exclure certains éléments textuels se base sur la notion douteuse d'une nette division texte/paratexte et aussi sur celle, également douteuse, d'une claire distinction auteur/éditeur.
En ce qui concerne la présente étude, la notion d'une ponctuation qui a lieu à tous les niveaux de l'espace graphique est tout simplement impraticable. Cela est surtout en raison de la difficulté de cerner de manière satisfaisante la ponctuation supérieure à la phrase. Nos recherches se limiteront donc à la ponctuation de la phrase , sans négliger quand même la ponctuation inférieure à la phrase (i.e. au niveau du mot) lorsque ceci peut enrichir nos analyses.
Le lecteur s'attendra peut-être ici à un recensement des signes de ponctuation de la phrase et du mot. Mais, comme nous expliquerons dans la section 2.2.2.3. du présent chapitre, nous ne considérons pas la ponctuation comme universelle. Alors, nous ne devrions pas débuter nos recherches par des à priori en ce qui concerne les signes de ponctuation éventuels. Un recensement de ces signes se fera donc à la fin de nos analyses.
2.2.2. La ponctuation prescriptive ou la ponctuation descriptive ?
Lorsqu'il s'agit de faire le bilan des études portant sur la ponctuation, on en remarque tout de suite la paucité relative. Cependant il en existe, et nous pouvons en distinguer deux grande catégories : la ponctuation prescriptive et la ponctuation descriptive. Des deux, la ponctuation prescriptive, ou le « bon usage », domine. Malgré cela, c'est l’approche linguistique, c’est-à-dire la ponctuation descriptive, qui apportera la plus de lumière sur les questions que nous examinerons dans le présent travail.
2.2.2.1. Le bon usage
La majorité des ouvrages qui abordent la ponctuation le font par le biais du « bon usage » ; il s’agit d'un but prescriptif ou normatif. Les auteurs s'appuient souvent sur une tradition littéraire afin de justifier les normes qu'ils proposent. Jacques Drillon pourrait être le porte-étendard de ce courant d’idées lorsque, dans l'avant-propos de son Traité de la ponctuation française, il écrit :
La deuxième partie est une étude du bon usage qu'on fait des signes de ponctuation. Appuyée sur des exemples tirés exclusivement de la littérature française, moderne et romantique […] elle édicte les règles qui forment le code commun à ceux qui écrivent et lisent le français [...] (1991, p. 15, c’est nous qui soulignons)
Mais de tels édits risquent de paraître rébarbatifs aux yeux du grand public auquel ils sont destinés. Grand nombre des partisans de ce bon usage cherchent donc à le populariser en insistant sur son accessibilité. La ponctuation ou l'art d'accommoder les textes de O. Houdart et S. Prioul (2006) en est un bon exemple. On y trouve, sur la quatrième de couverture, la description suivante :
Cet ouvrage s'adresse à ceux qui souhaitent améliorer leur expression écrite, mais aussi à tous les esprits curieux, amoureux des mots et de la littérature. Il propose une approche décomplexée de cette « petite science », si essentielle à la compréhension d'un texte. (Houdart & Prioul, 2006, c’est nous qui soulignons)
Mais, que le texte soit abordable ou non, ces approches normatives souffrent souvent d'un manque de clarté théorique et méthodologique qui les rend peu adaptées à des fins de recherches linguistiques, même si on n'hésiterait peut-être pas à leur attribuer une certaine utilité dans le domaine du stylistique.
Cependant nous aurions tort de suggérer qu'aucun travail de ponctuation prescriptive n'ait de base théorique solide. Certains des prescriptivistes ancrent leur travail dans une théorie linguistique ou stylistique déjà établie. Par exemple, dans sa Pragmática de la puntuación (2001), C. Figueras consacre les deux premiers chapitres à l'élaboration des éléments théoriques de la pragmatique dont il se sert aux chapitres suivants pour légitimer sa vision du bon usage. D'autres, comme J. Dawkins dans son article intitulé « Teaching Punctuation as a Rhetorical Tool » (1995), semblent vouloir présenter leur propre théorie sans s'associer ouvertement à d'autres courants.
Dans tous les cas, ces ponctuations normatives semblent recourir à la théorie, non pas comme un outil de recherche ou de découverte, mais comme une justification de leur prise de position par rapport au bon usage. Cela n'est certes pas sans valeur, mais celle-ci ne peut être que très limitée lorsqu'il s'agit d'aborder la ponctuation par le biais de la linguistique proprement dite, du moins telle que nous la voyons. Ici, nous rejoignons A. Martinet lorsqu'il écrit : « La linguistique est l’étude scientifique du langage humain. Une étude est dite scientifique lorsqu’elle se fonde sur l’observation des faits et s’abstient de proposer un choix parmi ces faits au nom de certains principes esthétiques ou moraux. ‘‘Scientifique’’ s’oppose donc à ‘‘prescriptif’’. » (1970, p. 6, c’est l’auteur qui souligne) On comprend donc qu’une approche linguistique visant la ponctuation sera avant tout descriptive.
2.2.2.2. Du point de vue linguistique
D'un point de vue linguistique, la ponctuation se révèle une question épineuse. D'abord, la ponctuation participe de l'écriture, et certains linguistes considèrent que l'étude des formes langagières écrites se situe en dehors de la linguistique. A. Martinet en est représentatif lorsqu'il affirme que le linguiste ne s'occupe de l'écriture que dans la mesure où elle influe sur la langue parlée (Martinet, 1964, p. 17). Mais nous ne partageons pas cette opinion ; nous trouvons que la langue écrite mérite l'attention du linguiste, ainsi nous rejoignons des chercheurs aussi variés que M. Halliday (2014, p. 6 7), L. Hjelmslev (cité dans Pellat, 1988, p. 3 4), N. Catach (1980, p. 16), etc.
Reconnaître l'écriture comme objet de recherches n'est que le début d'une démarche visant à sonder la valeur linguistique de la ponctuation. Le prochain défi se révèle dans l'effort de définir cette ponctuation. Et les linguistes qui se penchent sur la question se partagent en deux camps majeurs : celui d'une ponctuation restreinte et celui d'une ponctuation élargie (voir la section 2.2.1.2. du présent travail). Une fois la définition établie, ce sont les fonctions de la ponctuation qui semble susciter le plus d'intérêt.
2.2.2.2.1. Les fonctions de la ponctuation
Puisque « la ponctuation varie : dans le temps […] dans son corpus […] dans ses fonctions […] et enfin, selon le scripteur» (Dahlet, 2003, p. 11 12, c’est l’auteure qui souligne), une discussion en profondeur des fonctions attribuées à la ponctuation demanderait plus d'espace que nous pourrions y consacrer ici. Nous nous bornerons donc à un petit survol des idées majeures qui nous paraissent les plus pertinentes pour le présent travail. Pour ce faire, nous adopterons de manière provisoire le classement des fonctions de la ponctuation phrastique proposé par L. Vedenina : nous considérerons les fonctions syntaxiques, sémantiques et communicatives de la ponctuation opérant au niveau de la phrase (1980).
Dire que la ponctuation a des fonctions syntaxiques ne semble provoquer aucun doute. N. Catach suggère même que la ponctuation est devenue essentielle à la syntaxe de la langue écrite : « En modèle trilatéral […], prenant en compte à la fois l'interaction entre l'oral et l'écrit et l'enrichissement des ressources langagières qui résulte, le ponctème appartient pleinement, par ses fonctions devenues irremplaçables, à la grammaire de la langue. » (1996, p. 106, c’est nous qui soulignons) Mais quelles sont ces fonctions ? Selon L. Védénina, « [l]a ponctuation aide l'ordre des mots, les mots de liaison et l'ellipse dans leur travail pour former la phrase » (1980, p. 60). On peut voir que la ponctuation n’est exclue d’aucun des éléments constitutifs de la syntaxe.
Cependant, si on se limite aux fonctions syntaxiques, tous les signes de ponctuation risquent de se confondre puisque, selon J. Dawkins, l'élément de base de toute énonciation est la proposition indépendante et celle-ci peut se ponctuer diversement :
First it was rain. Then it was snow.
First it was rain ; then it was snow.
First it was rain, then it was snow.
(Dawkins, 1995, p. 535, nous avons supprimé la numérotation du texte original)
D'un point de vue syntaxique, le (.), le (;) et la (,) ne se distinguent ici que très peu, voire pas du tout. Mais ces trois énoncés écrits ne sont pas les mêmes ; et les différences s'expliquent par les fonctions sémantiques et communicatives des signes de ponctuation en question.
Mais lorsque l'on aborde la ponctuation par le biais de ses fonctions sémantiques et communicatives, on constate que la question se complique, et ceci en raison d'un manque de précision dans la définition des termes. Par exemple, L. Védénina affirme que la fonction sémantique « reflète le rapport entre le signifié et le signifiant » et que la fonction communicative « envisage en problèmes de la communication linguistique les rapports de l'objet-pensée avec la situation de communication. » (1980, p. 60, c’est nous qui soulignons) Mais quels sont ces rapports ? Elle ne les précise pas. Cela n'est pas sans importance puisque la réponse à cette question peut avoir des retombées théoriques et méthodologiques significatives. Nous savons déjà que le rapport entre le signifié et le signifiant n'est pas un sujet qui mène au consensus chez les linguistes (voir, par exemple, Volek, 2001). De plus, le simple fait de suggérer que les fonctions sémantiques et communicatives, voire syntaxiques, puissent être considérées comme unités discrètes et séparées ne serait pas admissibles dans certains courants linguistiques tels que la linguistique de l'interlocution (voir, par exemple, Douay, 2000) et la Linguistique Systémique Fonctionnelle (voir le chapitre 3 du présent travail).
Il faut signaler que, malgré les faiblesses des définitions proposée par L. Védénina, elle a quand même reconnu l'importance de la démarche d'une définition explicite des termes théoriques dont elle se sert pour classer les fonctions ponctuationnelles. Il y a bien sûr d'autres chercheurs qui ont fait de même, nous pensons par exemple au travail de G. Nunberg (1990) ou de V. Dahlet (2003). Mais de tels efforts nous semblent plutôt exceptionnels dans le domaine de la ponctuation où la classification tend à se baser sur des aprioris tacites. Ceci n'a peut-être rien d'étonnant lorsqu'il s'agit d'ouvrages de ponctuation prescriptive ou d'analyse littéraire de la ponctuation (voir, par exemple, Dawkins, 1995; Demanuelli, 1987; Drillon, 1991; Dürrenmatt, 1998; Figueras, 2001; ou Houdart & Prioul, 2006), cependant c'est aussi le cas dans des travaux à prétention linguistique descriptive. Par exemple, J. Popin envisage « trois domaines d'application de la ponctuation » : « [l]a convention typographique », « l'usage syntaxique » et « l'usage énonciatif ». Mais, tout en affirmant que les domaines « se chevauchent et […] se doublent », il n'en précise les contours d'aucuns (1998, p. 68 69). Chez N. Catach, ce manque de clarté terminologique est exacerbé par l’hésitation apparente de la part de l'auteure d'adopter une seule liste de fonctions ponctuationnelles. Dans son livre La ponctuation : histoire et système, on en trouve plusieurs telles que : les bornes et la segmentation de l'énoncé, les pauses orales et écrites, l'intonation, les modalités, la construction et les rapports des parties, l'opposition thème/propos, les rapports inter-locuteurs, l'opposition des sens partiels et du sens total, certaines oppositions grammaticales spécifiques, la clarté de l'énoncé, etc. (1996, p. 53 54) ; les « fonctions logiques, intonatives, grammaticales [et] affectives » (1996, p. 68); les fonctions « émotive, référentielle, poétique, phatique, métalinguistique, [et] conative » (1996, p. 107). Sans doute cette chercheuse adopte une terminologie variée afin de montrer la ponctuation sous des angles théoriques variés, mais, à notre sens, une telle approche semble obscurcir les fonctions de la ponctuation au lieu de les élucider.
Nous croyons donc que la pertinence et l'utilité d'un classement des fonctions de la ponctuation sont fortement liées à la clarté des catégories fonctionnelles adoptées, et que la précision de celles-ci dépend de l’exactitude des bases théoriques sur lesquelles on fonde les analyses. En ce qui concerne nos propres recherches, nous aurons besoin d'une approche dont l'armature théorique et les outils méthodologiques sont adaptés à une description cohérente de la ponctuation où toutes les fonctions de la ponctuation peuvent être prise en compte de manière efficace. À notre sens, c'est la Linguistique Systémique Fonctionnelle qui semble le mieux répondre à de tels besoins.
2.3. Pourquoi la Linguistique Systémique Fonctionnelle ?
Dans le domaine de la linguistique, il existe une telle diversité de théories, d'approches et de méthodes qu'il nous semble pertinent de justifier brièvement notre décision d'ancrer nos recherches dans la Linguistique Systémique Fonctionnelle (désormais LSF). C’est une approche qui se base sur la primauté du sens dans ses modèles linguistiques. En fait, un aspect central du travail du systémicien, c’est l’articulation de réseaux systémiques destinés à l’explicitation des choix de sens sur lesquels se fonderait une langue donnée. Mais, nous reviendrons sur une discussion détaillée de la LSF dans le chapitre 3 du présent document. Pour l’instant, nous nous limitons à une brève comparaison de la LSF et d’autres grands courants de la linguistique, par rapport à notre problématique. Il ne sera pas question ici de passer en revue toute la discipline linguistique, une telle démarche exigerait des volumes. Nous trouvons plus pratique et plus utile d'offrir quelques paragraphes où nous évoquons les grandes lignes des réflexions qui nous ont mené à adopter la LSF.
2.3.1. La LSF vs. la linguistique générative
Nous avons examiné plus haut, dans la section 2.1.2. de la présente thèse, quelques éléments représentatifs du travail générativiste sur la langue bretonne. Nous avons aussi signalé que l'approche générativiste nous semble peu révélatrice, et ceci parce qu'elle se base sur une vision de la langue qui n’en prend en compte que les relations structurelles. Ainsi, la linguistique générative présente un modèle linguistique qui exclut le locuteur en autonomisant ce que nous pouvons appeler un « objet-langue ». À notre sens, une telle conception paraît trop restreinte lorsqu’il s’agit de quitter les réflexions purement théoriques afin d’aborder des questions portant sur la langue telle que l’on la vit. Nous n'acceptons donc pas la notion d' « objet-langue », nous voyons la langue comme une pratique sémico-socio-cognitive de l'être humain. L'élément du « vouloir dire » est donc essentiel à toute approche linguistique qui se veut révélatrice et applicable. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de la ponctuation qui « est un commentaire, mais également un choix, une interprétation métalinguistique » (Catach, 1980, p. 56).
Cela dit, nous suivons R. Fawcett, un des chefs de file de la LSF, lorsqu'il insiste que le sens linguistique s'exprime par le biais de formes linguistiques et qu'un modèle qui ne définit pas à la fois les structures qui réalisent les sens et les moyens par lesquels les sens prennent forme ne peut pas prétendre à modéliser la langue (2008, p. 16, note en bas de page). Alors, au lieu de rejeter toute considération linguistique structurelle, nous préférons adopter une posture qui permet l’intégration de la syntaxe et la sémantique dans un même modèle. Et, à notre sens, c’est précisément la LSF qui est la mieux munie d'outils théoriques et analytiques adaptés à une telle fin.
2.3.2. La LSF vs. la sociolinguistique
Contrairement à ce que nous pensons de la linguistique générative, nous croyons que la sociolinguistique offre des approches qui seront révélatrices lorsqu'elles seront appliquées aux questions de la ponctuation bretonne. Cependant, nous trouvons que les études sociolinguistiques sont plus convaincantes lorsqu'elles s’appliquent à des pratiques langagières d'une langue dont il existe une description préalable du phénomène linguistique en question. Une telle description de la ponctuation bretonne n'existe pas encore ; une étude sociolinguistique à ce sujet serait donc prématurée.
Mais une telle situation ne durera pas. Après tout, le présent travail s’inscrit dans le cadre de la LSF, et celle-ci a développé des outils destinés à la description linguistique. Ainsi on peut envisager des études sociolinguistiques futures qui s’appuieront sur une description systémique fonctionnelle de la ponctuation bretonne. La présente thèse formera sans doute un point de départ pour de telles démarches.
2.3.3. La LSF vs. la linguistique énonciative
Que la linguistique énonciative puisse servir à l’éclaircissement de certaines questions portant sur la ponctuation est hors de doute (voir, par exemple, Dahlet, 2003). Mais lorsqu’il s’agit des recherches empiriques, son utilité n’est pas universellement admise. Et c’est sur ce point que certains fondent une opposition entre la LSF et la linguistique énonciative.
Considérons un article intitulé « Anglophone Systemicists and French Enunciativists : Shall the Twain Never Meet ? » de D. Banks. Ici ce systémicien affirme que la LSF et la linguistique énonciative abordent les problèmes linguistiques de pôles opposés. Pour lui, la LSF est une approche inductive, qui part des données empiriques linguistiques pour arriver à l'articulation théorique de la langue en question. Par contre, il conçoit la linguistique énonciative comme une approche déductive dont le point de départ est une théorie de la langue que l’on cherche ensuite à valider en ayant recours aux instances répertoriées. Selon D. Banks, les systémiciens vont de l'énoncé vers la cognitive, et les énonciativistes partent de la cognitive pour aller vers l’énoncé. Il affirme donc que « the two theories are on the same road, but are moving towards each other from opposite ends » (2004, p. 393 395).
Mais ce fait n’est pas anodin. Au contraire, il importe sur la nature même des hypothèses articulées dans le cadre de chacune de ces théories linguistiques. Et selon D. Banks, les hypothèses avancées par les théories énonciatives sont très difficilement réfutables puisqu'elles relèvent des processus cognitifs inobservables. Ainsi les résultats des recherches faites dans le cadre de la linguistique énonciative doivent participer du domaine hypothétique, c'est-à-dire métaphysique. De cette manière, la linguistique énonciative se distingue de la LSF, qui cherche à s’ancrer dans des recherches dont les résultats sont empiriques et réfutables. (2004, p. 399 400).
Quoique nous soyons d'accord avec D. Banks, au moins par rapport aux grandes lignes de ses arguments, nous trouvons que son article ne développe pas une explication suffisante de la manière dont la LSF peut être considérée comme une approche réfutable, donc plus révélatrice lorsqu'il s'agit de recherches scientifiques. Puisque nos recherches s'inscrivent dans le cadre de la linguistique, et puisque la linguistique se veut une science de la langue, nous trouvons nécessaire d'approfondir quelque peu l'argument avancé par D. Banks sur ce point. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les écrits d'un autre systémicien, R. Fawcett.
Selon R. Fawcett, la LSF doit se fonder sur une alternance continue de test/révision aux niveaux théoriques et descriptifs (2008, p. 11). Cela doit se nourrir d'un fort dialogue entre les deux camps méthodologiques qui travaillent sous l'étiquette de la LSF : « théorique-générative » et « texte-descriptive » (2000, p. 110). En deux mots, la théorie doit pouvoir formuler une armature descriptive assez détaillée pour fournir des modèles qui puissent fonctionner dans la génération automatique de textes en langue naturelle, un processus considéré par beaucoup de chercheurs comme « the most demanding test of all for a model of language » (s. d., p. 9 10).
Alors, dans la mesure où la LSF offre une armature descriptive en état de produire des descriptions testables, la LSF est mieux adaptée, que la linguistique énonciative, aux travaux visant à modéliser un phénomène linguistique quelconque. Et c’est précisément cela que notre problématique nous oblige à faire ; notre préférence pour la LSF est donc, dans ce cas, justifiée.
2.3.4. La LSF vs. la linguistique fonctionnelle
Comme tous les grands courants de la linguistique, la linguistique fonctionnelle n'est pas une approche monolithique : il existe plusieurs « écoles » fonctionnalistes. Mais, selon C. Hernández Alonso, ces dernières partagent un fondement théorique qui consiste en quatre principes. Premièrement, la langue est conçue et analysée comme instrument de la communication humaine. Deuxièmement, la méthode fonctionnelle doit être valable pour tout type de message linguistique et à tous les niveaux linguistiques. Troisièmement, la conception fonctionnaliste du signe linguistique se base sur la notion du signe à double face et non pas bipartite. Et quatrièmement, l'étude de la langue passe par une étape analytique suivie d'une étape productive. (1996, p. 23 25) Et si on se limitait à ces principes-là, on n’aurait peut-être pas tort de faire un rapprochement entre la linguistique fonctionnelle et la LSF. Mais quand on élargit son regard, on voit que ces théories linguistiques diffèrent sur plusieurs points dont deux sont particulièrement pertinents aux besoins de notre problématique sur la lexicogrammaire de la ponctuation bretonne.
D’abord, la linguistique fonctionnelle semble rejeter, dès le départ, la langue écrite comme objet principal de recherche de la linguistique. Selon A. Martinet, le linguiste doit travailler sans prendre en compte les formes écrites à moins qu'elles influent sur la forme des signes oraux (1964, p. 16 17, 1970, p. 7 8). C. Hernández Alonso l'exprime ainsi : « Entendemos, pues, que el lenguaje humano por excelencia es el lenguaje oral ; y que la communicación esencialemente humana es la verbal. La lengua escrita, a fin de cuentas, no es sino un lenguaje de segundo grado, una especie de fotografía de la comunicación oral. » (1996, p. 21)
La LSF ne partage pas cette vision de la langue écrite. Pour les systémiciens, l’écriture n’est pas une simple représentation de la langue parlée. Non seulement elle est un mode distinct d’expression permettant la réalisation de la lexicogrammaire d’une langue donnée, mais elle évolue dans ses propres contextes fonctionnels. La langue écrite mérite l’attention du linguiste-systémicien. (Halliday, 2014, p. 7)
Deuxièmement, et ceci est sans doute lié à notre premier point, la linguistique fonctionnelle ne semble pas avoir encore développé des outils qui se prêteraient à des analyses efficaces et révélatrices de la ponctuation. Déjà, sans l'élément ponctuationnel, la manière graphique dont on visualise les analyses fonctionnelles est encombrante au point qu'il semble devenir impossible d'aborder convenablement des analyses des énoncés écrits de moindre complexité. Considérons, par exemple, l'illustration 3 ci-dessous. Elle reproduit une analyse fonctionnelle, de la proposition « Dre ma ne'm eus ket gwelet anezho », proposée par D. Costaouec dans son article intitulé « À propos de La trame d'une langue. Le breton. » (2003, p. 119):
Nous ne doutons pas de la valeur de telles représentations pour de questions de recherches privilégiées par la linguistique fonctionnelle, mais ces tableaux déchiquettent l’énoncé de telle manière que sa structure informationnelle est perdue. Et vu l’importance des liens entre la structure informationnelle et la ponctuation, ces tableaux sont inutiles lorsqu’il est question de la visualisation des analyses de la ponctuation bretonne.
En ce qui concerne les conventions graphiques de la LSF, nous y reviendrons dans le prochain chapitre. Pour l’instant, il suffit d’insister que la LSF est mieux adaptée à nos besoins que la linguistique fonctionnelle. Et les raisons pour cela sont tout aussi méthodologiques que théoriques.
2.4. Synthèse de notre état de la question
Notre thèse se veut un examen de l’étendue du rôle de la ponctuation dans la lexicogrammaire bretonne. Il est donc nécessaire de situer nos recherches par rapport à celles de nos devanciers dans trois domaines principaux : la linguistique bretonne, la ponctuation et la Linguistique Systémique Fonctionnelle. En ce qui concerne les deux premiers, nous en faisons un survol des courants les plus pertinents à nos besoins. Quant à la LSF, puisqu’elle forme les bases théoriques de nos recherches, nous l’aborderons de manière détaillée dans le prochain chapitre. Ici, nous n’offrons que quelques raisons pour lesquelles nous la préférons à d’autres approches linguistiques pour le présent travail.
La langue bretonne fait l'objet de maintes études dans plusieurs domaines linguistiques. Parmi ces études, celles qui s’inscrivent dans la « grammaire traditionnelle » nous semblent les moins susceptibles de contribuer à des travaux portant sur la lexicogrammaire de la ponctuation. D’abord, la grammaire traditionnelle ne semble pas nous offrir un traitement suffisant de la syntaxe bretonne. Ensuite, ces grammairiens ne prêtent qu’une très faible attention à la ponctuation.
La linguistique générative semblent, elle aussi, ignorer la valeur linguistique de la ponctuation. Cependant, et contrairement aux grammairiens, les générativistes ont développé une armature théorique et méthodologique parfaitement adaptée au traitement de la syntaxe. Et ils n'hésitent pas à se pencher sur la question de la syntaxe bretonne puisque le développement de leurs théories structuralistes exige qu'ils puissent rendre compte de la flexibilité syntaxique que l'on rencontre dans des langues telles que le breton. Mais pour ce faire, les générativistes ont recours à des notions que nous trouvons très peu convaincantes : le déplacement, les traces et le sujet-nul. De plus, la linguistique générative ne semble pas, lors de leurs analyses syntaxiques, tenir suffisamment compte ni des facteurs sémantiques ni des conditions sociologiques.
Ces dernières ont une place centrale dans une autre approche linguistique dont le breton est un objet de recherches, celle de la sociolinguistique. Les sociolinguistes s’occupent, lorsqu'il s'agit du breton, surtout aux deux questions suivantes : qui parle breton, et quel breton parle-t-on ? Leur travail révèle que le nombre de locuteurs bretonnants est en baisse rapide et que la majorité de ces locuteurs est plus âgée et de milieu rural. Ces chercheurs s’intéressent aussi à la distinction entre le breton traditionnel et le néo-breton. Ils constatent que les locuteurs tendent à classer leur propre parler comme traditionnel tandis que le breton scolaire et médiatique se penche vers le néo-breton.
Il est donc clair que un travail qui s’ancre dans la sociolinguistique peut être révélateur, mais pour d’autres problématiques que la nôtre. La raison principale pour cela est que la sociolinguistique ne possède pas une armature descriptive bien adaptée aux questions portant sur la lexicogrammaire. D’une certaine manière, c’est une approche linguistique qui dépend des descriptions développées dans le cadre d’autres approches linguistiques. Ainsi, nos recherches sur la ponctuation breton pourraient éventuellement servir de point de départ à une étude sociolinguistique, mais la sociolinguistique ne pourrait pas servir de base théorique à la présente thèse.
Nous pourrions dire la même chose à propos de la linguistique comparative. Celle-ci peut être classer en deux types principaux. Nous appelons le premier « la comparaison simple », c’est-à-dire un travail comparatif qui ne s’inscrit pas dans un cadre théorique bien défini. Par contre, le deuxième type, que nous appelons « la comparaison composée », est fortement ancré dans une théorie linguistique déterminée. Le breton est un objet de recherches des deux.
Par exemple, certains linguistes comparent le breton et l'anglais dans un cadre théorique flou. Ils se limitent à des observations telles que la similarité des usages du progressif breton et anglais ou la diversité des 'ober' en breton, sans se munir des outils nécessaires à une explication des phénomènes observés. De telles comparaisons simples sont parfois intéressantes, mais le manque de clarté théorique diminue leur utilité par rapport à la linguistique en tant que science de la langue.
D’autres linguistes évitent ce problème en ancrant leurs comparaisons dans un cadre théorique bien précis. Mais, ceux qui ont choisi le breton comme objet de recherches semblent participer tous de la linguistique générative. Leur travail souffrent donc, à notre sens, des faiblesses de cette approche dont nous signalons ci-dessus quelques aspects.
Notre survol de la linguistique bretonne se termine par un regard sur le travail de deux linguistes, C. Avézard-Roger et D. Bottineau, qui ont, chacun, abordé le breton par le biais d’un point de vue théorique très peu adopté dans le domaine de la linguistique bretonne. C. Avézard-Roger examine le syntagme verbale breton. Ses recherches s’inscrit dans le cadre de la linguistique fonctionnelle, c’est donc la langue parlée qui est visée. Par conséquent, on ne devrait pas s’étonner que ses outils d’analyses soient inadapté à nos besoins.
Quant à D. Bottineau, son travail nous semble très prometteur. Il porte son regard sur la syntaxe bretonne en tenant compte de l'intersubjectivité et l'interlocution. Malheureusement, son approche semble souffrir d’un sous-développement des outils de visualisation.
Mais qu’une approche quelconque ait développé les moyens théoriques et méthodologiques ou non, la linguistique bretonne est complètement muette sur le sujet de la ponctuation. Il faut donc élargir le champ de nos investigations afin d'en faire l'état des lieux. Et en ce faisant, il devient évident que, en gros, tous les courants linguistiques négligent le domaine de la ponctuation. Il y a quand même quelques intrépides chercheurs qui s'y consacrent, N. Catach en tête de file, et qui nous offrent les moyens de retracer l'évolution historique de la ponctuation et de définir la ponctuation contemporaine.
Les premières bases d’un système de ponctuation apparaissent il y a environ 2.400 ans, c’est-à-dire mille ans après les premières écritures alphabétiques. À cette époque, on se contente de trois signes de ponctuation destinés, avant tout, à guider la lecture à voix haute. Au Moyen Âge, le numéro de signes augmente et leurs usages se systématisent. Ces tendances sont accentuées par l’arrivée sur scène de l’imprimerie. Les XVIIIe et XIXe siècles voient la montée d’une ponctuation syntaxique dont l’aspect visuel prédominera aux XXe et XXIe siècles.
Quant aux définitions de la ponctuation, elles peuvent se ranger en deux catégories générales : la ponctuation au sens large et la ponctuation au sens restreint. La première comprend la quasi-totalité des éléments de mise en page tandis que la deuxième se limite aux signes de ponctuation « traditionnels ». Dans le cadre de nos propres recherches, nous adoptons une définition de ce deuxième type parce que nous la trouvons plus opérationalisable.
Quelque soit la définition adopté, les travaux sur la ponctuation s’inscrivent soit dans le cadre de la ponctuation prescriptive soit dans celui de la ponctuation descriptive. La première aborde les questions de la ponctuation par le biais de ce que l'on appelle le « bon usage ». Cette approche aboutit souvent à des traités de ponctuation qui se distinguent par leur manque de clarté théorique. Les auteurs de ces manuels prescriptifs proposent une panoplie de règles sur l'usage sans pour autant pouvoir expliquer les fondements de ces règles.
Par contre, la ponctuation descriptive dépend d’un ancrage théorique bien défini. Pour cette raison, ceux qui font un travail descriptif tendent à bénéficier des méthodologies et d'outils d'analyse associés à leur cadre théorique. On s’attendrait donc à ce que ces recherches soient révélatrices en matière de définition de la ponctuation et de ses fonctions. Cependant la majorité des travaux descriptifs souffre, à notre sens, d'un manque de clarté terminologique. Ceci est peut-être lié aux faiblesses de la théorie qui sert de base à ces ces recherches. Mais, c’est un problème qui réduit l'utilité des fonctions dégagées (syntaxiques, sémantiques, communicatives, etc.) au cours de ces analyses, en tout cas pour les linguistes qui voudraient développer des hypothèses à partir de ces fonctions.
Alors, lorsqu’il s’agit d’aborder notre problématique, il sera indispensable de munir nos recherches d'une armature théorique dont les termes sont suffisamment bien définis pour aboutir à une description raisonnée et utilisable de la ponctuation bretonne. Nous pensons que la Linguistique Systémique Fonctionnelle répond le mieux à ce critère. De plus, la LSF réussit bien à développer un modèle de la langue où la forme et le sens s’intègrent l'un dans l'autre de manière plausible. Et la LSF établit des outils méthodologiques qui permettent des descriptions syntaxiques détaillées, tout en tenant compte de l'énonciation et d'autres éléments qui contribuent à la sémantique au sens large. Le lecteur comprendra donc l’intérêt de regarder cette approche linguistique d’une manière plus approfondie, ce que nous ferons dans le prochain chapitre.
3. La Linguistique Systémique Fonctionnelle
Nous proposons un travail qui s'inscrira dans le cadre de la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Celle-ci a ses racines dans le travail du linguiste J.R. Firth dont M.A.K. Halliday, le « père » de la LSF, s'est inspiré dans ses premiers efforts à une articulation d'une linguistique générale. Il y a maintenant une soixantaine d'années depuis ces premiers articles et la LSF a beaucoup évolué ; elle s'est même divisée en plusieurs « écoles », que certains systémiciens préfèrent appeler « dialectes ». Mais il ne sera pas question ici de raconter tout le développement de la LSF ; le lecteur peut en trouver des descriptions détaillées dans A Theory of Syntax for Systemic Functional Linguistics de R. P. Fawcett (2000), ou dans More Delicate TRANSITIVITY : Extending the PROCESS TYPE system networks for English de A.C. Neale (2002). Notre but est plus restreint : nous nous limiterons à une mise au net des éléments nécessaires à une bonne compréhension de ces bases théoriques telles qu’elles s’appliquent à nos efforts d’analyser et de décrire la ponctuation bretonne.
À cette fin, le présent chapitre consistera en cinq grandes parties. La première sera consacré aux fondements de la LSF. Les deux suivantes traiteront chacune un des deux « dialectes » de la LSF qui guident nos recherches : la Grammaire Sydney et la Grammaire Cardiff. Dans la quatrième partie il s’agira de l’état actuel des travaux systémiques fonctionnels sur la ponctuation. Et enfin, nous ferons l’inventaire des innovations théoriques et méthodologiques qui seront indispensables pour la réalisation de notre projet de thèse.
3.1. Les fondements de la LSF
Avec la publication en 1961 de son article intitulé « Categories of the Theory of Grammar », M.A.K. Halliday donne vie à une nouvelle théorie de langue : la Grammaire « Échelle et Catégorie » . Il s'agit surtout d'une charpente solide pour aborder des questions de langue par le biais de la morphosyntaxe (Fawcett, 2000, p. 15 32; Neale, 2002, p. 45 47) . Dans les années qui suivent, Halliday propose des modifications à sa théorie qui deviendra d'abord la Grammaire Systémique, puis la Grammaire Systémique Fonctionnelle, et enfin la Linguistique Systémique Fonctionnelle (Fawcett, 2000, p. 16 17). La discussion suivante, où nous énumérons les éléments essentiels de cette évolution, suit de très près ce que Fawcett offre à ce sujet dans le premier chapitre de son livre intitulé Invitation to Systemic Functional Linguistics through the Cardiff Grammar : An Extension and Simplification of Halliday’s Systemic Functional Grammar (2008).
3.1.1. Les idées « révolutionnaires » de Halliday selon Robin P. Fawcett
Au départ, la Grammaire « Échelle et Catégorie » est une théorie des formes linguistiques, c’est-à-dire une théorie structurelle en phase avec son époque. Sa métamorphose en Linguistique Systémique Fonctionnelle donne lieu à une nouvelle théorie sémantico-structurelle. Ce changement se fonde sur l'introduction de cinq grandes innovations théoriques : la primauté des relations paradigmatique ; la primauté du sens ; la réalisation simultanée de plusieurs fils de sens ; la notion d'une lexicogrammaire unifiée ; et l'incorporation de l'intonation dans la lexicogrammaire (Fawcett, 2008, p. 10).
3.1.1.1. La primauté des relations paradigmatiques
En 1966, Halliday lance une série d’articles, dont « Some notes on 'deep' grammar » est le premier, où il développe l'idée qu'une grammaire s'ancre dans l'acte de choisir entre options susceptibles à la commutation. Autrement dit, il s’agit de paradigmes. Il devient donc possible de la représenter par un grand réseau systémique (Fawcett, 2000, p. 46 47). Quant à ce dernier, il est constitué de systèmes.
« Un système », comme nous le rappelle A. Caffarel dans sa Systemic Functional Grammar of French, « est la catégorie centrale pour représenter toute organisation paradigmatique à tous les strata : phonologique, grammatical, ou sémantique. Il est constitué (i) d'une spécification d'un choix entre deux termes ou plus, qui sont représentés par des traits, et (ii) d'une condition d'entrée spécifiant quand le choix est disponible » (2006, p. 202).
Puisque le système modélise les choix fondamentaux d’une grammaire, Halliday lui attribue un rôle central dans sa théorie linguistique et dans sa description des langues. Celles-ci seront ainsi réorientées de manière à subordonner le rôle de la structure. Autrement dit, l’approche de Halliday en devient une où les relations paradigmatiques priment sur les relations syntagmatiques. (Fawcett, 2008, p. 10)
3.1.1.2. La primauté du sens
Mais malgré son rôle central, la notion du paradigme n’est pas une fin en soi. Au contraire, sa valeur se trouve dans le fait que les relations paradigmatiques pertinentes servent à édifier une description du potentiel significatif d'une langue. En effet, les réseaux systémiques sont censés modéliser des choix entre attributs sémantiques (Fawcett, 2000, p. 47 50, 2008, p. 10, 15; Halliday, 2014, p. 22 24).
Il est donc clair que l’idée du « sens » est primordiale dans l'approche LSF. Cela se justifie par le fait que l’énonciation dépend d’un énonciateur qui prend des décisions à propos de ce qu’il dit, c’est-à-dire l’énonciateur fait des choix linguistiques. Ceux-ci s’ancrent dans le contraste entre les sens alternatifs, et non pas le contraste entre structures alternatives. Après tout, c'est le sens qui est au fond de tout acte de langage ; « le contraste entre les formes est simplement la réalisation du contraste entre les sens » (Fawcett, 2008, p. 42 notre traduction).
3.1.1.3. La réalisation simultanée de plusieurs fils de sens
Que le sens soit considéré comme primordial ne réduit en rien la complexité qui lui est attribuée par Halliday et ses successeurs. Au contraire, Halliday conçoit plusieurs composants distincts de la signification qu’il nomme « métafonctions ». Il en discerne trois principales : l'idéationnelle, l'interpersonnelle et la textuelle. Celles-ci se tissent ensemble d’une telle manière que chaque proposition est en fait la réalisation simultanée de plusieurs fils de sens (Caffarel, 2006, p. 13 15, 201; Fawcett, 2000, p. 50 51, 2008, p. 10; Halliday, 2014, p. 30 31).
Il est quand même à noter que la spécification des métafonctions est un point de divergence entre les « écoles » qui se distinguent à l'intérieur de la Linguistique Systémique Fonctionnelle . Même Halliday semble osciller entre un classement qui consiste en trois métafonctions principales et celui composé de quatre. Malgré cela, la reconnaissance de la nature multifonctionnelle (et multimétafonctionnelle) de la langue est aujourd’hui une des caractéristiques constitutives de l'approche systémique fonctionnelle à la langue (Fawcett, 2000, p. 51).
3.1.1.4. La notion d'une lexicogrammaire unifiée
Une conception répandue de la linguistique se base sur la postulation d’une nette division entre le vocabulaire, la grammaire et le sens, c’est-à-dire entre le lexique, la syntaxe et la sémantique. Mais, comme nous venons de voir, Halliday rejette un tel fractionnement de la syntaxe et la sémantique en raison de leur interdépendance. Il en est de même pour le lexique.
Depuis ses « Categories of the Theory of Grammar », Halliday questionne la valeur des modèles linguistiques qui séparent syntaxe et lexique en domaines distincts. Il envisage donc une lexicogrammaire où le lexique se définit comme l'élément grammatical le plus « délicat » (Fawcett, 2008, p. 10; Halliday, 2014, p. 64 67; Neale, 2002, p. 46; Tucker, 1999, p. 9 11). Autrement dit, Halliday développe un modèle linguistique où les structures grammaticales et les mots participent d’une seule et même ressource pour l'expression du sens (Fawcett, 2008, p. 10; Tucker, 1999, p. 9).
3.1.1.5. L'incorporation de l'intonation dans la lexicogrammaire
La dernière des cinq innovations « révolutionnaires » de Halliday se révèle dans son traitement de la prosodie. Plus précisément, Halliday attribue un rôle direct à l'intonation lors de la réalisation des systèmes grammaticaux. Sa description détaillée de ce phénomène « démontre que l’intonation devrait être incorporée dans la lexicogrammaire centrale d’une langue » (Fawcett, 2008, p. 10). Cette approche reste un élément distinctif de la LSF (Smith, 2008, p. 91).
Mais plus pertinent à la présente thèse, l’incorporation de l’intonation dans la lexicogrammaire entraîne la possibilité d’une telle intégration de la ponctuation. La raison pour cela est simple : la ponctuation et l'intonation ont des fonctions parallèles. Une lexicogrammaire complète doit donc permettre la modélisation de ces deux phénomènes linguistiques.
3.1.2. La diversification de la LSF
Les cinq innovations théoriques détaillées ci-dessus forment ce que nous pouvons appeler le noyau théorique de la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Mais à partir de ce noyau se sont développés plusieurs « Grammaires » systémiques fonctionnelles, qui se différencient l’une de l’autre autant par les outils d’analyses qu’elles favorisent que par toute divergence théorique. Il y en a quatre dont l’impact sur la LSF est appréciable : la Grammaire Sydney, la Grammaire Cardiff, la Grammaire Nottingham et la Grammaire Leuven (Fawcett, 2000, p. 6). Mais nous ne nous attarderons que dans une considération des Grammaires Sydney et Cardiff. La première retient notre attention en raison de son rôle central dans la progression actuelle de la LSF ; et la seconde parce qu’elle est le cadre systémique fonctionnel le mieux adapté aux besoins de nos propres recherches.
3.2. La Grammaire Sydney
La Grammaire Sydney est l'extension directe du travail de M.A.K. Halliday dans le domaine de la LSF. Elle est aussi « le dialecte » le plus utilisé dans le milieu systémique fonctionnel. Cependant, la Grammaire Sydney a ses faiblesses qui réduisent, à notre sens, son efficacité sur les plans descriptif et génératif. Dans tous les cas, notre description de la Grammaire Sydney ne prétend certainement pas à l'exhaustivité. Ici, nous nous bornerons d’abord à un survol de ce que nous considérons comme ses éléments clés ; et puis nous signalerons quelques uns de ses points faibles.
3.2.1. Les éléments clés de la Grammaire Sydney
Tout en reconnaissant l'énormité de l’œuvre constitutive de la Grammaire Sydney, nous considérons que l’ouvrage emblématique de cette version de la Linguistique Systémique Fonctionnelle est sans doute la Introduction to Functional Grammar (dite IFG) de M.A.K. Halliday. Depuis1985 quatre éditions de ce livre sont parues, dont les deux plus récentes ont bénéficié d'une mise à jour effectuée par Christian M.I.M. Matthiessen. C'est un travail de référence pour tous les systémiciens, comme le témoignent les nombreux cours et présentations qui s'en inspirent (voir, par exemple, Lukin). Nous n'hésitons donc pas à nous appuyer principalement sur la IFG 2014 afin de dégager les éléments clés de la Grammaire Sydney.
3.2.1.1. Il s’agit d’abord et avant tout de la primauté du sens.
Depuis ses toutes premières articulations, la Linguistique Systémique Fonctionnelle se distingue par le rôle primaire qu'elle accorde au sens dans l'élaboration de ses modèles linguistiques. Cette pratique reste un des piliers centraux de la LSF, dans toutes ses formes, et la Grammaire Sydney ne fait pas exception. Mais c’est dans le cadre de la Grammaire Sydney que ce principe trouve sa formulation la plus concise, voire élégante.
Au début du premier chapitre de la IFG 2014, les auteurs vont au cœur de la question lorsqu’ils écrivent : « Language is, in the first instance, a resource for making meaning ; so text is a process of making meaning in context. » (Halliday, 2014, p. 3) Cette affirmation fait sans doute résonner des échos de la « dualité saussurienne » langue/parole qui n’échapperont pas au lecteur (Kyheng, 2005). Mais ce qui est plus pertinent ici c’est que la Grammaire Sydney, et la LSF plus généralement, estiment que le sens est la raison d’être et de toute langue et de tout texte.
3.2.1.2. La nature socio-sémiotique de la langue
Revenons sur la deuxième moitié de la citation : « so text is a process of making meaning in context » (Halliday, 2014, p. 3). On y trouve une référence à un deuxième pilier de la LSF, l’idée du contexte. Pour la Grammaire Sydney, contexte est avant tout une question sociale; la langue est indissociable de l’interaction sociale.
En fait, la langue est ce qu’elle est justement en raison des fonctions requises par des locuteurs lors de leurs interactions sociales, puisque ce sont ces fonctions qui gouvernent son évolution (Halliday, 1978, p. 4). Voilà une des raisons pour lesquelles Halliday argumente en faveur de l’utilité d’une théorie linguistique fonctionnelle. Et pour lui, « [a] functional theory is not a theory about the mental processes involved in the learning of the mother tongue ; it is a theory about the social processes involved » (1978, p. 18, c’est nous qui soulignons). Il n’est donc pas surprenant que Halliday cherche à formuler « a unifying conception of language as a form of social semiotic » (cité dans Lukin, s. d.-g, c’est nous qui soulignons).
La Grammaire Sydney représente, dans une certaine mesure, le prolongement de ces efforts. Les successeurs de Halliday maintiennent aujourd'hui une conception de langue comme outil socio-sémiotique qui est très proche de celle qu’il a dévoilée en 1975 dans son « Language as Social Semiotic : Towards a General Sociolinguistic Theory » (voir, par exemple, Halliday, 2014, p. 32 42).
3.2.1.3. Les trois métafonctions principales de la Grammaire Sydney
Sens n’est pas simple, il est composé. C’est une des idées fondatrices de la LSF, mais cette notion se développe de manière différente dans chacun des grands courants de cette théorie linguistique. La Grammaire Sydney envisage le sens comme la manifestation de l’entrelacement de composants appelés métafonctions. Une proposition est donc la réalisation simultanée de plusieurs de ces métafonctions. Il y en a trois majeures : textuelle, interpersonnelle et idéationnelle (Caffarel, 2006, p. 12 15; Halliday, 2014, p. 82 84), et chacune d’entre elles a sa propre structure.
3.2.1.3.1. Textuelle
Texte, selon la définition de Halliday, est un procédé où il s’agit d’une mise en contexte de la création du sens (2014, p. 3). Ce procédé dépend de la métafonction textuelle. Celle-ci comprend les ressources linguistiques nécessaires pour établir un rapport sens/contexte (2014, p. 85). Parmi ces ressources, c’est la structure Thème^Rhème qui donne à la proposition le statut de message (2014, p. 83,85). Ce message s’organise « into peaks of prominence, realized by THEME systems » (Caffarel, 2006, p. 14).
Lors des analyses menées au niveau de la métafonction textuelle, la Grammaire Sydney a recours à des représentations telle que celle proposée par D. Banks :
Th1→Rh1 Mon mari est l'homme le plus intègre que je connaisse
Th: top Rhème
Th: top/txt Rhème
Tableau 1: La structure thématique (Banks, s. d.-b, p. 7)
Une telle visualisation est destinée à faire valoir la structure Thème^Rhème qui est propre à la métafonction textuelle, selon la Grammaire Sydney. Et en regardant ce tableau, on voit que cette structure est asymétrique : le Thème semble se prêter à une nette correspondance avec une structure syntaxique, tandis que le Rhème ne semble pas subir de telles contraintes. Cela posera quelques problèmes lors d’une modélisation qui tient compte de toutes les métafonctions à la fois. Mais nous reviendrons donc sur ce point dans la section 3.2.2.1. du présent chapitre.
3.2.1.3.2. Interpersonnelle
La métafonction interpersonnelle sert à réaliser les relations sociales, et cela par le biais du système de MODES qui s'exprime à travers la structure Mode+Reste (Caffarel, 2006, p. 13; Halliday, 2014, p. 83, 85). La proposition est considérée ici comme un moyen d'échange de biens et services ou d’information. Par exemple, lorsqu’on demande qu’on ferme la fenêtre, la langue sert à faciliter un échange de services qui ne sont pas de nature verbale. Par contre, lorsqu’on demande l’heure, c’est une information dont la nature est verbale qui est cherchée. Dans ce cas, la langue est à la fois le moyen et l’objet de l’échange (Halliday, 2014, p. 135).
Selon la Grammaire Syndey, la première étape des analyses au niveau de la métafonction interpersonnelle consiste en une délimitation du Mode et du Reste. Cela se visualisent ainsi :
Mon mari est l'homme le plus intègre que je connaisse
Mode Reste
Tableau 2: La structure Mode+Reste (Banks, s. d.-b, p. 6)
Ensuite, on procède à l’examen de ces deux composants dont chacun a aussi sa propre structure : le Mode comprend un Sujet et un Conjugue ; le Reste se compose d’un Prédicateur auquel on ajoute, selon le cas, un Complément et/ou un Ajout (Halliday, 2014, p. 83). Il n'est pas nécessaire ici d’entrer plus loin dans ces détails puisque nos analyses se baseront principalement sur la Grammaire Cardiff, celle-ci rejette l'utilité de telles structures (voir la section 3.2.2.1. du présent chapitre).
3.2.1.3.3. Idéationnelle
La métafonction idéationnelle est peut-être celle qui correspond le plus à la conception traditionnelle du sens dans la mesure où elle réunit « les ressources sémantiques destinées à la traduction du vécu en sens » (Caffarel, 2006, p. 14). Au risque de caricaturer, nous pourrions dire que ce sont les moyens qui se rapportent à la question qu’est-ce ça veut dire. Cette métafonction comprend deux parties : l’expérientielle et la logique
L’expérentielle traduit des phénomènes en configurations de processus. Celle-ci se réalisent par le biais des systèmes de TRANSITIVITÉ. Quant à la logique, elle figure l’enchaînement de ces phénomènes, par exemple la séquence de configurations de processus qui se réalise à travers les systèmes de COMPLEXE PROPOSITIONNEL (Caffarel, 2006, p. 14). Autrement dit, la métafonction idéationnelle est constituée d’une métafonction expérientielle déstinée à manifester la configuration des processus et d’une métafonction logique qui permet la réalisation des liens entre de telles configurations. Chacune de ces deux parties de la métafonction idéationnelle a sa propre structure.
Celle de la métafonction idéationnelle-expérientielle est défini ainsi : « process+participant(s) (+circumstances) » (Halliday, 2014, p. 83). On aperçoit ici des parallèles avec d’autres courants linguistiques, et même avec la « grammaire traditionnelle ». C’est dans la précision de ces trois éléments, lors des analyses, que la Grammaire Sydney se distingue. Elle envisage, par exemple, un classement très varié des participants. Considérons l’analyse expérientielle, proposée par D. Banks, de la phrase « Mon mari est l’homme le plus intègre que je connaisse » :
Mon mari est l'homme le plus intègre que je connaisse
Signe Pro: rel Valeur que je connaisse
Phénomène Ressenteur Pro: ment
Tableau 3: La structure expérientielle (Banks, s. d.-b, p. 5)
Nous constatons que, ici, participant peut être « Signe », « Valeur », « Phénomène » ou « Ressenteur ». Et cela n’est qu’un échantillon des possibilités.
Quant à celle de la métafonction idéationnelle-logique, elle peut se présenter soit sous une forme dite « univariate », c'est-à-dire celle qui « se génère comme une itération de la même relation fonctionnelle », soit sous une forme dite « multivariate » qui est « une configuration d'éléments dont chacun a une fonction distincte par rapport au tout » (2014, p. 390). La tendance vers l'une ou l'autre de ces formes dépend largement de l'unité (mot, groupe, proposition, etc.) en question. La faute de place nous empêche de tenter une description adéquate de cette partie complexe de la métafonction idéationnelle. Nous renvoyons directement à la Halliday's Introduction to Functional Grammar de Halliday (2014), ou bien au chapitre 2 de A Systemic Functional Grammar of French de A. Caffarel (2006).
3.2.1.4. Modéliser le potentiel significatif et définir ses liens avec la réalisation
La Linguistique Systémique Fonctionnelle est « systémique » dans le sens qu'elle modélise la grammaire d'une langue au moyen de réseaux systémiques, et non pas par l’inventaire des structures (Halliday, 2014, p. 23). Pour illustrer la qualité paradigmatique de ces réseaux systémiques, Halliday s’appuie sur l’exemple de la polarité en anglais. Il affirme que toute proposition anglaise « sélectionne dans le système POLARITÉ dont les termes sont positif et négatif » (2014, p. 22). Pris ensemble, ces réseaux systémiques sont censés représenter le potentiel significatif d'une langue parce qu'ils définissent les alternatives sémantiques qui la sous-tendent.
En tant que modèle, le réseau systémique fonctionne au moyen des traversées, c’est-à-dire la sélection progressive, parmi les systèmes constituants, des termes requis pour la construction d’un sens désiré. En traversant les systèmes, chaque « choix » contribuera à préciser un sens qui se réalisera par moyen des structures linguistiques conçues à ces fins. On comprend donc que ces structures répondent aux besoins sémantiques d’une langue. Et quoique la structure soit un élément essentiel de la description, elle n’est au fond qu’une manifestation des choix systémiques (2014, p. 23).
Dans la mesure où elle envisage des réseaux systémiques comme la meilleure façon de représenter le potentiel significatif d’une langue, la Grammaire Sydney est proche de tous les autres « dialectes » de la LSF. Cependant, malgré sa reconnaissance de l’utilité des réseaux systémiques dans la modélisation linguistique, la Grammaire Sydney souffre d’un manque sensible dans l’articulation détaillée de ces réseaux. Cela tend à réduire sa capacité de passer d’une conception générale de la primauté du sens vers une description précise des relations entre le potentiel significatif d’une langue et les structures qui le réalisent.
3.2.2. Deux points faibles de la Grammaire Sydney
On n'a qu'à considérer l'énormité du corpus de recherches en Grammaire Sydney pour reconnaître la valeur de cette approche dans plusieurs domaines linguistiques et paralinguistiques. Cependant, comme toute approche linguistique, la Grammaire Sydney a ses faiblesses qui nuisent à ses capacités révélatrices. Il y en a deux, et ici nous rejoignons Fawcett (voir, par exemple, 2000), qui sont particulièrement pertinentes au présent travail : la multiplication des « structures » et un développement des réseaux systémiques insuffisamment ancrés dans la sémantique.
3.2.2.1. La multiplication des « structures »
La Grammaire Sydney distingue trois métafonctions principales : textuelle, interpersonelle et idéationnelle. Chacune d’elles s'exprime à travers une structure qui lui est propre. Celle-ci peut être indépendante de toute correspondance avec une structure syntaxique déterminée. Il est donc question de la prise en compte d’au moins quatre grandes structures lors des analyses lexicogrammaticales (revoir la section 3.2.1.3. du présent chapitre).
Cela n’est pas un problème en soi. La difficulté se révèle lorsqu’il s’agit d’expliquer l’intégration de ces multiple structures dans une seule et même proposition quand elles ne coïncident pas. Jusqu’à présent, la Grammaire Sydney n’a pas encore articulé un modèle capable de le faire. Afin de pallier cette lacune, les systémiciens partisans de la Grammaire Sydney tendent à diviser leurs analyses en fonction de la métafonction prise en considération (pour une discussion plus détaillée, voir Fawcett, 2000, p. 123 135). Malheureusement, cela ne peut pas être considéré une résolution adéquate.
3.2.2.2. Des réseaux systémiques insuffisamment ancrés dans la sémantique
Dans sa conception d’un modèle linguistique, la Grammaire Sydney reconnaît la primauté du sens et l’utilité des réseaux systémiques pour représenter le potentiel significatif d’une langue. On s’attendrait donc à ce que la Grammaire Sydney développe des réseaux systémiques clairement basés sur des alternatives sémantiques. Cependant, cela n’est pas encore le cas. Les réseaux systémiques de la Grammaire Sydney restent toujours très proches des représentations formelles de la période « Échelle et Catégorie » (2000, p. 53).
La Grammaire Sydney essaie de résoudre ce problème en postulant une strate sémantique qui serait distincte et au dessus de la strate lexicogrammaticale, où se situent les réseaux systémiques, dans son modèle linguistique (Halliday, 2014, p. 660). Mais en séparant la sémantique de la lexicogrammaire, la Grammaire Sydney se trouve dans l’obligation de créer un modèle de la strate sémantique et d’expliciter ses liens avec la strate lexicogrammaticale. Nous rejoignons Fawcett lorsqu’il affirme qu’un tel procédé doit forcément compliquer le modèle sans toutefois le rendre plus performant (2000, p. 57 note en bas de page).
3.3. La Grammaire Cardiff
La Grammaire Cardiff s'inscrit pleinement dans la tradition de la LSF. Elle s’articule donc autour du même noyau théorique que la Grammaire Sydney. Cependant, la Grammaire Cardiff réussit à éviter les problèmes de structures multiples et les insuffisance dans les réseaux systémiques qui semblent affaiblir son congénère. Elle est alors plus adéquate pour servir de fondement théorique à la présente thèse. Cela dit, la Grammaire Cardiff souffre de ses propres imperfections, mais nous y reviendrons dans la section 3.5. du présent chapitre.
Bien entendu, il ne sera pas question ici de faire une description en profondeur de la Grammaire Cardiff. Il s’agira tout simplement d’en retracer dans les grandes lignes les éléments essentiels. Cela donnera au lecteur les points de repère indispensables pour une bonne compréhension des analyses lexicogrammaticales qui suivront.
3.3.1. La GC et la GS ont des aspects en commun
Malgré leurs différences, la Grammaire Cardiff et la Grammaire Sydney partagent de nombreux éléments théoriques et descriptifs. En effet, ce sont ces traits communs qui permettent de réunir ces deux « écoles » sous une même étiquette, celle de la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Ces mêmes caractéristiques contribuent à les différencier de toutes les autres approches linguistiques (2008, p. 14). Il est donc utile de rappeler très brièvement les plus importants de ces attributs avant d'aborder une description des éléments distinctifs de la GC.
La Grammaire Cardiff, tout comme la Grammaire Sydney, s’articule autour du noyau théorique que forment les cinq innovations fondatrices de la LSF. Autrement dit, la Grammaire Cardiff se base sur les principes de la primauté des relations paradigmatique et de la primauté du sens ; la Grammaire Cardiff conçoit la proposition comme la réalisation simultanée de plusieurs fils de sens ; la Grammaire Cardiff envisage une lexicogrammaire unifiée dans laquelle sont incorporées l’intonation et la ponctuation. Mais puisque nous avons déjà détaillé ces innovations dans la partie 3.1.1. du présent chapitre, il n’est pas nécessaire d’en dire plus ici. Nous pouvons passer directement aux éléments distinctifs de la GC.
3.3.2. Les éléments distinctifs de la GC
La Grammaire Cardiff se veut une approche linguistique cognitive-interactive où la production prime sur la compréhension. Mais autant qu’une armature théorique descriptive, la Grammaire Cardiff se conçoit comme un modèle génératif, c’est-à-dire un modèle explicite et capable de générer des textes. Des réseaux systémiques bien développés et une théorie syntaxique clairement articulée sont donc d’une importance primaire.
Il est à signaler que notre discussion de ces éléments distinctifs de la Grammaire Cardiff suit les grandes lignes de celle que L. Fontaine propose à ce sujet. Dans sa thèse A Systemic Functional Approach to Referring Expressions : Reconsidering Postmodification in the Nominal Group et aussi dans son article intitulé « The Place of Referring Expressions in Systemic Functional Linguistics », Fontaine inclut des comptes-rendus où elle réussit à dégager d’une manière très efficace l'essentiel de la Grammaire Cardiff (2008, p. 97 130, 2010, p. 6 18).
3.3.2.1. Les éléments principaux d'une grammaire systémique fonctionnelle selon la Grammaire Cardiff
Tous les grands courants de la LSF admettent comme principe fondamental que la langue se réalise à travers un processus de sélection où les locuteurs choisissent, que ce soit consciemment ou inconsciemment, parmi des alternatives de sens ; et que le résultat d’une telle sélection sémantique détermine l’aspect formel de tout énoncé. Mais contrairement à la Grammaire Sydney qui envisage une strate sémantique distincte de la strate lexicogrammaticale, la Grammaire Cardiff conçoit une lexicogrammaire où les réseaux systémiques modélisent précisément cette sélection sémantique.
De ce point de vue, une grammaire systémique fonctionnelle consiste en quatre grandes parties (Fawcett, 2000, p. 36, 2008, p. 41, Fontaine, 2008, p. 99, 2010, p. 4; Neale, 2002, p. 122) :
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Cette illustration s’organise de la manière suivante : les rectangles à gauche représente les parties de la grammaire qui modélisent le potentiel, tandis que ceux à droite montrent celles qui expriment la réalisation de ce potentiel ; en haut, il s’agit du sens, alors qu’ en bas, il est question de la forme. On voit donc que la lexicogrammaire modélise le potentiel sémantique (le sens) et syntaxique (la forme). De plus, il est clair que chaque aspect potentiel a sa réalisation ponctuelle dans les outputs. Remarquons aussi que c’est la réalisation au niveau du sens qui active le potentiel au niveau de la forme.
Pour être plus précis, le réseau systémique modélise, de manière paradigmatique, tous les traits sémantiques disponibles à un locuteur d’une langue donnée. Lorsqu’on traverse le réseau en choisissant parmi ces traits sémantiques, on aboutit à une spécification de réalisation des traits sémantiques, qui n’est rien d’autre qu’une liste des traits choisis en traversant le réseau systémique. Cette liste est alors soumise aux critères de réalisation/structures potentielles avant de générer une strate d’un arbre syntaxique richement étiqueté.
3.3.2.2. La GC: une approche cognitive-interactive
Depuis ses origines la LSF reconnaît la nature interactive de la langue. En fait, certains courants, comme la Grammaire Sydney, lui attribuent un caractère essentiellement socio-sémiotique. Le rôle de la cognition n'est pas tout à fait absent de ces approches, mais il tend à rester implicite (Banks, 2004, p. 395).
La Grammaire Cardiff, par contre, s'oriente vers une conception de la langue qui est explicitement cognitive aussi bien qu’interactive. C’est donc une approche qui se veut psycho-sociolinguistique. Fawcett l’articule clairement dans l’introduction de son livre Cognitive Linguistics and Social Interaction : towards an integrated model of systemic functional grammar and the other components of a communicating mind, le texte fondateur de la Grammaire Cardiff, lorsqu’il écrit :
I want to show how various aspects of language – and in particular those related to social interaction – can, and for many purposes must, be set within a model that is cognitive. And I want also to show how such a cognitive model of language can, and for many purposes must, be set within a wider model of an interacting mind. It is then a psychosociolinguistic model. (1980, p. 1)
Autrement dit, la Grammaire Cardiff cherche à formuler des modèles linguistiques ancrés dans une approche cognitive qui « ne négligent ni l'aspect socio-culturel de l'activité langagière, ni le planning et l'exécution des textes » (2008, p. 19, notre traduction).
3.3.2.3. La production prime sur la compréhension
En ancrant ses modèles dans une linguistique cognitive, la Grammaire Cardiff doit se confronter à une dichotomie production/compréhension qui est centrale à toute approche psycholinguistique (voir, par exemple, François & Nespoulous, s. d.). Cela nécessite une prise de position par rapport au point de vue adopté lors de la modélisation : celui de l’émetteur ou celui du récepteur. Et depuis ses débuts, la Grammaire Cardiff privilégie une approche linguistique où la modélisation de la production prime sur celle de la compréhension (Fawcett, 1980, p. 56).
Selon la Grammaire Cardiff, la production doit être considérée comme le fondement de l'énonciation puisque la structure thématique, la déixis, la modalité, etc. relèvent du locuteur, c’est-à-dire celui qui produit l’énoncé (Fawcett, 1992, p. 630). Bien sûr, une compréhension de la nature essentielle de la langue implique la considération de la manière dont on se sert de la langue non seulement pour rendre sonore/visible des sens (la production), mais aussi pour tirer du sens des sons/graphèmes (la compréhension) (1992, p. 629). Cependant, tout modèle de la compréhension dépendra forcément d’un modèle de production dans le sens que « the task of understanding is not 'just to turn sounds into meanings', [but] to turn the performer's sounds back into the performer's meanings – or, to be more accurate, what the addressee thinks were the performer's meanings » (1992, p. 632, c’est l’auteur qui souligne).
3.3.2.4. Le modèle génératif tel que la Grammaire Cardiff le conçoit
Quoiqu’une bonne armature descriptive dépende de la modélisation, un modèle linguistique doit, selon la Grammaire Cardiff, être génératif aussi bien que descriptif. Autrement dit, il ne suffit pas qu’un modèle soit bien ancré au niveau théorique, il doit aussi être assez large et suffisamment détaillé pour être vérifié par des expériences rigoureuses. Celles-ci prennent la forme de la génération informatique de textes dont les exigences au niveau de la modélisation les rendent particulièrement révélatrices pour des questions de langue.
En effet, les systémiciens de la Grammaire Cardiff ont réussi à développer un tel modèle dont les expériences vérificatrices consistent justement en sa mise en œuvre comme générateur informatique de textes. Cela se situe dans le cadre d’un projet plus vaste, connu sous le nom COMMUNAL , dont l’objet est le développement d’un système informatique qui permettrait la communication naturelle entre des individus et les dispositifs doués de l’intelligence artificielle (Fawcett, 1992, p. 633). Jusqu’à présent ce modèle s’applique surtout à l’étude de l’anglais, mais son application à d’autre langues semble aussi prometteuse.
Le projet COMMUNAL se base sur un modèle qui est censé être celui de « l’esprit humain, y compris sa capacité de communiquer avec d’autres esprits » (Fawcett, 1992, p. 633, notre traduction). Cependant, les systémiciens ne prétendent pas que ce modèle reproduirait le fonctionnement d’une réalité psychologique quelconque (Fontaine, 2008, p. 102). Il s’agit plutôt de modéliser les types de processus qui semblent contribuer à l’activité langagière. Il n’est peut-être pas surprenant, alors, que ce modèle comprenne une trentaine de composants dont le Sentence Planner (le planificateur des phrases), c’est-à-dire la lexicogrammaire, n’en est qu’un .
Il n’est pas question de décrire ici ce modèle dans son ensemble. D’abord, cela demanderait plus d’espace que nous pouvons lui accorder dans le présent document. Et puis, une telle démarche n’apporterait pas beaucoup à notre thèse, puisque celle-ci porte sur des questions strictement lexicogrammaticales. Il suffit donc de regarder de plus près le Sentence Planner, ce « planificateur des phrases ».
3.3.2.4.1. Le Sentence Planner
Le Sentence Planner consiste en une lexicogrammaire dont les deux composants sont un réseau systémique et des critères de réalisation. Le premier est censé représenter tout le potentiel sémantique à l’intérieur duquel un locuteur individuel sélectionnerait (Fontaine, 2008, p. 107). L’illustration 5 montre la manière dont un réseau ‘x’, composé de deux systèmes dont chacun consiste en deux caractéristiques, serait noté.
À gauche on voit le nom du réseau suivi d’une accolade. Celle-ci indique que les systèmes ‘A’ et ‘B’ seraient tous les deux activés en traversant ce réseau. Par contre, les crochets signalent qu’un choix entre deux caractéristiques, dans chacun des deux systèmes, devrait être effectué.
Les critères de réalisation forment le pont entre les possibilités sémantiques et les structures qui les réalisent dans l’énoncé, que ceci soit parlé ou écrit. Ils consistent généralement en un numéro du critère, les caractéristiques du réseau, toute condition qui s’applique au critère, et les détails de la mise en application du critère (Fontaine, 2008, p. 108; Tucker, 1999, p. 47). Ces critères gèrent les traversées du réseau systémique aussi bien que le développement et la production des descriptions structurelles (Tucker, 1999, p. 45).
3.3.2.5. La théorie syntaxique de la GC
Si le réseau systémique modélise le potentiel significatif, et les critères de réalisation relient ce potentiel aux structures linguistiques, c’est la théorie syntaxique qui gère la modélisation de ces structures. Et cette théorie syntaxique est suffisamment explicite pour répondre aux besoins d’un modèle génératif. Sur ce point, la Grammaire Cardiff est unique parmi les écoles systémiques fonctionnelles (Fontaine, 2008, p. 97).
Une articulation détaillée de la théorie syntaxique de la Grammaire Cardiff se trouve dans la Theory of Syntax for Functional Linguistics de R. Fawcett (2000). Mais il y a aussi une version simplifiée, ou « minimale », qui se limite à l’essentiel nécessaire pour aborder un travail descriptif (2008, p. 72 82). En raison de la nature descriptive de notre thèse, et des limites spatiales de la présente section, c'est la théorie minimale qui sera considérée ici.
La théorie minimale de syntaxe est une théorie des occurrences syntaxiques. Autrement dit, il s’agit d’une théorie des « outputs » et non pas du potentiel. La théorie minimale de syntaxe consiste en huit concepts généraux destinés à former la base d'une description d'une langue donnée. Ces huit concepts peuvent se diviser en deux groupes : les catégories et les rapports (2008, p. 73).
Les concepts qui se rangent sous la rubrique des catégories sont l'unité, l'élément, l'item et le positionnement. Selon R. Fawcett, la meilleure façon d'expliquer ces concepts c'est à l'aide d'un exemple graphique (2008, p. 73). Considérons donc l'illustration suivante :
Remarquons tout d'abord que la quatrième catégorie, le positionnement, n’est pas illustrée. Cela se justifie par le fait que le positionnement porte sur le rangement des éléments, selon un ordre numérique prédéterminé, à l'intérieur d'une unité donnée. C'est un concept dont l'utilité se trouve dans la génération d'énoncés ; lors des analyses d'énoncés, c’est-à-dire le travail descriptif, il n'est pas nécessaire de le prendre en compte (Fawcett, 2008, p. 75).
Une des grandes faiblesses de cet exemple graphique, c’est son manque de clarté en ce qui concerne la distinction entre les catégories unité et élément. Malheureusement, dans sa théorie minimale de syntaxe Fawcett semble content de laisser le lecteur en déduire la distinction à partir d’une telle illustration (2008, p. 73 75). Il ne définit pas de manière explicite ces concepts.
La Theory of Syntax for Systemic Functional Linguistics est peut-être plus révélatrice sur ce point. Dans ce livre fondamental de la Grammaire Cardiff, Fawcett affirme la nécessité « des classes d'unité sémantique aussi bien que syntaxique » dans un modèle systémique fonctionnel (2000, p. 193). Et puis il reconnaît cinq unités syntaxiques majeures dans l'anglais actuel : la proposition, le groupe nominal, le groupe prépositionnel, le groupe qualitatif et le groupe quantitatif. Il signale aussi que les unités sémantiques se réalisent par le biais des éléments de structure dont les unités syntaxiques se composent. (2000, p. 193 194)
Il semble donc que, dans la théorie syntaxique de la Grammaire Cardiff, l’élément représente la moelle sémantique de l’unité. L. Fontaine, dans son Analysing English Grammar : A Systemic Functional Introduction, l’exprime ainsi :
Each clause is a constellation or configuration of component parts which express various functional meanings, which will be referred to as elements, and these component elements are realized or expressed through various different structural units. (2013a, p. 22)
On voit ici que l’élément égale « sens fonctionnel », tandis que l'unité est la forme. C’est la détermination des rapports entre les éléments fonctionnels et les unités structurelles qui intéresse les systémiciens lors des analyses syntaxiques.
La Grammaire Cardiff définit ces rapports par moyen de quatre concepts relationnels : la composition, le remplissage, l'exposition et l'assimilation. L'illustration 7 aide a comprendre la façon dont se visualise ces concepts selon les conventions de la Grammaire Cardiff :
En commençant au sommet de l'arbre, une première lecture se ferait de la manière suivante : l'élément ÉÉ (Énoncé Écrit) est rempli par l'unité P (Proposition) ; l'unité P est composée de OÉ (Ouverture d'Énoncé)/ VP (Verbe Principal), X (Verbe Auxiliare), S (Sujet)/ Ag-Perc (Agent-Percevant), C (Complément)/ Ph (Phénonmène), et FÉ (Fermeture d'Énoncé) ; OÉ/VP sont remplis par l’unité gv (groupe verbale), X est aussi rempli par l’unité gv, S/Ag-Perc sont remplis par l’unité gn (groupe nominale), C/Ph sont remplis par l’unité gprép (groupe prépositionnel) et l'élément FÉ est exposé par (.) ; et ainsi de suite.
On voit que les concepts relationnels de remplissage, de composition et d'exposition s'appliquent à des rapports intercatégoriels. Autrement dit, ce sont des idées qui permettent une description des rapports entre l’élément, l’unité et l’item. Et ces rapports peuvent se résumer ainsi : l'unité est composée d'un ou de plusieurs éléments ; ceux-ci peuvent être remplis par des unités, ou bien ils peuvent être exposés directement par des items (Fawcett, 2008, p. 76).
Le quatrième des concepts relationnels, l'assimilation, n’est pas comme les autres. D’abord, il s’agit non pas de rapports intercatégoriels, mais de rapports intracatégoriels. Et puis l’assimilation ne porte que sur des rapports entre éléments. Si on considère encore une fois l'illustration 7, on constate que, parmi les éléments composants de P, il y a des couples d'éléments qui sont remplis par une seule et même unité, ou qui sont exposés par un seul et même item. On voit, par exemple, que les éléments VP et OÉ sont tous les deux exposés par l'item « Sellout », et que les éléments C et Ph sont remplis par l'unité gprép. Ce sont des exemples de l’assimilation des éléments en question. Cette assimilation est représentée par la barre oblique dans la notation : VP/OÉ, C/Ph, etc. (voir Fawcett, 2008, p. 84).
3.3.2.6. Les fils sémantiques majeures selon la GC
Dans la partie 3.2.1.3. du présent chapitre, nous avons tracé les grandes lignes des métafonctions selon la Grammaire Sydney. Nous avons vu que la GS envisage trois métafonctions majeures, et que chaque métafonction implique une structure qui lui est propre. La Grammaire Cardiff, par contre, conçoit huit fils sémantiques dont l’expression se fait non pas à travers des structures spécialisées, mais par le biais les structures syntaxiques générales.
Les huit fils sémantiques de la Grammaire Cardiff sont :
- la sémantique expérientielle, où il s’agit du « sens » tel qu’il est généralement conçu par le non-linguiste et où il est question de « procès et participants ».
- les relations logiques, qui lient deux propositions.
- l’interpersonnelle, au moyen de laquelle la grammaire peut représenter l’acte discursif.
- la négativité, qui permet les distinctions de polarité.
- la validité, dont le locuteur se sert pour signaler son jugement en ce qui concerne le bien-fondé du contenu de la proposition énoncée.
- l’affective, à laquelle le locuteur recourt afin de révéler ses sentiments à propos du contenu de la proposition énoncée.
- la thématique, où il s’agit de la mise en avant d’un élément dans le but d’une contextualisation ou d’une mise en perspective.
- l’informationnelle, qui contribue à l’articulation d’unités informationnelles et qui permet la mise en évidence de ces dernières.
La modélisation de ces fils sémantiques s’effectue au moyen des réseaux systémiques. Un fil sémantique peut en requérir un ou plusieurs selon le cas. Le tableau 4, ci-dessous, montre ces correspondances tels que la Grammaire Cardiff les envisage par rapport à la modélisation de la proposition en langue anglaise (Fawcett, 2008, p. 245; Fontaine, 2008, p. 119, 2010, p. 17) :
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Tableau 4 : les fils sémantiques et les réseaux systémiques correspondants
Il est à rappeler que, selon la LSF, une proposition réalise de manière simultanée plusieurs fils de sens ; la Grammaire Cardiff n’est pas du tout exceptionnelle sur ce point. Mais d’après les partisans de la GC, rien n’exige qu’une proposition donnée réalise tous les fils de sens. Il est aussi important à noter que, puisque les fils de sens se réalisent par des structures syntaxiques générales dont la ponctuation participe, la ponctuation a sa place dans une lexicogrammaire.
3.4. La ponctuation d'un point de vue systémique fonctionnel
Jusqu'ici nous avons parlé de la Linguistique Systémique Fonctionnelle sans aborder la question du rôle de la ponctuation dans cette approche. Cela peut paraître surprenant vu que notre problématique traite justement le sujet de la ponctuation. Mais notre raisonnement est très simple : les systémiciens ont très peu écrit sur la ponctuation. Bien sûr, les chefs de file des deux grands courants de la LSF ont reconnu l'importance linguistique de la ponctuation (Fawcett, 2008, p. 11, 2014, p. 1, s. d., p. 13; Halliday, 2014, p. 7 8), mais de véritables analyses lexicogrammaticales de la ponctuation sont presque inexistantes.
Généralement, on doit se contenter d’une brève mention de la ponctuation lors d’une description plus détaillée d’autres structures syntaxiques. Emblématiques de ce phénomène sont les résumés de la syntaxe anglaise que Fawcett offre en appendice à ses deux livres principaux : A Theory of Syntax for Systemic Functional Linguistics (2000, p. 304 307) et Invitation to Systemic Functional Linguistics through the Cardiff Grammar : An extension and simplification of Halliday's Systemic Functional Grammar (2008, p. 249 252) :
À notre sens, la plus grande faiblesse de cet outil se situe justement dans son traitement insuffisant de la ponctuation. Fawcett semble attribuer à toutes les marques de ponctuation signalées un seul et même rôle syntaxique, celui de « Ender ». En vérité, Fawcett reconnaît aussi le rôle de « Starter » (2000, p. 304, 2008, p. 249). Mais cela n’est qu’une faible amélioration qui ne tient pas raisonnablement compte de toute la complexité ponctuationelle dont nous avons parlé dans la section 2.2. de la présente thèse.
Plus récemment, Fawcett a fait publier un article intitulé « The meanings and forms of intonation and punctuation in English : the concepts required for an explicit model » (2014), dont un des buts est justement de remédier à la lacune mentionnée ci-dessus. Cet article est le seul à notre connaissance à expliciter le rôle de la ponctuation dans le modèle LSF. Il mérite donc que nous nous y attardions un peu afin d’en dégager les concepts qui éclaireront sans doute nos propres recherches.
Le premier de ces concepts c’est tout simplement celui de la ponctuation comme objet de recherches linguistiques qui mérite l’attention des systémiciens. Fawcett affirme qu’ un modèle complet d'une langue doit aussi en traiter les composants ponctuationnels. Il souligne qu’un tel modèle doit aborder la ponctuation de manière exhaustive et explicite, et de façon à l’intégrer dans la lexicogrammaire globale de la langue en question (2014, p. 1).
Ensuite, il est clair que l’intégration de la ponctuation dans la lexicogrammaire ne nécessite pas la reformulation de la lexicogrammaire en tant que telle, mais plutôt l’application de l’approche lexicogrammaticale à la ponctuation. Autrement dit, la ponctuation participe des structures importantes, et sa valeur est directement liée à sa contribution sémantique, qui est tout aussi nécessaire que celle de la syntaxe et des items, au texte écrit (Fawcett, 2014, p. 4). La ponctuation peut donc être modelée en utilisant des réseaux systémiques et des critères de réalisation, tout comme les autres aspects d’une langue.
En effet, une démonstration d’une telle modélisation est un des buts principaux que Fawcett se propose dans « The meanings and forms of intonation and punctuation in English » (2014). Il y réussit sans doute, mais son travail ne peut être considéré que comme un premier pas puisque son traitement de la ponctuation reste schématique. Il y manque de la profondeur et de la nuance aux niveaux sémantique et structurel. Cela s’explique, en partie, par le fait que, malgré le titre qui suggère un traitement équilibré de l'intonation et de la ponctuation, l'auteur consacre la majeure partie de sa description du modèle qu'il propose aux aspects portant sur l'intonation. Fawcett justifie ce traitement inégal en suggérant que la ponctuation est l’équivalent simplifié de l’intonation (2014, p. 1, 21).
Cependant, les présentes recherches n'admettent pas comme acquise l'équivalence entre l'intonation et la ponctuation, particulièrement lorsqu'il s'agit de la description des textes qui sont écrits surtout pour une lecture silencieuse. Nous devons donc regarder d’un œil critique le modèle de la ponctuation proposé par Fawcett. Il y a aussi une deuxième raison pour rester réticent devant ce modèle, c’est qu’il est destiné à la génération des textes, et non pas la description des textes. Et quoiqu'il nous semble certain que la génération et la description des textes sont les deux faces complémentaires d'une même médaille, et là nous rejoignons Fawcett (voir 2008, p. 30 32), il ne faut quand même pas les confondre. Nous n’hésiterons donc pas à innover lorsque ceci contribuera à une amélioration de la conception systémique fonctionnelle de la ponctuation.
3.5. Nos innovations
Sans mettre en cause l’utilité de la Grammaire Cardiff comme encadrement de nos recherches, il faut reconnaître la nécessité d’adapter ses outils à nos propres besoins. Ces adaptations s’effectueront avant tout sur le plan de la nomenclature liée à la ponctuation. Mais notre travail entraînera d’autres innovations aussi : l’augmentation du fil sémantique « informationnel », et une révision de certaines questions concernant les unités syntaxiques.
3.5.1. Une nomenclature mieux adaptée aux nuances de la ponctuation
L’acte de nommer un phénomène linguistique est à la fois une expression du cadre théorique et une façon d’orienter le développement de cette théorie. Il n’est donc pas étonnant que des systémiciens insistent sur l'importance de la nomenclature en LSF (voir, par exemple, Fawcett, 2007, p. 54 57). Malheureusement, cette insistance ne s’étend pas encore à la ponctuation. En fait, même les systémiciens de la Grammaire Cardiff, les seuls à expliciter le rôle de la ponctuation dans leur modèle linguistique, semblent se contenter d’un lexique ponctuationnel très peu développé : Starter, Ender, Opening Quotation mark, Closing Quotation mark. Cela a sans doute l’avantage de faciliter la tâche de ceux qui se penchent sur la génération des textes, mais c’est en sacrifiant la précision et la clarté terminologique qui permettraient une véritable compréhension de la contribution lexicogrammaticale de la ponctuation. Il nous a donc semblé nécessaire de combler cette lacune.
Premièrement, il faut reconnaître que la ponctuation participe de la langue écrite. Et l’énoncé écrit se distingue suffisamment de l’énoncé parlé, dans sa production aussi bien que dans son déchiffrement, qu’il nous semble pertinent de prendre en compte cette distinction dans nos descriptions (voir Crystal, 2005, p. 147 152). Alors, l’élément « Sentence » (Σ), qui est le point de départ traditionnel des analyses syntaxiques dans la Grammaire Cardiff, se révèle inadéquat dans le sens qu’il s’applique tant à un texte oral qu’à un texte écrit. Nous adopterons donc l’élément « Énoncé Écrit » (ÉÉ) comme point de départ de nos descriptions. À notre sens, « Énoncé Écrit » exprime clairement que l’objet de nos analyses est en fait le produit d’un acte énonciatif graphique. Et cela est important parce que c’est justement le choix d’écrire son texte qui forme le critère d’entrée des réseaux systémiques ponctuationnels.
Deuxièmement, on doit se rendre à l’évidence que l’exposition des signes de ponctuation ne se limite pas à de simples items (« . », « ? », « , », etc.). Il est donc nécessaire de développer les outils et un lexique capables de décrire une ponctuation dont la composition serait variable (« ?… », « !? », «;) », etc.). Ces outils doivent bien sûr s’accorder aux autres instruments descriptifs de la LSF ; dans ce cas il serait question d’éléments et d’unités. Quant au lexique, nous proposons les termes suivant : le « ponctème » (ponc), la « terminaison du ponctème » (tponc), le « groupe ponctuationnel » (gponc), et le « complexe ponctuationnel » (cponc). Pour une meilleure compréhension de ces termes, considérons l’illustration 9 :
Le complexe ponctuationnel est rempli par des groupes ponctuationnels (gponc) qui se composent de ponctèmes (ponc) et de terminaisons du ponctème (tponc). Le complexe ponctuationnel nous permet de décrire l'utilisation de plusieurs ponctèmes distincts pour remplir un seul et même élément, tandis que le groupe ponctuationnel nous permet de décrire la liaison de plusieurs ponctèmes dont l'union exprime des sens qui se distinguent des sens des ponctèmes qui le composent.
Finalement, il est nécessaire d’admettre que les fonctions de la ponctuation sont plus nuancées que les termes Starter, Ender, Opening Quotation mark et Closing Quotation mark laissent soupçonner. Cela se voit clairement lorsqu’on a recours à la commutation des signes de ponctuation. On constate que certains signes sont susceptibles à la commutation dans certains cas, mais pas dans d’autres. Une telle variation s’explique le mieux par la variation des fonctions réalisées par les signes en question. Nous employons donc une terminologie plus variée afin de mieux décrire ces nuances ponctuationnelles. Et, dans la tradition de la Grammaire Cardiff, nous essayons de formuler des termes dont l’évidence serait immédiate : « Ouverture d'Énoncé Écrit » (OÉ), « Fermeture d'Énoncé Écrit » (FÉ), « Ouverture de Citation » (OC), « Fermeture de Citation » (FC), « Ouverture de l'Espace Polyphonique » (OEP), « Fermeture de l'Espace Polyphonique » (FEP), « Marque d’Alternance Énonciative » (MAÉ), « limiteur » (l), « ouverture d’un sous-ensemble marqué » (osem) et « fermeture d’un sous-ensemble marqué » (fsem). Sinon, la visualisation de nos analyses syntaxiques permettra des éclaircissements ( voir la section 4.2.1. et le chapitre 5 de la présente thèse).
3.5.2. D’autres innovations
Quoique la précision terminologique soit nécessaire, elle n’est pas suffisante en elle-même pour mettre la Grammaire Cardiff en état d’aborder de manière efficace les questions portant sur la ponctuation bretonne. Il faut aussi repenser certains aspects du modèle lexicogrammatical. D’abord, il est nécessaire d’augmenter notre conception de la sémantique informationnelle pour qu’elle s’harmonise avec les phénomènes ponctuationnels observés. Ensuite, on doit redéfinir les notions de « complexe » et « groupe verbal » afin d’accommoder nos outils descriptifs à la réalité textuelle bretonne.
3.5.2.1. Un fil sémantique informationnel augmenté
Depuis ses origines, la ponctuation contribue à la réalisation d’un sens informationnel dans la mesure où elle aide le scripteur à manipuler le découpage de son message en morceaux facilement identifiables. Il est donc surprenant de constater qu’aucun des réseaux systémiques du fil sémantique dit informationnelle n’est bien adapté à la description de la lexicogrammaire de la ponctuation. Alors, il faut augmenter l’informationnelle afin de remédier à cette carence.
Rappelons que la ponctuation communique quelques détails importants sur la façon dont le scripteur réunit ce qu’il veut transmettre au lecteur : elle signale au lecteur les limites de l’ensemble d’unités réunies dans un seul et même énoncé écrit ; elle met en valeur des sous-ensembles afin de guider le lecteur dans l’interprétation de l’énoncé écrit. L’informationnelle doit donc tenir compte de ce que nous appellerons l’assemblage.
Pour modéliser l’assemblage, nous aurons recours au réseau systémique ASSEMBLAGE. L’illustration 10 offre une visualisation de ce réseau tel que nous l’envisageons :
Notons que le choix « sous-ensemble » est le critère d’entrée à d’autres systèmes , tandis que le choix « ensemble » est terminal. Cela s’explique par le fait que la complexité relative de tout découpage en « sous-ensemble » entraîne une série de décisions plus développée.
Mais le rôle informationnel de la ponctuation ne se limite pas à l’assemblage, il est aussi question de la complétude. Autrement dit, la ponctuation permet au scripteur de signaler si la transmission d’un ensemble ou d’un sous-ensemble devrait être considérée complète ou abrégée. Ce choix est modélisé au moyen du réseau systémique COMPLÉTUDE :
Encore une fois on constate qu’un des choix est terminal et l’autre est un critère d’entrée. Mais il est aussi clair que, en tout, COMPLÉTUDE est un réseau assez rudimentaire. Cela n’empêche aucunement qu’il soit nécessaire pour une description complète de la lexicogrammaire de la ponctuation bretonne.
3.5.2.2. Le « complexe » et le « groupe verbal »
Jusqu’ici les innovations que nous décrivons portent principalement, sinon exclusivement, sur la ponctuation. Mais une description de la ponctuation bretonne occasionne aussi des modifications dont l’impact se fera certainement sentir dans l’armature descriptive générale de la Grammaire Cardiff. Le premier de ces changements, l’intégration d’une notion de complexe, est destiné à l’amélioration de la capacité descriptive de la Grammaire Cardiff par rapport à certaines nuances sémantiques liées au remplissage. Le deuxième, c’est-à-dire l’adoption et la révision du groupe verbal, répond tant aux besoins particuliers de la langue bretonne qu’à la nécessité de résoudre des problèmes posés par la juxtaposition des signes de ponction et le verbe dans les textes écrits.
3.5.2.2.1. L’intégration d’une notion de complexe dans la Grammaire Cardiff
Dans la Grammaire Sydney, la mise en séquence de plusieurs unités d’un même type, et qui sont liées par des relations logico-sémantiques quelconques, est connue sous le terme « complexe d’unité ». Pour les partisans de cette approche, ce complexe est l’objet central dans toute considération portant sur la taxe, c’est-à-dire la parataxe et l’hypotaxe (Halliday, 2014, p. 428 592). Pour eux, le complexe est indispensable.
La Grammaire Cardiff, par contre, rejette la nécessité du complexe. Les systémiciens de la Grammaire Cardiff considèrent que l’utilisation d’un complexe pour aborder des questions de parataxe et hypotaxe mène à un débordement de structures difficilement harmonisables. Ils préfèrent résoudre les questions de taxe par le biais du concept de remplissage (Fawcett, 2000, p. 318 330).
Mais, quoique le point de vue de la Grammaire Cardiff nous paraisse raisonnable, nous hésitons à exclure toute idée d’un complexe de l’armature descriptive que nous adoptons. En fait, nous pensons que, si on en modifie quelque peu la définition, le complexe pourrait bien avoir sa place dans nos analyses.
Alors, au lieu de lui attribuer une valeur tactique, notre définition de complexe insiste sur la manière dont un locuteur/scripteur choisit de remplir un élément quelconque. Nous appelons donc « complexe » les plusieurs unités distinctes qui sont d’une seule et même nature et qui remplissent ensemble un seul et même élément. Une telle conception du complexe rend possible une meilleure description lexicogrammaticale de ce phénomène puisque, à notre sens, elle reflète mieux l’harmonisation sémantique de ces unités que le scripteur semble chercher lorsqu’il les réunit dans un seul élément. Comparons les illustrations 12 et 13 :
L’illustration 13 se base sur l’analyse proposée par Fawcett d’un groupe nominal (gn) comme « fifteen boys and girls » où « fifteen » réalise le déterminant quantitatif (dquant) et « boys and girls » réalisent la tête (t) (Fawcett, s. d., p. 43 chapitre 21). On voit que Fawcett ne recourt pas au complexe dans son analyse de la tête. Il se contente de signaler que la tête est remplie par deux groupes nominaux.
Nous reconnaissons qu’une telle analyse puisse suffire aux besoins de la génération des textes. Mais du point de vue descriptif, une telle approche semble occulter des nuances sémantiques qu’une bonne description devrait mettre en lumière. Si nous reprenons l’exemple « fifteen boys and girls », l’interprétation naturelle serait « un groupe de quinze personnes, composé de garçons et de filles ». Il est clair que le scripteur présente « boys and girls » comme une seule unité, une unité composée bien entendu, mais une seule unité tout de même. L’illustration 12, qui montre une tête remplie d’un complexe nominal composé de deux groupes nominaux, représente de manière plus fidèle ce choix lexicogrammatical du scripteur.
3.5.2.2.2. L’adoption d’un groupe verbal révisé
Comme le complexe, le groupe verbal est une unité qui joue un rôle important dans la Grammaire Sydney, mais qui est absente de la Grammaire Cardiff. Pour la GS, le groupe verbal, c’est l’expansion du verbe et consiste en un verbe lexical, un verbe conjugué, et un ou plusieurs verbes auxiliaires éventuels (Halliday, 2014, p. 396). La Grammaire Cardiff, par contre, considère qu’une telle conception du groupe verbal pose des problèmes structurels et préfère donc traiter ces manifestations diverses du verbe comme éléments de la proposition elle-même : le Verbe Principal, l’Opérateur, le Verbe Auxiliaire, etc. (Fawcett, 2008, p. 49 50 note en bas de page).
Sur ce dernier point, nous sommes tout à fait d’accord avec la GC. Cependant, nos analyses de la langue bretonne nous mène à apprécier la nécessité d’un groupe verbal pour bien décrire le verbe breton, et aussi pour maintenir l’harmonie de notre description de la syntaxe de la ponctuation bretonne. Alors, pour nous, le Verbe Principal (VP), le Verbe Auxiliaire (X), etc. participent des éléments de la Proposition (P) ; ces éléments seraient éventuellement remplis par le groupe verbal (gv). Celui-ci consiste en un verbe (verbe), une particule verbale (R) et, éventuellement, des éléments ponctuationnels :
Ainsi conçu, notre groupe verbal s’accorde parfaitement avec la théorie syntaxique de la Grammaire Cardiff.
3.6. Synthèse de nos bases théoriques
Au début des années 60, M.A.K. Halliday propose une théorie de langue connue sous le nom de la Grammaire « Échelle et Catégorie ». Celle-ci évolue avec le temps et devient ce que nous appelons aujourd’hui la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Cette évolution est marquée par cinq innovations théoriques déterminantes : la primauté des relations paradigmatiques ; la primauté du sens ; la réalisation simultanée de plusieurs fils de sens ; la notion d’une lexicogrammaire unifiée ; et l’incorporation de l’intonation/la ponctuation dans la lexicogrammaire (Fawcett, 2008, p. 10).
Déjà dans les années 70, les partisans de la théorie avancée par Halliday contribuent une pluralité de perspectifs qui aboutit à une diversification de la LSF en plusieurs « dialectes ». Parmi ceux-ci, il y en a deux en position de tête : la Grammaire Sydney et la Grammaire Cardiff. Malgré leur proche parenté, la GS et la GC se distinguent sur plusieurs points importants.
La Grammaire Sydney peut être considérée comme la continuation directe du travail de Halliday. Du point de vu de la GS, la langue est d’une nature socio-sémiotique, et sa structure réalise simultanément plusieurs métafonctions dont les principales sont la textuelle, l’interpersonnelle et l’idéationnelle. La GS cherche à développer des modèles où le sens et les relations paradigmatiques priment sur la forme et les relations syntaxiques. Malgré cela, la GS semble souffrir d’une multiplication de structures et d’une insuffisance sémantique de ses réseaux systémiques.
La Grammaire Cardiff partage les mêmes origines que la Grammaire Sydney. Leur proche parenté se fait sentir dans le fait que ces deux écoles s’accordent sur l’importance des « cinq innovations théoriques » de Halliday. Cependant la GC a sa propre manière de les interpréter et de les réaliser. Et ce sont justement les particularités de la GC qui la rend autrement bien adaptée aux besoins de la présente thèse.
La GC se veut une approche cognitive-interactive où la production prime sur la compréhension. Son modèle génératif comprend une trentaine de composants dont la lexicogrammaire est celui qui modélise, par le bias des réseaux systémiques, le potentiel sémantique d’une langue donnée. Ce potentiel se divise en huit fils sémantiques majeures : expérientielle, relations logiques, interpersonnelle, négativité, validité, affective, thématique, et informationnelle. La réalisation de ce potentiel se base sur des spécifications de réalisation des traits sémantiques, et se visualise à travers des arbres syntaxiques richement étiquetés. La précision de ces arbres syntaxiques procède d’une théorie syntaxique explicite où les relations entres éléments, unités et items s’expliquent en termes de remplissage, composition, exposition et/ou assimilation.
Qu’il s’agisse de la GS ou de la GC, l’importance linguistique de la ponctuation est explicitement reconnue. En dépit de cela, le travail systémique fonctionnel portant sur la ponctuation reste très épars. Et puis, en insistant trop sur les parallèles entre la ponctuation et l’intonation, les systémiciens qui abordent la question ne font qu’effleurer la matière. Ainsi on aboutit à une description de la ponctuation qui manque de nuance et sur le plan sémantique et sur celui de la syntaxe.
La présente thèse contribue donc à combler une lacune dans l’œuvre systémique fonctionnel. Mais pour ce faire, il nous faut adapter quelque peu les outils de la LSF afin de mieux capter les nuances de la ponctuation. Nos innovations consistent d’abord en une nomenclature plus précise et destinée à améliorer les descriptions de la ponctuation sur les plans sémantique et syntaxique. Au delà de la nomenclature, il est nécessaire d’augmenter le fil « sémantique informationnelle » pour pouvoir prendre en compte certaines spécificités de la ponctuation. Il faut aussi revenir sur la question du complexe et sur celle du groupe verbal afin de redéfinir ces deux unités dans le but d’améliorer leur efficacité descriptive par rapport à la ponctuation bretonne.
4. Notre méthodologie
Dans le chapitre 3 du présent travail, nous présentons les éléments essentiels de la Linguistique Systémique Fonctionnelle et de la Grammaire Cardiff que nous prendrons comme base théorique de nos analyses. Il est maintenant nécessaire d'élaborer notre méthodologie. Celle-ci consiste en deux grandes étapes : la définition du corpus et l'analyse des textes.
4.1. Définir le corpus
Notre travail consiste principalement en des analyses linguistiques de textes en langue bretonne. Puisque le choix des textes influera sur les résultats de nos analyses, il est nécessaire dans un premier temps d’élaborer les critères de bases qui guideront notre choix. Et dans un deuxième temps nous présenterons très brièvement les textes choisis. Enfin il faudra justifier nos décisions par rapport à certains caractéristiques qui n'entrent pas dans la rubrique des critères de base : la littérarité ; l'orthographe ; les écrivains bretonnants traditionnels vs. les écrivains néo-bretonnants.
4.1.1. Les critères de base
Afin de limiter notre champ de travail à des proportions qui soient à la fois maniable et susceptible de produire des résultats généralisables, les textes dont nous nous servirons répondront à trois critères : des textes écrits, des textes dont la longueur ne dépassera pas 400 mots et des textes d'une diversité d'auteurs. Nous offrons ci-dessous quelques précisions au sujet de ces critères.
4.1.1.1. La langue écrite
La présente étude se limitera à une analyse lexicogrammaticale de la ponctuation en langue bretonne contemporaine écrite. Le choix de la langue écrite est motivé par quatre constats :
1.) C'est peut-être une évidence, mais la ponctuation telle que nous la définissons appartient à la langue écrite.
2.) Pour des raisons principalement sociopolitiques, la valeur linguistique des écrits en langue bretonne est souvent sous-estimée. Cela fait que les recherches dans ce domaine sont éparses. Nous espérons contribuer à combler cette lacune.
3.) Sans effacer les distinctions dialectales, les écrits en langue bretonne permettent au chercheur un regard plus clair sur les éléments de base partagés par tous les dialectes bretons.
4.) Pour un doctorant au Vermont, il est plus pratique de faire des recherches à partir de textes écrits que de formuler un projet de recherche basé sur des entretiens qui nécessiteraient peut-être plusieurs voyages à l’étranger.
4.1.1.2. Le nombre et la longueur des textes
La présente étude se limitera à une petite trentaine de textes dont la longueur sera entre 300 et 400 mots environ chacun. Cela fera un corpus d’environ 10.000 mots ; il s’agit donc d’un « mini-corpus » dont la valeur se trouve justement dans ses dimensions qui restent à l’échelle humaine (Banks, 2005, p. 209). D’abord, ses proportions sont assez restreintes pour nous permettre d'en faire les analyses détaillées nécessaires pour dégager les caractéristiques principales syntaxiques et sémantiques de la ponctuation. Mais en même temps, elles sont assez larges pour permettre l’identification d’ un certain nombre de tendances dans les usages ponctuationnels des scripteurs bretonnants. Ainsi il devient possible d’entamer la question de probabilités de réalisation ; celles que nous établirons seront sans doute provisoires, mais elles pourront certainement servir de point de départ de recherches futures.
4.1.1.3. La diversité des auteurs
Une étude linguistique telle que la nôtre ne se fait pas dans l'intention de porter de la lumière sur le style de tel ou tel scripteur. Nous visons à faire des analyses qui aboutiront à des conclusions généralisables. Il va donc de soi que notre regard devrait se porter sur des textes de plusieurs auteurs. Par contre, ce qui ne va pas de soi, c'est la réponse à la question de combien d'auteurs il nous faudra pour arriver à des résultats valables. Il n’y a pas de consensus parmi les linguistes qui abordent de telles questions (Silva-Corvalán, 2001, p. 45 47), et la Linguistique Systémique Fonctionnelle reste, à notre connaissance, muette sur le sujet. Nous avons donc décidé, de manière quelque peu arbitraire, d'examiner des textes d’environ une douzaine d’écrivains contemporains. Mais nous pouvons justifier ce chiffre de la manière suivante : dans les dernières décennies du XXe siècle on comptait bien moins que 1000 écrivains de langue bretonne (Abalain, 2000, p. 85); 12 écrivains représenteraient donc plus que 1,2 pourcent de cette population, ce qui dépasse de loin le 0,025 pourcent considéré par certains linguistes comme le minimum idéal pour un échantillon (Silva-Corvalán, 2001, p. 46). Nous affirmons donc avec une certaine confiance que notre échantillon sera largement suffisant pour autoriser des conclusions généralisables ; reste à déterminer la portée précises de ces dernières.
4.1.2. Nos textes
Nos textes sont des extraits littéraires, et ils proviennent tous d’un seul et même recueil : Mont war-raok gant ar brezhoneg de Per Denez. En fait, ce livre est un manuel d’apprentissage de breton destiné à ceux qui désirent « passer à un niveau supérieur d’étude » (1987, quatrième de couverture). Cela n’empêche qu’il soit parfaitement adapté aux besoins de la présente thèse.
D’abord, Mont war-raok gant ar brezhoneg réunit 27 extraits littéraires qui sont tous de la longueur requise. Et ces extraits représentent l’œuvre de treize écrivains bretonnants : Yann-Frañsez Kaba (1895-1944), Gwilherm Berthou-Kerverziou (1908-1951), Yann-Vari Kerwerc'hez (1910-1974), Youenn Drezen (1899-1972), Fañch Elies-Abeozen (1896-1963), Gawain (???), Yann Ar Gow (1897-1966), Roparz Hemon (1900-1978), Ronan Huon (1922-?), Fant-Rozeg Meavenn (1911-?), Reun Menez-Keldreg (1914-1984), Jakez Riou (1899-1937) et Frañsez Vallée (1860-1949). On voit donc que ce recueil répond bien à nos critères de base.
Mais au-delà de ces critères, l’utilisation de ce recueil contribuerait à la crédibilité de nos analyses. En acceptant le choix d’extraits d’un éditeur qui n’est pas du tout associé à notre projet de recherches, nous gardons un meilleur niveau d’objectivité face à l’objet de notre travail. Autrement dit, nous minimisons le risque que notre corpus se construise à partir de nos propres à priori.
Et finalement, Mont war-raok gant ar brezhoneg est relativement facile à obtenir. Cela veut dire qu’il serait à la portée de tous ceux qui aimeraient éventuellement vérifier nos analyses à partir de nos textes sources.
4.1.2.1 La justification du choix des textes
Alors, nous avons expliqué les raisons pour lesquelles Mont war-raok gant ar brezhoneg est la source dans laquelle nous puisons nos textes, mais il nous reste quand même à justifier certains détails à propos de notre choix des textes. Plus précisément, nous devons faire comprendre pourquoi notre corpus consiste en extraits littéraires, publiés en orthographe peurunvan, par des écrivains néo-bretonnants aussi bien que par des écrivains bretonnants traditionnels.
4.1.2.1.1. La question des textes littéraires
Le choix de travailler sur des textes littéraires s'ancre dans trois considérations majeures. Premièrement, nous pensons que les textes littéraires seront plus riches en ponctuation. Sur ce point, nous suivons N. Catach qui l'exprime ainsi : "Plutôt qu'à la ponctuation de textes courts et fugitifs (lettres, rapports, articles de journaux, etc.), qui se contentent d'une ponctuation relativement pauvre, nous nous intéresserons à celle des ouvrages littéraires, ce qui nous permettra de mieux développer toutes les possibilités des signes." (1996, p. 48) Deuxièmement, le registre littéraire est communément reconnu et reconnaissable, du moins dans ses grandes lignes. Il se prête donc au bornage d’un champ de travail linguistique. Et finalement, le breton standard de ce début du 21e siècle se base sur le breton littéraire du 20e siècle. Alors, les résultats de nos analyses sur le breton littéraire seront généralisables et contribueront à une meilleure description de la lexicogrammaire de la langue bretonne.
4.1.2.1.2. La question de l'orthographe
Dans la section 1.1.3. du présent travail nous avons tracé les grandes lignes de l'histoire de l'orthographe du breton. Nous avons présenté les trois orthographes modernes : peurunvan, skolveurieg et etrerannyezhel ; et nous avons signalé la polémique que la question d'orthographe peut susciter. Il nous semble donc nécessaire de parler ici du raisonnement derrière notre choix d'utiliser le peurunvan pour la transcription de nos textes bretons.
Enfin, notre démarche est simple : nous reproduisons les extrait littéraires tels qu'ils se trouvent dans le recueil que nous citons. Nous ne nous posons pas de questions sur la possibilité d'autres versions de ces extraits où le choix d'orthographe serait plus, ou moins, fidèle à celui fait par l'auteur lorsqu'il a rédigé son manuscrit. Nous nous justifions par le fait que nos analyses se limiteront au niveau de la phrase ; l'orthographe n'y sera donc pas pertinente. Cela dit, nous reconnaissons que l’usage du peurunvan pourrait éventuellement être indicatif d'un choix politico-socio-linguistique de la part de l'éditeur du recueil source de nos extraits. Mais quoiqu'il en soit, nous insistons qu’un tel parti pris n’a aucun rôle dans la présente thèse.
4.1.2.1.3. L'inclusion des écrivains néo-bretonnants
Lorsqu'il s'agit de la question de l'inclusion, ou l'exclusion, des écrivains néo-bretonnants, un parti pris est inévitable. Nous choisissons en faveur de l'inclusion de ces écrivains pour des raisons suivantes :
- Les écrivains néo-bretonnants, comme notamment Roparz Hemon, ont joué un rôle énorme dans le développement du breton littéraire sur lequel se base le breton « standard » d'aujourd'hui (Timm, 2003, p. 35 37).
- La transmission actuelle du breton se fait largement dans le cadre d'un système scolaire où le néo-breton est fortement favorisé au dépens du breton dit « traditionnel » (Le Menn, 1975, p. 80 83; Timm, 2003, p. 38 41).
- L'auteur du présent travail est lui-même néo-bretonnant ; il nous semble donc hypocrite et inutile d'exclure des textes, qui s'inscrit dans le canon littéraire breton et qui ont une place reconnue dans l'enseignement actuelle du breton, sur le seul critère que l'écrivain en question serait néo-bretonnant.
4.2. Comment analyser les textes ?
En ce qui concerne la méthodologie, notre travail s'inscrit dans le cadre de la Grammaire Cardiff. On s’attendrait donc à ce que la proposition soit l’objet primaire de nos analyses (voir aussi Fawcett, 2008, s. d., p. 47; Fontaine, 2013a, p. 10). Mais nous nous intéressons ici à la ponctuation, et même selon la définition restreinte que nous lui attribuons, la ponctuation n’est pas strictement un phénomène propositionnel ; elle opère plutôt au niveau de la phrase (voir la section 2.2.1.2. de la présente thèse). Nos analyses se feront donc au niveau de la phrase.
Mais qu’est-ce qu’une phrase ? Dans les milieux linguistiques, ce terme est tellement chargé de sens, parfois contradictoires, qu’il vaut mieux l’abandonner. Nous préférons parler d’énoncé écrit que nous définissons ainsi : segment d’un événement langagier écrit, donc situé dans le temps et dans l’espace, que le scripteur présente comme un ensemble uni, distinct et constitutif du texte. Bien sûr, la ponctuation est souvent l’outil utilisé pour signaler ces énoncés écrits, mais on aurait tort de penser que l’utilisation des signes de ponctuation est l’unique moyen de le faire. Considérons, par exemple, la pratique répandue qui consiste à envoyer des SMS sans signes de ponctuation. Dans de tels cas, l’énoncé écrit est signalé par moyen des pauses de transmission. Notre définition de l’énoncé écrit nous permet donc d’aborder des questions de ponctuation sans tomber dans la tautologie.
Alors, nous ferons des analyses au niveau de l’énoncé écrit. Cela nous permettra d’analyser la ponctuation bretonne sans abandonner les outils d'analyse de proposition développés dans le cadre de la Grammaire Cardiff. Il faudra certainement adapter ces outils aux besoins de nos recherches, et nous signalerons de telles adaptations au cours de nos analyses. Celles-ci consisteront en trois parties principales : analyses syntaxiques, analyses sémantiques et synthèses des analyses.
4.2.1. Nos analyses syntaxiques et sémantiques
La Linguistique Systémique Fonctionnelle regarde la syntaxe comme un outil au service de la sémantique. Une bonne analyse systémique fonctionnelle devrait donc contribuer à une meilleure compréhension de ces rapports. C’est dans ce but que les systémiciens de la Grammaire Cardiff ont développé une façon de représenter leurs analyses qui montre simultanément le texte, l’analyse syntaxique et l’analyse sémantique. Conformément à ces usages, nos analyses seront visualisées ainsi :
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Au centre de notre tableau se trouve le texte à analyser ; dans ce cas, c'est un énoncé écrit que nous citons d'un livre d'enfant intitulé Arzhig Du war e varc'h-houarn (Bour, 2006), la version bretonne de Petit Ours Brun fait du vélo. Au-dessus du texte, on voit l'analyse syntaxique, et au-dessous l'analyse sémantique.
4.2.1.1. Les analyses syntaxiques
L'outil principal de nos analyses syntaxiques sera l'arbre syntaxique « richement étiqueté » (Fawcett, 2000, p. 147). Ceci nous permettra d'élucider les rapports syntaxiques à l’œuvre dans un énoncé écrit donné ; la précision de ces rapports se fondera sur la théorie de syntaxe avancée par Fawcett dans sa Theory of Syntax for Systemic Functional Linguistics (2000) (voir aussi la section 3.3.2.2.4. du chapitre précédent). De là nous pourrons dégager la contribution précise de la ponctuation par rapport à la structure d’un énoncé écrit.
Revenons à l’exemple ci-dessus, la ponctuation se limite à deux éléments : l’Ouverture d’Énoncé (OÉ) et la Fermeture d’Énoncé (FÉ). Cette dernière est réalisée par un signe de ponctuation (.), tandis que l’OÉ est assimilé au Verbe Principal (VP) et se réalise par une majuscule. La ponctuation définit ici les limites de l’Énoncé Écrit (ÉÉ).
En ce qui concerne le reste de cet arbre syntaxique, son intérêt se borne ici à sa simplicité relative qui le rend propice à nos intentions explicatives. En commençant au sommet de l'arbre, le lecteur constate qu'il s'agit ici de l'analyse d'une unité Énoncé Écrit (ÉÉ). Cette unité Énoncé Écrit est remplie par l'unité Proposition (P). Celle-ci se compose, dans notre exemple, des éléments Verbe Principal (VP), Ouverture de l'Énoncé (OÉ), Particule Verbale (R), Verbe Auxiliare (X), Sujet (S), Complément (C) et Fermeture de l'Énoncé (FÉ). Si on se concentre maintenant sur la branche qui mène au nœud C, on remarque que l'élément C est rempli par l'unité groupe prépositionnel (gprép) qui se compose, elle, des deux éléments préposition (prép) et complétif (compl). L'élément prép s'expose à travers l'item « ouzh »,tandis que l'élément compl est rempli par une autre unité : groupe nominal (gn). Cette unité se compose, quant à elle, de deux éléments : un déterminant déictique (dd) et une tête (t). Le déterminant déictique s'expose à travers l'item « an » ; et la tête s'expose à travers l'item « troadikelloù ».
On pourrait éventuellement développer l'arbre dans l’intention de représenter les structures morphologiques, voire phonologiques, qui forment les bases de l'énoncé, mais cela dépasserait les limites de la présente étude. En fait, puisque nous nous intéressons surtout aux signes de ponctuation au niveau de l’énoncé écrit, il nous semble plus utile de limiter la délicatesse de nos analyses. Autrement dit nous restreindrons nos arbres syntaxiques à la profondeur strictement nécessaire à l'analyse des signes de ponctuation.
Reprenons donc encore une fois notre exemple, « Sellout a ra Arzhig Du ouzh an troadikelloù. » ; notre analyse syntaxique restreinte se visualisera ainsi :
On voit que nous illustrons tout ce qui est nécessaire pour définir la fonction syntaxique de la ponctuation, mais rien d’autre. De cette manière, nos visualisations sont plus faciles à lire, tout en gardant leur pertinence.
4.2.1.2. Les analyses sémantiques
La représentation des analyses sémantiques dans la Grammaire Cardiff se base sur les notions qu'une proposition donnée exprime plusieurs fils de sens et que ceux-ci se réalisent à travers une structure unique et multifonctionnelle. Cependant, il n'est pas nécessaire que tous les fils de sens soient présents dans toutes les propositions (Fawcett, 2000, p. 147 149). De plus, la grille sémantique qui sert à visualiser ces fils n'est pas censée représenter de manière exhaustive les aspects sémantiques d'un énoncé donné, seulement les caractéristiques sémantiques essentielles (Fawcett, 2008, p. 243).
Par exemple, l'analyse que nous avons fait de « Sellout a ra Arzhig Du ouzh an troadikelloù. » montre que l'affective ne contribue pas au sens de cette proposition-là. Par contre, la sémantique expérientielle pénètre la quasi-totalité des éléments de l'énoncé. Cela n'est peut-être pas étonnant vu que la sémantique expérientielle « represents the events and objects (including people) as the Performer of the sentence 'experiences' them – or claims to experience them » (Fawcett, s. d., p. 51), et que c'est justement ces expériences qui forment le noyau de ce que l'on cherche à communiquer à travers la langue.
En ce qui concerne le présent travail, nos analyses se concentreront sur la valeur sémantique des ponctèmes. Nous ne nous pencherons sur le sens des lexèmes/morphèmes que lorsque ceux-ci peuvent éclairer le rôle de la ponctuation de l'énoncé écrit en question. Ainsi nous resterons dans les limites de notre problématique : la ponctuation comme ressource sémantico-syntaxique de la langue bretonne.
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On voit que le « . » a une triple valeur sémantique : interpersonnelle-donneur ; informationnelle-ensemble ; informationnelle-achevé. Quant à la majuscule, elle réalise une valeur thématique-thématisé et une valeur informationelle-ensemble. Mais il est clair aussi que la manière de restreindre la visualisation des analyses à la contribution ponctuationnelle facilite l’élucidation de telles distinctions.
4.2.1.3. Un petit inconvénient et notre façon d’y pallier
La valeur révélatrice des outils d’analyse que nous venons de décrire nous semble évidente. Mais il faut tout de même reconnaître que ces outils ont été développés pour l’examen de la proposition. Et la proposition n’a pas la même capacité d’expansion que l’énoncé écrit. Cela ne pose pas de problème au niveau de l’analyse, mais au niveau de la visualisation des analyses. En deux mots, il n'y a pas suffisamment de place à l'intérieur du tableau pour permettre une représentation lisible des énoncés écrits qui consisteraient en plusieurs propositions. Malheureusement, ce problème ne se résout pas par un simple changement de délicatesse dans les analyses, ce qui n'est pas d'ailleurs toujours possible. Alors pour pallier à ce défaut, nous adopterons une méthode plus variée. D’abord, la visualisation de nos analyses se limitera, comme nous l'avons déjà mentionné, au minimum nécessaire pour faire comprendre l'usage fait de la ponctuation. Ensuite, nous nous résignerons à une variation dans la taille de police de nos arbres syntaxiques. Et puis lorsque l'énoncé écrit ne rentre pas facilement dans la case « texte », nous l’abrégerons en indiquant les coupures par les points de suspension entre crochets dont la couleur de police les distinguera de la ponctuation du texte cité. Finalement, s’il est nécessaire, nous diviserons les énoncés écrits en plusieurs segments analysables qui seront chacun visualisé séparément.
4.2.2. La synthèse des analyses
Notre travail consistera en plusieurs centaines d’analyses lexicogrammaticales. Quoique chacune d’entre elles aura sans doute son propre aspect révélateur, c’est une vue d’ensemble de ces analyses qui nous permettra des observations généralisables par rapport à la lexicogrammaire de la ponctuation bretonne. Voilà pourquoi nous nous servirons d’une grille de synthèse non seulement pour chaque extrait littéraire, mais aussi pour notre corpus dans son intégralité.
Au moyen de ces grilles de synthèse, nous pourrons tenir compte du fait que chacun des énoncés écrits examinés fait partie d'un texte plus étendu (voir Fawcett, 2008, p. 39, 44, et s. d., p. 47). Ainsi nous pourrons bien dégager et articuler les éléments saillants de la ponctuation bretonne. La visualisation de nos grilles de synthèse prendra la forme suivante :
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D’abord, nous noterons le nombre d’Énoncés Écrits compris dans la synthèse en question. Ensuite nous signalerons le nombre/ pourcentage de ces ÉÉ dont la ponctuation est simple (limitée au paire OÉ/FÉ) et le nombre/pourcentage de ceux dont la ponctuation est composée (OÉ/FÉ + autre). Alors, nous ferons l’inventaire des signes pour chaque élément exposé par la ponctuation (OÉ, FÉ, lr, osem, fsem, et R). Nous finirons par associer chaque signe de ponctuation avec le sens qu’il réalise dans chaque fil sémantique.
Cette grille de synthèse peut être suivie de quelques brefs commentaires. Ceux-ci porteront sur la syntaxe et/ou sur la sémantique selon le cas. Mais l’essentiel de nos réflexions sera mieux développé dans le chapitre 6 de la présente thèse.
4.3. Synthèse de notre méthodologie
Notre méthodologie consistera donc en deux grandes étapes : la définition du corpus et l'analyse des textes. La première se fera selon des critères bien définis. D'abord, puisque notre problématique portera sur les signes de ponctuation bretonne, nos textes devront être représentatifs de la langue écrite bretonne. Ensuite, afin d'espérer que notre travail pourra aboutir à des conclusions plus ou moins généralisables, il nous faudra un corpus assez large en ce qui concerne le nombre et la longueur des textes. Enfin, dans le but d'assurer cette généralisabilité des résultats, nos textes devront aussi représenter une diversité de scripteurs bretonnants.
Le manuel d'apprentissage du breton intitulé Mont war-raok gant ar brezhoneg nous servira de source principale des textes à analyser. Dans ce manuel, Per Denez a réuni 27 extraits littéraires de l’œuvre de 13 écrivains différents. Chacun de extraits compte entre 300 et 400 mots ; parmi les écrivains se trouvent des auteurs néo-bretonnants aussi bien que des bretonnants traditionnels. Le fait que, en adoptant le peurunvan, P. Denez ait uniformisé l'orthographe de ces divers textes n'aura pas d’impact appréciable sur nos analyses puisque nous examinerons la ponctuation bretonne au niveau de l’énoncé écrit et non pas au niveau du mot. Nous trouvons quand même important d'insister que l'utilisation du peurunvan dans la présente thèse ne représente d'aucune façon un parti-pris de notre part par rapport au débat sur la question de l'orthographe bretonne.
En ce qui concerne la deuxième grande étape de notre méthodologie, l'analyse des textes, elle s'inscrira dans l'approche Grammaire Cardiff de la Linguistique Systémique Fonctionnelle. Nous ferons donc des analyses qui abordent à la fois la syntaxe et la sémantique. Nos outils principaux seront l'arbre syntaxique et la grille de sémantique. À partir des résultats de ces analyses, nous ferons des commentaires dont l'objectif sera de dégager les éléments caractéristiques de la ponctuation bretonne.
5. L’analyse lexicogrammaticale de la ponctuation en langue bretonne
Nous avons examiné les aspects majeurs de la Linguistique Systémique Fonctionnelle (chapitre 3), et articulé notre méthodologie (chapitre 4). Il est temps maintenant d’entrer dans le stade empirique du présent travail, celui qui servira de matière première aux éventuelles réponses à notre problématique : nos analyses lexicogrammaticales de la ponctuation bretonne. Mais avant de ce faire, il est utile d’offrir quelques détails sur l’organisation du contenu de ce chapitre.
D’abord, nos extraits seront groupés par auteur, et non pas dans l’ordre où ils se trouvent dans le recueil, Mont war-raok gant ar brezhoneg (Denez, 1987), que nous citons. Cela n’aura aucun impact sur les analyses. Par contre, d’autres chercheurs pourraient en bénéficier dans le sens qu’un tel groupement permettrait de déceler des distinctions subtiles entre la façon dont un écrivain manipule la ponctuation et celle d’un autre.
Ensuite, afin de respecter la limite du nombre de pages, la visualisation détaillée de nos analyses ne sera offerte ici que pour les deux premiers extraits littéraires . Il s’agira donc d’une quarantaine d’analyses détaillées, dont certaines seront accompagnées de brefs commentaires destinés à mettre en valeur des aspects caractéristiques de notre approche. Ainsi la manière dont nous abordons ce travail sera suffisamment explicitée. Cela permettra une présentation abrégée de notre analyse des autres extraits littéraires : cette présentation consistera exclusivement en des synthèses.
Enfin, il est à rappeler que, faute d’espace, nous nous permettons de varier la taille de police des arbres syntaxiques que nous présentons. Nous reconnaissons que cela risque par moments d’incommoder le lecteur, mais nous trouvons que ce petit inconvénient soit préférable à celui qu’aurait suscité l’insertion de grands dépliants. C’est le même raisonnement qui nous pousse parfois à abréger le « texte ». Dans ces cas-là, l’abréviation est signalée par des crochets et des points de suspension dont la couleur de police contraste avec celle du texte original pour ne pas confondre la ponctuation de l’écrivain avec la nôtre.
5.1. Yann-Frañsez Kaba (1895-1944)
5.1.1. extrait 1
D'ar meurzh pevar a viz Meurzh, da greisteiz, touarjomp e Monbaza. Savet war un enezenn binvidik, ar gêr-mañ a oa d'ar C'hermaned a-raok ar Brezel Bras. An dra-mañ evit lavarout deoc'h ez eo disheñvel-tre diouzh Porzh-Said pe Djibouti. Dre ur ganol strizh a-walc'h ez eer betek ar porzh. Daou gostez an douar a zo kaer-meurbet, ha keit ha ma c'heller gwelout ne weler nemet gwez glas evel e Breizh-Izel d'an hañv. Gwez avaloù kokos ez eus muiañ. Moan ez int, ha hir a-walc'h an dreujenn anezho. Er beg hepken en em gav ur bouchad delioù hir heñvel-tre ouzh ar raden-pesk, met kalz hiroc'h ha kaletoc'h. En-dro da dreujenn an delioù-se e tiwan hag e kresk an avaloù. Ken bras eo ar re-mañ hag ur gaol-irvinenn ; er c'hreiz ez eus dour, betek ul litrad dre bep hini. Mat-tre eo da evañ, yac'hus ha magus ivez. An dour a zon dalc'het en ur vouedenn ; gant hounnezh e vez graet eoul-debriñ pe eoul evit ar mekanikoù, ur seurt amann implijet kalz hiziv hag a vez graet kokoz dioutañ. Ar vouedenn a zo en un askorn hag an askorn en ur bluskenn. Heñvel-tre ouzh kraoñ bras Europa.
Dindan ar gwez ez eus tiez koant-kenañ, gwenn ha ruz, ar mogerioù gwenn-kann hag an toennoù graet gant teol ruz. An darn vuiañ n'o deuz nemet ur solieradur, met bez'ez eus hiniennoù hag o deus daou ha zoken tri. Douaret eo al lestr, met pell en deus ranket chom diouzh an aod, rak ar vro-mañ a zo dalc'het gant ar Saozon ha kalz a listri saoz a zo er porzh o kargañ hag o tiskargañ marc'hadourezh. N'eo ket bagoù bihan a vank da zouarañ. Kemer a reomp unan. Daou skoed ne reont nemet pevar real saoz, da lavarout eo ur shilling. (extrait de Trema an heol o sevel, cité dans Denez, 1987, p. 10 11)
5.1.1.1. extrait 1: énoncé écrit 1
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L’Ouverture d’Énoncé (OÉ) est ici assimilée à l’Ajout (A) thématisé, et elle est exposée par la mise en majuscule de la première lettre des items qui réalisent cet Ajout. Une illustration détaillée de cette distinction graphémique aurait nécessité une extension encombrante et peu révélatrice de l’arbre syntaxique. Nous adoptons donc une présentation simplifiée de ce phénomène.
5.1.1.2. extrait 1: énoncé écrit 2
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Le limiteur (lr) marque la terminaison de l’unité dont il est un élément – dans ce cas , une Proposition (P). Le limiteur porte une valeur informationnelle de « sous-ensemble-une borne » et contribue ainsi à une répartition marquée de l’Énoncée Écrit (ÉÉ).
5.1.1.3. extrait 1: énoncé écrit 3
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
La Fermeture d’Énoncé (FÉ) se distingue de l’Ouverture d’Énoncé (OÉ) et sur le plan sémantique et sur le plan syntaxique. D’abord, en tant que terminaison, la FÉ ne porte pas de valeur thématique. Ensuite, la FÉ ne semble pas être particulièrement susceptible d’assimilation. En fait, aucun cas d’assimilation de la FÉ n’a été recensé dans la présente étude.
5.1.1.4. extrait 1: énoncé écrit 4
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
La Fermeture d’Énoncé (FÉ) est ici exposé par l’item « . ». Celui-ci porte une valeur interpersonnelle « donneur » et une valeur informationnelle « achevé ».
5.1.1.5. extrait 1: énoncé écrit 5
Daou gostez an douar a zo kaer-meurbet, ha keit ha ma c'heller gwelout ne weler nemet gwez glas evel e Breizh-Izel d'an hañv.
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
L’Énoncé Écrit (ÉÉ) est ici rempli par un Complexe propositionnel (CP). Celui-ci est composé des éléments suivants : une Ouverture d’Énoncé (OÉ), deux Propositions (P) et une Fermeture d’Énoncé (FÉ).
5.1.1.6. extrait 1: énoncé écrit 6
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.1.7. extrait 1: énoncé écrit 7
Moan ez int, ha hir a-walc'h an dreujenn anezho.
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Commentaires :
Le limiteur (lr) est ici exposé par l’item « , ». Celui-ci porte une double valeur informationnelle : « sous-ensemble-une borne-faible » et « achevé ».
5.1.1.8. extrait 1: énoncé écrit 8
Er beg hepken en em gav ur bouchad delioù hir heñvel-tre ouzh ar raden-pesk, met kalz hiroc'h ha kaletoc'h.
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.1.9. extrait 1: énoncé écrit 9
En-dro da dreujenn an delioù-se e tiwan hag e kresk an avaloù.
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.1.10. extrait 1: énoncé écrit 10
Ken bras eo ar re-mañ hag ur gaol-irvinenn ; er c'hreiz ez eus dour, betek ul litrad dre bep hini.
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Commentaires :
Cet Énoncé Écrit (ÉÉ) contient deux limiteurs (lr) exposés par « ; » et « , ». Le « ; » se distingue de « , » par sa charge sémantique plus ample ; outre sa valeur informationnelle, « ; » réalise la logique « coordonnées » et l’interpersonnelle « donneur ».
5.1.1.11. extrait 1: énoncé écrit 11
Mat-tre eo da evañ, yac'hhus ha magus ivez.
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5.1.1.12. extrait 1: énoncé écrit 12
An dour a zo dalc'het en ur vouedenn ; gant hounnezh a vez graet eoul-debriñ pe eoul evit ar mekanikoù, ur seurt amann implijet kalz hiziv hag a vez graet kokoz dioutañ.
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.1.13. extrait 1: énoncé écrit 13
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.1.14. extrait 1: énoncé écrit 14
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.1.15. extrait 1: énoncé écrit 15
Dindan ar gwez ez eus tiez koant-kenañ, gwenn ha ruz, ar mogerioù gwenn-kann hag an toennoù graet gant teol ruz.
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.1.16. extrait 1: énoncé écrit 16
An darn vuiañ n'o deus nemet ur solieradur, met bez' ez eus hiniennoù hag o deus daou ha zoken tri.
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Commentaires :
Notre analyse ne prend pas en compte la « ‘ » qui signale la troncation de « bezañ » au début de la deuxième Proposition (P). La raison en est simple : cette utilisation de la « ‘ » opère au niveau du mot et nos analyses portent sur la ponctuation au niveau de l’énoncé écrit.
5.1.1.17. extrait 1: énoncé écrit 17
Douaret eo al lestr, met pell en deus ranket chom diouzh an aod, rak ar vro-mañ a zo dalc'het gant ar Saozon ha kalz a listri saoz a zo er porzh o kargañ hag o tiskargañ marc'hadourezh.
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5.1.1.18. extrait 1: énoncé écrit 18
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5.1.1.19. extrait 1 : énoncé écrit 19
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5.1.1.20. extrait 1 : énoncé écrit 20
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5.1.1.21. extrait 1 : synthèse des analyses
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Commentaires :
Aucune Rannig (R) recensée dans cet extrait-ci n’est exposée par un signe de ponctuation ; mais nous signalons que ~70 % de ces R sont exposée par un item grammatical (item gram) et ~30 % restent cachée ; Aucun signe de ponctuation recensé dans cet extrait-ci ne réalise des sens expérientielle, négativité, validité ou affective.
5.1.2. extrait 2
Goude kreisteiz, e tiskennjomp adarre d'an douar. Tomm, tomm-ruz e oa. Banne avel ebet. Bremañ e oa mat klask an disheol. Kerkent ha douaret, un toullad moused a zeuas adarre war hol lerc'h, en ur c'houlenn ha karout a rajemp bezañ hentet. Li marché, moso ! Li marché di chameaux, moso ! Danser, moso ! Ha sorc'hennoù evel-se. Evit gweladennoù, setu aze sur traoù hag dalv ar boan o gwelout ur wech evit koll krenn ar c'hoant d'o gwelout en-dro ! Mont a rejomp gant ur straed en ur heuliañ ar voger evit en em guzhat diouzh an heol bervek. Bep pemp pe c'hwec'h troatad hor beze da dreiñ war an hent, rak tud a oa eno oc'h ober o c'housk-merenn, gourvezet war an douar, goloet o fenn ganto gant un tamm truilhoù, pe o c'horf a-bezh en ur sac'h lien pe zantelezh fall ha fin a ranker kaout er broioù tomm evit en em zifenn diouzh ar c'helion, ar c'hwibued hag ar moustiked.
Setu-ni degouezhet e marc'had ar c'hafe. Hemañ a zo un ti bras a-walc'h hag heñvel ouzh ar re a vez graet ar c'hoc'hu diouto en hor bro-ni. Un toullad merc'hed du a zo amañ, puchet en-dro da vernioùigoù kafe, o tispartiañ ar greun du pe fall diouzh ar re vat. Hejañ a reont anezho e paneroù plat graet gant korz evel reoù merc'hed Breizh gwechall pa vezent oc'h aozañ gwinizh. An traoù lous har ar greun fall a sav war-c'horre. Ar merc'hed a daol anezho kuit a-zornadoù. Un nebeut merc'hed all a zivesk greunenn ha greunenn gant o dorn ar greun fall a chom c'hoaz er bernioù. Pebezh labour enoeüs hag hir ! Koulskoude, ar c'hafe ne vez gwerzhet nemet nav ha dek real allur, ha kafe brav, m'hen asur deoc'h. Didrouz e labouront dindan gward ar polis, diarc'hen, ul lerenn gantañ ivez en e zorn. Hemañ a zo eno evit renkañ anezho pa gemer unan greun e bern unan all. Ar polis, o welout ac'hanon sebezet dirak ar merc'hed du, a lavaras din en ur vousc'hoarzin :
– E Bro-C'hall, ar merc'hed ne labouront ket evel-se ? (extrait de Trema an heol o sevel, cité dans Denez, 1987, p. 16 17)
5.1.2.1. extrait 2 : énoncé écrit 1
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5.1.2.2. extrait 2 : énoncé écrit 2
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5.1.2.3. extrait 2 : énoncé écrit 3
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Commentaires :
L’Ouverture d’Énoncé (OÉ) est ici assimilé non pas au premier élément présumable de la Proposition (P), mais au premier élément réalisé. Cela correspond à la fonction de l’OÉ dans la mesure où l’OÉ marque le début d’un énoncé, c’est-à-dire un événement langagier situé dans le temps et dans l’espace. Ou pour parler en termes saussuriens, l’OÉ est un phénomène de « parole », tandis que les éléments présumables mais non-réalisés appartiennent à la « langue ».
5.1.2.4. extrait 2 : énoncé écrit 4
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5.1.2.5. extrait 2 : énoncé écrit 5
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5.1.2.6. extrait 2 : énoncé écrit 6
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Commentaires :
Le « ! » porte une valeur affective « non-spécifiée » ; le Complément (C) thématisé est rempli par une citation signalée non par une Ouverture et une Fermeture de Citation (OC/FC), mais par des lettres en italique ; notre analyse des Ouvertures d’Énoncé (OÉ) attribue une dominance à celle de l’énoncé principal sur celle de l’énoncé cité.
5.1.2.7. extrait 2 : énoncé écrit 7
Evit gweladennoù, setu aze sur traoù hag a dalv ar boan o gwelout ur wech evit koll krenn ar c'hoant d'o gwelout en-dro !
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5.1.2.8. extrait 2 : énoncé écrit 8
Mont a rejomp gant ur straed en ur heuliañ ar voger evit en em guzhat diouzh an heol bervek.
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5.1.2.9. extrait 2 : énoncé écrit 9
Bep pemp pe c'hwec'h troatad hor beze da dreiñ war an hent, rak tud a oa eno oc'h ober o c'housk-merenn, gourvezet war an douar, goloet o fenn ganto gant un tamm truilhoù, pe o c'horf a-bezh en ur sac'h lien pe zantelezh fall ha fin a ranker kaout er broioù tomm evit en em zifenn diouzh ar c'helion, ar c'hwibued hag ar moustiked.
Commentaires :
Il s’agit d’un Énoncé Écrit (ÉÉ) dont la longueur nécessite sa division en trois segments analysables qui doivent être visualisés séparément (voir les énoncés écrits 9a, b et c qui suivent). Les faiblesses des conventions graphiques de la Grammaire Cardiff, par rapport à l’analyse de la langue écrite, sont ici évidentes. Mais il est aussi clair que, en dépit de ces inconvénients, les outils d’analyse de la GC permettent une vision perspicace de la ponctuation bretonne. extrait 2 : énoncé écrit 9a
Bep pemp pe c’hwec’h troatad hor beze da dreiñ war an hent, [( voir extrait 2 : énoncé écrit 9b)].
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extrait 2 : énoncé écrit 9b
[…] rak tud a oa eno oc’h ober o c’housk-merenn, gourvezet war an douar, goloet o fenn ganto gant un tamm truilhoù, [(voir extrait 2 : énoncé écrit 9c)]
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extrait 2 : énoncé écrit 9c
[…] pe o c’horf a-bezh en ur sac’h lien pe zantelezh fall ha fin a ranker kaout er broioù tomm evit en em zifenn diouzh ar c’helion hag ar moustiked […]
syntaxe
[…] pe o c'horf a-bezh […] ar c'helion, ar c'hwibued hag ar moustiked […] texte
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5.1.2.10. extrait 2 : énoncé écrit 10
Setu-ni degouezhet e marc'had ar c'hafe.
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5.1.2.11. extrait 2 : énoncé écrit 11
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5.1.2.12. extrait 2 : énoncé écrit 12
Un toullad merc'hed du a zo amañ, puchet en-dro da vervioùigoù kafe, o dispartiañ ar greun du pe fall diouzh ar re vat.
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Commentaires :
L’ouverture de sous-ensemble marqué (osem) et la fermeture de sous-ensemble marqué (fsem), qui sont ici exposées par « , », forment un paire dont les commutations poncuationnelles possibles sont différentes de celles du limiteur (lr).
5.1.2.13. extrait 2 : énoncé écrit 13
Hejañ a reont anezho e paneroù graet gant korz evel reoù merc'hed Breizh gwechall pa vezent oc'h aozañ gwinizh.
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5.1.2.14. extrait 2 : énoncé écrit 14
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5.1.2.15. extrait 2 : énoncé écrit 15
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.2.16. extrait 2 : énoncé écrit 16
Un nebeut merc'hed all a zivesk greunenn ha greunenn gant o dorn ar greun fall a chom c'hoazh er bernioù.
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5.1.2.17. extrait 2 : énoncé écrit 17
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.1.2.18. extrait 2 : énoncé écrit 18
Koulskoude, ar c'hafe ne vez gwerzhet nemet nav ha dek real al lur, ha kafe brav, m'hen asur deoc'h.
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Commentaires :
La fermeture de sous-ensemble marqué (fsem) reste ici cachée. Cela s’expliquerait par sa « faiblesse » qui permet son éclipse par la Fermeture d’Énoncé Écrit (FÉ).
5.1.2.19. extrait 2 : énoncé écrit 19
Didrouz e labouront dindan gward ur polis, diarc'hen, ul lerenn gantañ ivez en e zorn.
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5.1.2.20. extrait 2 : énoncé écrit 20
Hemañ a zo eno evit renkañ anezho pa gemer unan greun e bern unan all.
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5.1.2.21. extrait 2 : énoncé écrit 21
Ar polis, o welout ac'hanon sebezet dirak ar merc'hed du, a lavaras din en ur vousc'hoarzhin : – E Bro-C'hall, ar merc'hed ne labouront ket evel-se ?
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Commentaires :
La Fermeture d’Énoncé Écrit (FÉ) de l’énoncé principal reste ici cachée ; elle semble être éclipsée par la FÉ de l’énoncé écrit cité, qui serait ainsi mise en évidence.
5.1.2.22. extrait 2 : synthèse des analyses
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Commentaires :
21 Énoncés Écrits (ÉÉ) « primaires » 4 ÉÉ « secondaires » ; l’Ouverture d’Énoncé (OÉ) de l'ÉÉ primaire éclipse systématiquement l'OÉ de l'ÉÉ secondaire thématisé ; le cas de la Fermeture d’Énoncé (FÉ) semble être plus complexe : la FÉ de l'ÉÉ secondaire peux éclipser celle de l'ÉÉ primaire ; l’élément éclipsé reste caché : « (OÉ) » et « (FÉ) ».
5.2. Gwilherm Berthou-Kerverziou (1908-1951)
5.2.1. extrait 3
Pa oan bugel, e oa evidon bepred ur blijadur nevez mont war droad, meur a wech er bloazh, eus Pempoull da Lezardrev. Goude kimiadiñ diouzh ar gêr c'henidik a-ziwar grav Penn-krec'h – alese hoc'h eus spi war kêr a-bezh ha war ar pleg-mor en e led – e kerzhemp e-pad un hantereur evit adkavout, e chapel Kergrist hag a-ziwar ar pont-orjal, gwelvaoù nevez dispar. Eus Kêrgrist e weled bourc'h Lezardrev, tamolodet e pleg ar stêr, hag e klaskemp, e-touez tropell an toennoù, an hini m'edomp o vont. Hag a-ziwar ar pont ! Neuze e oa c'hoazh ar pont kozh e leurenn goad, kalz mistroc'h gant e pevar filer maen eget ar pont nevez metalek holl a zo savet da reiñ tremen d'an hent-houarn. Ac'halese, mar deo sac'het ar sell diouzh tu an hanternoz gant ar vourc'h war e he beg-douar, a skoach an aber, ez eus, diouzh tu ar c'hreisteiz, digor ec'hon al Ledanoù, e-lec'h ma led dourioù ar stêr da vare ar gourlanv en ul lennad sioul a vohera, ouzhpenn pemzek kant metr treuz dezhañ, bevennet en traoñ gant uhelennoù Lanserv e Plourivo ; aze, er c'hoadoù pin-se, eo e voe trec'het, flastret ha distrujet an armeadoù Northmen deut da breizhata en hor bro, ha stlapet, beuzet e toull ar C'hwiled gant brec'h dir hon dug mat Alan Barvek. (cité dans Denez, 1987, p. 78)
5.2.1.1. extrait 3: synthèse des analyses
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5.3. Yann-Vari Kerwerc'hez (1910-1974)
5.3.1. extrait 4
Bez' e oa ur c'hazig du bihan yaouank-yaouank war gab e reor e-kreiz an hent bras. Dic'hoarzh evel un arc'heskob, edo o torchañ e vuzell gant e bav ken ampart hag un tad-kozh kazh. Fichet-faro e oa gant ur seizenn vrav glas-saladen en-dro d'e c'houzoug.
Karout kalz a rae Yun an holl loened, ha goude ar c'hezeg, ar chas, an ezen har ar givri, ar re garetañ gantañ a oa ar c'hizhier. Ouzh al laboused, nemet perokeded pe piged e vefent, en doa nebeutoc'h a garantez, abalamour ma kan darn anezho. Gwarizi-vicher neketa.
''Bis-bis-bis'' emezañ o tiskenn diwar e varc'h-houarn hag o pakañ ar c'hazig du en e zorn. ''Ac'hanta, Bisig ! Petra a rez da-unanik war an hent bras ?''
Ar bisig ne respontas grik. Re yaouank e oa ivez. Ha pa vefe bet koshoc'h, n'en defe ket respontet kennebeut. Re fur eo loened evit lavarout kement a ouzont da vab-den. Sellout pizh a reas Yun ouzh ar c'hazhig. Yac'h e oa, maget mat ha naet evel ur gwenneg nevez. War ar seizenn e oa brodet e anv ''Pat'' e lizherennoù alaouret. Du-pod e oa a benn da lost nemet ur steredennig wenn etre e zaoulagad. Pat a oa ur c'hevrin. Edo e-kreiz koad Sant-Albin war an hent bras o kas eus Plankoed da Lambal, war-hed ul lev diouzh ti ebet, hag eñ re yaouank c'hoazh evit redek ar bro. Ne oa ket dizon zoken, evel ma verzas Yun dre lakaat e viz bihan en e vuzell. Ar paour-kaezhig a grogas diouzhtu d'e zenañ a galon laouen.
''War a welan, eme Yun, ne vo ket a-walc'h bezañ da dad. Ret e vo din bezañ mamm dit war ar marc'had.''
Gant aon na gavje an emzivad e varv kentoc'h eget e laezh war an hent, n'helle ket Yun e galon dener e leuskel da vont diwarez dre ar bed. E lakaat a reas e godell e borpant, hag ez adkrogas gant e veaj en ur brederiañ. Brizhkredennoù dioutañ e-unan en doa ar paotr, ha ne oa ket bihan e souezh o vezañ kavet ur c'hazh du bailh d'ur gwener trizek. (extrait de En ur rambreal cité dans Denez, 1987, p. 52 53)
5.3.1.1. extrait 4 : synthèse des analyses
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
5.4. Youenn Drezen (1899-1972)
5.4.1 extrait 5
Gwened ? … Kêr-Wened ?... Bep tro ma vez komzet diwar he fenn, e vez klevet an eil pe egile o lavarout :
''Ya ! Bravik a -walc'h, mes mourgousket !...''
Ker buan all, e lavarfe : enoeüs ha c'hwez al louet ganti !...
N'on ket Gwenedad. Bevet em eus, avat, tost dek vloaz, er gêr gozh-se, hag e c'hellan anzav amañ e oa bev va buhez eno, bev-kenañ, evel hini meur a zen all e kêr.
Moarvat n'eo ket kêr-Wened da vezañ lakaet keñver-ha-keñver gant kemper, da skouer. Kalz muioc'h a vone-done a weler e kêrbenn Bro-Gernev. Hag habaskoc'h, tavedekoc'h eo Gwenediz eget Kemperiz. Ha c'hoazh ! c'hoazh ! Darempred am boa gant Gwenediz hag a oa prim evel an tan, taer evel an diaoul, ha teod dezho, peadra ober avi d'ur martolod a Zouarnenez.
Evit ar gêr da vezañ sioul, un dudi eo kantren dre he ruioù d'an neb a zo daoulagad en e benn evit sellout, hag un ene en e greiz evit tañva kaerder an traoù kozh. Iliz-Veur Sant-Per, da skouer, n'he deus ket da gaout avi kaerañ ilizoù all Bro-Vreizh, daoust dezhi bezañ graet e tammoù disheñvel, ha bet stummet-distummet a-hed ar c'hantvedoù.
C'hwezh ar mod-kozh a zo gant ar ruioù tro-dro, straedoù ar Chalonied, Sant-Gwennael, Sant-Salaun, hag all, kamm-digamm ha strizh, ha treuzigellek an tiez en daou du deoc'h.
Lezet eo bet en o sav an darn vrasañ eus ar mogerioù-difenn a rae tro-kêr, gwechall. Ha kaer-meurbet int, dreist-holl e-tal torgenn wezennek ha liorzhadoù bleunioù ar Waremm ; kaer-meurbet, ya ! gant o c'hranelloù, ozourioù ramz, hag an dorioù gwareget.
Ha ret eo, evel just, menegiñ ar porzh. Gounezet eo gant al lec'hid, hag, a-wechoù, pa vez arnev, ne vez ket c'hwezh ar roz gantañ. N'eo ket darempredet gant kalz bagoù, met mont a ra, dre e ganol toullet er roc'h, a-hed bali dispar ar Rabin, davet ar Mor Bihan hag an enezennoù brudet : Arzh, Izenac'h, Gavr-Iniz, h.a...
Kas a ra d'ar Mor Bras. (cité dans Denez, 1987, p. 46 47)
5.4.1.1. extrait 5: synthèse des analyses
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Commentaires :
Cet extrait comprend des exemples de l'usage des complexes ponctuationnel comme « ?… » et « !… ». Dans ce cas, il s’agit de l’exposition de la Fermeture d’Énoncé (FÉ).
5.4.2. extrait 6
Un devezh yaou bennak eta e oamp bet digêret, gant hor mammoù, da di Mamm-gozh, evit kaout peoc'h ouzh hor genaouioù, evel ma lavarer. Diskennet oamp de c'hoari, dre un diri, graet gant tri maen sanket er c'hleuz, e foenneg an Dourig, ur c'hwec'h pe seizh ac'hanomp. Tomm oa an heol, goude kreisteiz, ha ragach hag ebat gant hor bandennad, koulz ha kement ha gant ar filiped en aer. Ha daoust ha ret eo anzav n'oamp ket chomet re bell a-raok tostaat ouzh ar stêrig ?
Taolet e oa bet div bladenn vaen ledan dreist an dour, e doare ur pont. Brav a gavemp, ouzh hor skluch, gant hon daouarn war hon daoulin, sellout ouzh an dour o 'n em silañ dre zindan ar pont teñval, fichetoc'h c'hoaz eget ar puñs gant dule ha raden-bleiz brasoc'h ha glasoc'h. Ha brav a gavemp an traezh dastumet eno en ur poullig, evel un aod eus bord ar mor bras. Un aodig bihan-tre.
Stlapet oa bet ar botoù-koad du-mañ du-hont, war ar c'hlazenn, deomp da redek buanoc'h, oc'h ober an hu war skrilhed lammennek ar prad ha kemenerien ar ganol, pe o c'hoari alc'houeder ha toutig-penn. Unan pe zaou eus ar re oadetañ a ziskennas war an aodig hag a soubas o zreid en dour. Sin oa an dour. Pebezh skrijadenn gant ar blijadur ! Pebezh cholori daoust d'hor mouezhioù munut ! N'oa chomet na paotrig na plac'hig war ar sec'h. Holl en dour ! Troñset betek o begel. Ha stlapig, ha saflig, ha bountadegoù, ha gwic'hadegoù gant ho tudigoù. Ken oa tec'het, diwar o strafuilh rak kement a zispac'h, raned ha penndologed, e-barzh goudor an elestreg.
Mamm-gozh, d'an ampoent, a oa o tont eus ar c'hraou, gant ur sailhad laezh, a oa bet o c'horo.
''Pelec'h emañ ar vugale ?'' emezi da voereb Katell, tra ma fenne al laezh eonennek en ur varazh velen gwerniset. ''Pelloc'h eo poent merenn-vihan.''
Moereb Katell, ur vigoudenn yaouank ha yac'h, a oa o veskañ an dienn, e-kichen maen oaled. Teurel a reas ur sell ouzh an horolaj en hec'h armel hir.
''El leur, aze, oant bremaik, emezi. Feiz ! N'o c'hlevan ken.''
Lezel a reas ar vazh er ribod evit mont da welout. Bugel ebet war al leur.
''Feiz ! Da belec'h int aet adarre ?''
Hopal a reas diwar an treuzoù :
' ''Voñvoñ !... Nana !... Mar-Louizig !...''
Ne respontas nemet geiz al laboused, e gwezenn ber al liorzh, dirak an ti.
''Feiz ! Eme voereb Katell. 'Maint kuit adarre. Me 'bari int aet adarre war-dro an dour. Gisti gihan fall !'' (extrait de Foenneg an Dourig-Kozh, cité dans Denez, 1987, p. 55 56)
5.4.2.1. extrait 6: synthèse des analyses
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5.4.3. extrait 7
Tre e traoñ al leur-gêr e oa foenneg, glas atav, an Dourig-Kozh. Dispartiet-krenn e oa ar foenneg ouzh al leur-gêr gant ur foz, a gavemp don, hag ur fetis ha ledan a c'harzhad drez ha spern, kaletoc'h ha lemmoc'h o drein eget skilfoù ur c'hi yud.
Lammat a raemp er foenneg dre un ode, ur riboulenn gromm digoret en ur strouezheg a oa uheloc'h egedomp, kalz. Ar foenneg, ma oa hirik, n'oa ket ledan, harzet ma oa, en tu all, ivez, gant ur mell gwaremmad kerreg ha douar lann ha brug, hep ur wezenn da reiñ disheol dezhi. Treuzet oa ar foenneg, en he c'hreiz, gant ur wazh-dour divall, strishaet he naoz gant c'horz, ar broen hag ar beler. Aze 'oa rouantelezh ar gwesklev hag an nadozioù-aer, ar re-se o spluiañ er wazh, d'an disterañ trouz, hag ar re-mañ atav o tarnijellat diouzh korzenn da vroenenn, pe a-rez an dour lugernus. N'eo ket ni eo a vije bet gwelet o redek war-lerc'h ar skañv a zimezelled-se, daoust pegen lufrus e oant, ha livet-brav o eskell. Krediñ a rae deomp ez en em lakaent e divskouarn ar vugale, hag e teue unan bouzar evel-se. Gwelloc'h a gavemp ober korfadoù mouar du, pa veze ar mare. Biskoazh, a gredan, n'em eus debret mouar du ken mat ha re ar bodennadoù drez a hede foenneg an Dourig-Kozh, hag ar mouar ruz ivez, put mes ken saourus o blaz, pa strakent dindan hon dent yaouank.
Pa vezemp o c'hoari en-dro d'ar puñs, tra difennet groñs, koulskoude, anat deoc'h, e welemp siminal ha mein-glas lintrus darn uhelañ toenn ti Mamm-gozh. Eus ar foenneg ne welemp nemet moged ar siminal. Trawalc'h e oa. Re aon hor bije bet,anez ar merk-se, d'en em goll er maezioù don. Bugaligoù n'oamp ken. (extrait de Foenneg an Dourig-Kozh, cité dans Denez, 1987, p. 59 60)
5.4.3.1. extrait 7: synthèse des analyses
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5.5. Fañch Elies-Abeozen (1896-1963)
5.5.1. extrait 8
Pa zeue an hañv hag ar vakañsoù, ez ae Frañsa da di e vamm-gozh da dremen ur pennad. En e vleud e veze e Krec'h-ar-Bleiz. Den ebet da zifenn outañ mont a-gleiz pe a-zehou, netra kaeroc'h d'ur bugel. Hag ez ae Frañsa d'ar vengleuz da welout tennañ taolioù-min, da graoñ-kelvesa, da vouara, pe da vesa ar saout gant ar moused all ar gêriadenn. Un dro en doa kavet plijus redek en ur wazh-dour n'ouzon pegeit amzer ha da c'houde e tapas war e gofoù-divhar daou daol-heol a-zoare. N'ouie ket, avat, petra a c'hoarie gantañ nemet e ouele en e wele-kloz an noz war-lerc'h hag ar vamm-gozh a ouele gantañ. Kalonoù tener 'oant o-daou.
Pegen plijus da Wener pa stage Mamm-gozh d'ober krampouezh. Un dudi 'oa evit Frañsa sikour c'hwezañ an tan dindan ar billig vras ha gwelout goude Mamm-gozh o ledañ bravik an toaz gant e rozell hag o plegañ ar c'hrampouezh diwar ar bern pa vezent distanet un tamm. Ne c'hortoze ket Frañsa poent koan evit kaout un tañva anezho. Ha da echuiñ an abadenn, Mamm-gozh, gant an dilerc'h eus an toaz, a aoze un doare kouign tevoc'h eget ur grampouezhenn. Hag ar gouign-se, un tamm amann o teuziñ warni, a veze un dra lipous da zebriñ, me 'lar deoc'h !
Ar vakansoù, avat, ne badont ket bepred hag an deiz e veze ret adkemer hent Landi. Ur wech da nebeutañ ez eas Frañsa d'ar gêr war e droad gant e vamm-gozh. An dud a zegouezhe ganto war an hent a c'hellas gwelout un arvest teneraüs : an hini bihan hag an hini gozh o vont gant an hent en ur ouelañ dourek. Kañv a zougent d'unan bennak, moarvat. Nann, tudoù keizh, o kas ar mab-bihan da di e vamm, netra ken. Pebezh glac'har ! (extrait de Un danvez-den, cité dans Denez, 1987, p. 7 8)
5.5.1.1. extrait 8 : synthèse des analyses
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5.5.2. extrait 9
Tamm ebet n'oa Frañsa ur paotr drouk, nann, nemet c'hoant a save dezhañ a-wechoù ober e babor, evel ma c'hoarvez d'ar re vihan pa vezont gant bugale all brasoc'h egeto. Lakait moused da c'hoari gant krennarded, dezho pemp pe c'hwec'h vloaz oad muioc'h hag e kred d'ar re yaouankañ int deut en un taol-kont da vezañ neket hepken paotred yaouank, gwazed ne lavaran ket.
Edod e poent Gouel ar Sakramant. War al leur-gêr e-tal ar c'hoc'hu ha war ar plas-foar, e oa an dud a-zevri o sevel ar paradozioù a-benn ar sul. Saprennoù yaouank troc'het e koad Brezal a rae ur c'hoadig en-dro da bep paradoz. Degas a rae ar vugale paneradoù, boutegadoù bleunioù ha glasvez d'ar re vras ha peurliesañ ez ae eeun-tre an traoù er peoc'h hag er c'hwez-vat.
Er bloaz-se, n'oun dare perak, e savas tabut etre daou rummad moused. Ha Frañsad, hep gouzout nag evit piv nag evit petra, en em gavas diouzh un tu o foetañ mein ouzh ar vandenn all, a rae kemend-all en ur skoachañ a-dreñv gwez ar plas-foar.
Souden e savas youc'h dindan ar gwez. Ur paotrig a oa bet tizhet en e benn gant ur maen : mab an apotiker oa hennezh. Ha bandenn Frañsa kuit d'ar red etrezek al leur-gêr.
E seurt emgannoù, mar gouezer piv a resev eo diaes anaout piv a ro. Mat, en dro-mañ e oa sklaer an afer. E gamaladed vrasoc'h a diskouezas splann da Frañsa penaos ez oa ur maen strinket gantañ en doa faoutet penn mab an apotiker. Dont a rafe hep dale an archerien da dapout krog ennañ d'e gas d'ar bidouf. Frañsa, hegredik dirak testenioù ken diarvar, a oa mantret e galon. War a wele, ken aes e oa dont da vezañ muntrer eget n'oa bet mont da laer er bloaz a-raok.
Ne welas, avat, liv archer ebet. An apotiker e-unan en doa louzaouet penn e vab hag e gaset d'e wele da diskuizhañ. Evit gwir, n'oa nemet Frañsa e-unan o krediñ eo eñ en doa graet an taol. (extrait de Un danvez-den, cité dans Denez, 1987, p. 23 24)
5.5.2.1. extrait 9 : synthèse des analyses
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5.5.3. extrait 10
Sioulaet oa ar glav un tammig. Un nebeut tud oa diskennet e Kerider. Aesoc'h oa sellout en-dro deoc'h. A-benn ur pennad, dindan an oabl izel leun a vogidell louet, e voe merzet tour Ploueskad. Pa zegouezhe eus Roazhon e seblante da Hervelina anavezout an Arvor gant he c'horf a-bezh. An avel yenoc'h a skoe ouzh he dremm, a dreuze he dilhad, a yae betek e don he skevent gant c'hwez an holen hag ar bezhin. Mousc'hoarzhin a rae o welet touristed o stoufañ o fronelloù, pa choment a-sav er garioù e-kichen bagonadoù teil bezhin. Farsus e kave e c'hellfe unan bennak kemer ar frond-se evit ur c'hwez fall.
Sutal a rae an treñ bihan evel ur pennfollet a-raok degouezhout er gar. Treuziñ a ra an hent a gas da Gleder, etre an tiez. Eno ne vez ket gwelet a-bell, hag ur c'hamion brikoli, mall warnañ o vont da Gastell, a c'hell dibouchañ en un taol hep teurel re a evezh. Setu perak e ro an treñ patatez da glevout d'an holl, kement ha ma c'hell, ez eo erru eus Kastell, berr warnañ, ha n'en deus tamm c'hoant ebet da flastrañ na ki na kazh, na velo na marc'hadour legumaj.
Pa ziskennas Hervelina war ar c'hae, oa paouezet ar glav. A-vec'h m'he doe amzer da deurel ur sell en-dro dezhi ma santas un dorn o kregiñ en he malizenn : tonton Herve e oa, seder e zaoulagad en e benn. Met dija oa stardet Hervelina ouzh bruched he zad gwisket gant ur vantell-c'hlav. Santout a reas pokoù klouar o nijal en-dro d'he blev ha d'he divjod yen, ha c'hwez anavezet he zad a zeuas en-dro d'hec'h eñvor, ennañ blaz ar butun ha n'oufe laret petra c'hoazh a greñv, a start, par da frond an aodoù d'an tre, mesket gant hini ar marc'hadourezhioù dianav degaset eus ar broioù pell. (extrait de Hervelina Geraouell, cité dans Denez, 1987, p. 32 33)
5.5.3.1. extrait 10 : synthèse des analyses
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5.5.4. extrait 11
Deut oa sul ar redadegoù kezeg, a vez lakaet e Ploueskad war aod ar C'hernig, pa vez bihan ar mor. Neuze ez eus ul lec'h dispar dezho eno, war an traezh fetis, ha ne zeu ket al lanv da verraat ar gouelioù. Chom a ra ar mor e Penn an Tevenn, e-lec'h ma vez eoriet ar bigi bezhinerien, dirak ar Palud Bihan.
Dre ar prenestr digor e kleve Hervelina ar gazeg c'hell, sterniet dija gant he faeron ouzh ar wetur skañv, o fronañ hag o tripal.
Poent oa dezhi en em beurwiskañ. Stegnañ 'reas he loeroù seiz du war he divesker, lakaat he zreid e botoù ler skañv, du ivez, ha, war he sae zindan, e wiskas he sae seiz glas-wenn gant bleunioù brodet, a-liv gant ar perlez war he c'halon. Un tokig a lakaas ur gurunenn d'he fennad blev, skedus en heol.
''Ne vo ket a c'hlav, morvat'', a sonjas Hervelina, en ur dapout krog koulskoude en he disglavier berr-tre, evel m'eo deut ar c'hiz anezho, hag en he sac'h dorn. Ha buan d'an traoñ er porzh.
Mamm-gozh hag Herve, prest o-daou abaoe ur pennad, a oa ouzh he gortoz. Ur mousc'hoarzh a slerijennas dremm ar paeron. Lorc'h oa ennañ gant e filhorez.
''Setu priñsezig Geraouell'', a farsas-eñ en ur sevel e dog voulouz diwar e benn. ''Bremañ e c'hellomp loc'hañ !'' (extrait de Hervelina Geraouell, cité dans Denez, 1987, p. 35)
5.5.4.1. extrait 11 : synthèse des analyses
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5.5.5. extrait 12
Da vare lein, o doa debret Hervelina hag he moereb un tammig pred skañv, aozet buan. Ar vekanikerien a oa gant o lein e ti ar Pennorzh e-kichen ha, dizale, ec'h errufe ar mekanik el leur amañ. N'oa ket amzer da goll.
Rouez ar c'homzoù etre an div vaouez. Evit goulenn pelec'h kemer tra pe dra, e save ur wech an amzer Hervelina he mouezh. An heol berv, dre ar prenestr dogor-frank, a skoe war he fennad blev. He liv, flour e miz Gouere, oa bremañ evel darevet gant bannoù an hañv hag avel vor.
''Ur gaer a blac'h !'' a soñje Janed Appere pa zegouezhe ganti parañ he selloù war he nizez. Ha pe ve gwir, evel ma lavar ar merc'hed, e sellfe outi unan eus bourc'hizien yaouank an tevenn, n'eo ket drol tamm ebet.
Trouz kezeg ha kirri a save e penn al leur : Per Vizien ha Paol ar Rouz a zegase ar mekanik e porzh ar Bervaz. Ne voe ket pell ma voe pep tra en e lec'h. Ar vekanikerien a blante glaou dindan kof ar gaoter. Divogediñ 'rae ar siminal. Un taol sut ha tro er rodoù. Tonton Herve a gase, e genou an dornerez, an drammoù. Per Vizien a ziliamme ingal ar malanoù, foetet d'an traoñ gant ur c'hrennard, Jañ-Bart Vizien, krapet evel marmouz da zivegañ ar bern bras. Dizale e voe plas en e gichen da dri pe bevar gañfard all. Kri a save, ur wech an amzer, a-douez ar merc'hed kement en em zifretent en nec'h, c'hoant dezho ober o fabored.
An dud a droidelle en uloc'h. Ar bern kolo a save tamm-ha-tamm er penn all d'al leur, a-hed d'an hent-karr. Ar ferc'hier hir, a-benn ur pennad, a zibradas en aer o sammoù plouz fresk. Restell ha rozelloù a yae en-dro. An dremmoù oa gant ar boultrenn hag ar c'hwezenn. (extrait de Hervelina Geraouell, cité dans Denez, 1987, p. 49 50)
5.5.5.1. extrait 12 : synthèse des analyses
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5.5.6. extrait 13
Ne deo ket c'hoazh ouzh e dad, an noter, en doa aon. Un den habask oa anezhañ, karet ha doujet gant e vugale ha gant an holl. Ur den a urzh evel ur julod a ouenn rik. Aes oa tremen outañ, avat, ha ne blije tamm ebet dezhañ ober trouz da zen. Per Benneg en doa renet ur vuhez eeun, zoken pa oa studier. N'oa ket chomet da lezenniñ. Kaset gantañ e studi da vat, ar buanañ m'en doa gallet, e oa deuet da gemer lec'h e dad, noter e Sant-Tegoneg. Fortuniet dizale gant un dimezell eus e renk, Madalen Veleg, n'en doa mui kuitaet e vro. Ar chase, pa zeue fin miz Gwengolo, a roe tro dezhañ da zispign nerzh e gorf postek ; ar pesketa, a-hed ar stêr Penzez, d'an nevez-amzer, a rae dezhañ kantreal d'ur mare all a-dreuz ur vro ma n'edo nemet un doare heklev anezhi.
Dirak e vamm eo e krene Anton Benneg. Ne deo ket ar wirionez eeun laret en doa aon razi. Nann, karout a rae kement e vamm, kement e vage a azaouez eviti, ma n'en doa biskoazh gallet lavaret nann dezhi. Ur vaouez devot oa e vamm, bemdez en oferenn hag o komuniañ. Gouzout a rae he dije karet e welout o vont da veleg. Siwazh ! n'oa nemetañ a baotr en ti. Peder merc'h oa deut er bed war e lerc'h. An tad ne felle ket dezhañ ez afe anv ar Benneged da goll. Ne vije ket noter koulskoude. Ur mab-kaer eo a gemerfe lec'h Per Benneg. Daoust ma n'edo Mari, e c'hoar goshañ, nemet seitek vloaz, dilennet oa dija he danvez-pried : ur c'henderv euz Sizun, Paol C'hrall e anv. Edo e Roazhon gant e studi. Anton a wele anezhañ alies evel just ha mignoned vat oant. Hep mar ebet, e dad hag e vamm o doa dilennet un tu bennak, e Landivizio, war a grede, ur plac'hig blev hir na koant na vil, war un dro dichipot ha lorc'hus, a rafe ur pried a-zoare d'ar c'helenner e vefe deut da vezañ, a-benn un nebeut bloavezhioù, goude graet gantañ e servij soudard. (extrait de Hervelina Geraouell, cité dans Denez, 1987, p. 72 73)
5.5.6.1. extrait 13 : synthèse des analyses
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5.6. Gawain (???)
5.6.1. extrait 14
Perc'henn out da briziusañ tra a c'hellez kaout war an douar. Perc'henn out da Vreizh. Ha pa vefes da-unan, Breizh a vefe anezhi. Ez spered emañ. E-lec'h emaout emañ Breizh. Ha Breizh ne c'hell ket mervel, nemet mervel a rafes-te.
Ar vro a zo dit : ar parkeier, ar c'hoadoù, ar menezioù, an hentoù, ar gwenodennoù, ar stêrioù, ar gouerioù, an aberioù, an traezhennoù ha betek kerreg an aod. Skiant Vreizh a zesko dit penaos meizañ ar berc'henniezh-se ha treiñ anezhi da c'hounid war un dro evidout hag evit Breizh.
Ar yezh a zo dit. Kement ger a zo enni a zo graet evit da servij ha da blijadur. Kement a vez lavaret, kanet ha skrivet e brezhoneg a zo evidout, dit da gaout dudi, netra nemet abalamour ma 'z eo lavaret, kanet ha skkrivet er yezh a garez.
Hêrezh Vreizh a zo dit : kement skrid, kement kan, kement mojenn o deus savet ar Gelted ; hag ouzhpenn o c'hhurioù en Istor ; hag o yezhoù, o anvioù, o c'hredennoù, o lezennoù, o lidoù, o boazioù, o arzoù, o ijinerezhioù ha kement merk o deus lakaet er broioù ec'hon bet aloubet ha piaouet ganto.
Kaer az pezo ober, biken ne zeui a-benn da niveriñ, nebeutoc'h c'hoazh da anavezout, da holl binvidigezhioù. Kement-se ha muioc'h, a zo degaset dit gant Breizh, ha n'eo ket evel madoù difrouezh ha marv, hogen evel andonioù da frouezhusaat ha da vevaat da vuhez. (extrait de Skiant Vreizh, cité dans Denez, 1987, p. 62 63)
5.6.1.1. extrait 14 : synthèse des analyses
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5.7. Yann Ar Gow (1897-1966)
5.7.1. extrait 15
Krozal a rae an ti, adalek an diazez tre betek al lein, gant son ha ton, ha laouen-bras e oa an holl. Evañ a reas c'hoazh an dud bep a vanne sistr ha bep a vanne hini-kreñv, ha goude bezañ graet un taol-jabadao e-kreiz al leur-di, evit echuiñ an devezh, e lavarjont kenavo ha chañs-vat d'an dud-nevez hag an eil d'egile. Pep hini diouzh e du a gemeras neuze penn an hent da vont d'ar gêr, tomm e glipenn ha ponner e zivesker, rak stank e oa bet ar banneoù ha nebeut-tre a ziskuizh etre pep abadenn-dañs.
En ur zont er-maez eus an ti,en em gavas Matulin ar Bourc'hiz, ar bombarder, ha Yann ar Gall, ar paotr-biniou, o-daou evel boaz da ziwezhañ o kuitaat ar c'hoari, e-kreiz an noz teñval-sac'h, war dachenn bourc'h Sant-Riwall. Da gentañ ne weljont berad ebet, o vezañ ma oa dallet c'hoazh o daoulagad gant sked an teir pe beder goulaouenn-soav a oa bet lakaet war an daol ha war ar bank a oa e-kichen gwele an daou bried nevez eureudet.
Pilpasat a rejont eta, e-pad ur pennadig, a-raok kavout o hent, met ne voent ket pell-bras oc'h en em voazañ diouzh an deñvalijenn hag e kerzhjont, kempennik a-walc'h evit daou soner o tont d'ar gêr diouzh ur friko. N'en devoa ket an hent, a-dra-sur, doare da vezañ kompez-tre dindan o zreid, hag horjellañ a raent un dister dra bennak. Met e pe lec'h emañ an hini ha na garg ket muioc'hik eget kustum pa en em gav war ar bern ha pa rank, evel ar baour-kaezh sonerien-mañ, chom e-pad an deiz hag ur pennad mat eus an noz, da c'hwezhañ en ur vombard had en ur sac'h biniou ?
Honnezh, va zud, a zo micher a-walc'h ha n'eus ket par dezhi da zegas sec'hed d'an hini a vez dav dezhañ labourat warni evit gounit e tammig kreun !
Diskoachañ a reas al loar he c'hernioù lemm a-douez ar c'houmoul a oa o virout outi da deurel he bannoù war an douar. E-pad ur pennadig e voe skaeroc'h ar wenodenn ma kerzhe Matulin ha Yann warni, met anat e oa n'edo ket pell ar glav. (extrait de Ur galedenn a zen, cité dans Denez, 1987, p. 69 70)
5.7.1.1. extrait 15 : synthèse des analyses
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5.8. Roparz Hemon (1900-1978)
5.8.1. extrait 16
E Kêr-Iz evel e pep kêr, e veze bepred ur bern lakepoded vihan o c'hoari en abardaez. War gaeoù ar porzh-mor e lamment dreist ar c'herdin, e redent a-hed ar plenk, e pignent war ar barrikennoù, hag ec'h en em silent aliesañ ma c'hellent e bourzh al listri. Ar re-se a veze digor atav o daoulagad, hag e ouient gwelloc'h eget ofiserien ar porzh anv pep lestr a yae er-maez hag a zeue e-barzh. Dare e oant atav ivez da vont en arbenn da bep diavaeziad a lakae e droad en douar, da ziskouez dezhañ an hent ha da c'hounit evel-se ur gwennegig bennak.
Ne oa ket a-vec'h aet an estren yaouank diouzh e vag ma kavas dirazañ un dousenn eus ar vugale-se, an eil o vountañ egile ha pep hini o huchal kreñvoc'h eget e genseurt, tra ma weled a bep tu muioc'h o tont d'ar red. Kregiñ a reas e brec'h unan eta, hag o tistagañ ur palvad pe zaou gant ar re all, e lakaas anezho buan da gemer an tec'h. Neuze e c'hourc'hemennas bezañ kaset, eñ hag e vevelien, d'un ostaleri.
Piv a chomas sabatuet avat, echu e dro gantañ hag ambrouget an denjentil betek ti an ''Dañvad Glas'', nemet ar c'hañfardig, pa zigoras e zorn da sellout ouzh ar pezhig-moneiz a oa bet roet dezhañ evit e boan. Rak e-lec'h ur gwenneg arem e welas ur pezh aour ruz o skediñ, seurt n'en doa gwelet biskoazh, rak e gerent a oa paour. Kentañ menoz a zeuas e penn ar paotrig mat a voe distreiñ davet an estren da ziskuliañ dezhañ e fazi. Neuze e soñjas e roje ar pezh aour d'e vamm da lakaat en hec'h armel gant he gwenneien all etre al liñserioù. Neuze e prederias e kement tra a c'helljed kaout gant an aour-se. Gwazh a se dezhañ, e oa dres o tremen dirak stal ur pastezour. Ken brav e oa ar c'houignoù hag ar madigoù ma rankas mont da brenañ. E-pad an nozvezh-se e voe klañv, hag ouzhpenn, gevier a gontas d'e vamm o tont diwezhat d'ar gêr. Sed aze an taol fall kentañ a reas an estren e Kêr-Iz. Ne voe ket an diwezhañ. (extrait de Santez Dahud, cité dans Denez, 1987, p. 65 66)
5.8.1.1. extrait 16 : synthèse des analyses
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5.8.2. extrait 17
Pemzek vloaz a dremenas. A-benn pemzek vloaz hepken e tistrois da Gameled. O vont gant an hent a gas d'ar Bernioù-Piz e welis un ti nevez-flamm savet e lec'h an ti kozh, hag e soñjis en tri den a oa bet eno gwechall. Petra, a c’houlennis ouzhin va-unan, a oa c'hoarvezet ganto, abaoe keid-all ? Daoust hag an dud a zo amañ a oar war-lerc'h piv int deut ? Ar park ne oa mui anezhañ : bez' e oa ul liorzh koant, leun a vleunioù, gant un alezig traezh flour bevennet gant kregin Sant-Jakez, o kas eus an hent d'an ti ; tro-dro, ur vogerig kempenn, warni ur gael houarn livet-glas ; e-kreiz al liorzh, war ur peul, skeudenn Itron-Varia-Pontmain.
Graet ganin an dro dre Lamm-Saoz ar Veri-Yar, e kemeris hent ar vourc'h adarre. Edon dres o tremen e-biou d'an ti nevez, pa welis ur c'harr-dre-dan o chom a-sav dirak dor al liorzh. Un itron yaouank a ziskennas, ur poupig war he brec'h, ha raktal goude an aotrou yaouank, a oa bet ouzh ar rod-stur. Sebezet e chomis pa verzis liv e vlev : ruz-tan, evel ar paotrig a wechall. D'an ampoent, ur vaouezig kozh daougrommet a zeuas er-maez eus an ti. Gwisket-kran e oa, gant he c'hoef gwenn ha gant he brozh ledan mezher du ; nemet e korn he muzelloù e oa sanket ur c'hornig-butun, dres evel kornig-butun ar wrac'h eus an amzer dremenet.
Filo, va mignonez, matezh an ostaleri, a zibunas din an istor. Daou zen pinvidik, un ijinour bras eus Naoned hag e wreg, o doa prenet un ti-hañv e-kichen an Toull-Inged. Penaos o doa graet, Filo ne ouie ket : pezh a zo sur, doñvaet o doa paotr e vlev ruz. E-pad meur a vloaz ne voe mui gwelet. Un devezh e teuas da Gameled gant e wreg yaouank, un dimezell eus Porniched. Lakaat a reas diskar an ti kozh ; lakaet a reas sevel an ti nevez. An tad-kozh a oa marv ; ar vamm-gozh, eskemmet ganti he zruilhoù ouzh dilhad dereat, a veve gant he mab-bihan, e bried hag e grouadur.
''Ha peseurt micher a ra-eñ ? Emeve.
– Derc'hel a ra e-kreiz ar vourc'h ur stal vras ispisiri.'' (extrait de Paotr e vlev ruz, cité dans Denez, 1987, p. 75 76)
5.8.2.1. extrait 17 : synthèse des analyses
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5.8.3. extrait 18
A-roak marv e wreg, a oa bet klañv hep gallout fiñval war e gwele, en doa prenet dezhi un ardivink radio, un ardivink bihan, a-boan brasoc'h eget ur voest-sukr, hag a rae trouz spontus. Ur sizhun goude an interamant en doa gwerzhet an ardivink da dud nevez-dimezet. Da betra kaout ar radio ? Perig en deveze poan o kompren pezh a huche ar benveg daonet-se. Ha ne gleved mat e gwirionez nemet saozneg, saozneg atav. An tredan ivez ne zeue ket betek an ti. Ret e vije prenañ atav podoù-tredan a uze buan.
Nann, lezomp tud ar vourc'h da vont sot gant o radio, eme Berig. Din-me va c'hazetenn, a gont din an holl geleier hep pres na safar, hep mougañ kanaouennig an tan o tañsal lirzhin war an oaled e-pad ar goañv, nag e-pad an hañv stirlink an amprevaned o tont dre ar prenestr digor.
Paotr al lizhiri a oa diwezhat, gwall ziwezhat ar mintin-se ! Ar bann-heol a rae bemdez tro ar gegin a oa dija aet e-biou d'ar siminal hag a floure ar ganastell, oc'h alaouriñ ar boultrenn war an astell werniset. Perig, echu gantañ e gorn, a yeas er-maez.
Erwan ne veze diwezhat evel-se nemet e-tro Deiz ar Bloaz, an devezhioù kasaus-se ma kroge en dud ar froudenn da gas lizhiri ha kartennoù ha pakadoù en eil d'egile. Doue oar da be vad, ha ma veze daleet ar c'hazetennoù paour a-enep ar reizh hag ar justis. E miz Mae avat ! Se ne oa ket c'hoazh c'hoarvezet. Zoken pa gemere Erwan e vakañsoù, e teue ur poster all, yaouankoc'h ha lijeroc'h a droad egetañ. Ha pa gouezhe klañv e kase e vab, a gleved o tifaragoellañ gant an diribin en ur c'hwibanat, laouen o kaout digarez d'ober skol louarn.
Sioul-bras e oa ar maezioù. Ken sioul ma oa ur bam. O sellout ouzh ar gwennilied o saezhañ an aer c'hlas, ouzh ur big o lammedikat war al leton marellet a vokedoù-marc'harid, ouzh ur bagad balafennoù gwenn o tremen dre waremm e-giz bleunioù war nij, ouzh ur gevnidenn o tiskenn goustadik a-ere he neudenn eus noed an doenn etrezek garzh al liorzh, e verzas ne oa ket pep tra en devezh-se evel boaz. Un dra bennak a oa kemmet. Ar skeudenn-se, moulet war skramm e lagad a zeiz da zeiz, eus ar bed arvestet mil gwech eus toull e zor, a oa diglok. Un toull a oa, ur mank. Hag eñ da teurel e sell, evel skin ul luc'hvanner, a-skub a gleiz da zehou, a draoñ da grec'h, da gavout an tachad a oa goullo. Da gentañ ne gavas ket. Neuze, a-greiz-holl, e kavas : e prad re Jelebar, eus mereuri Penn-an-Nec'h, ne oa ket bet kaset ar saout da beuriñ. (extrait de Fin ar bed, cité dans Denez, 1987, p. 88 89)
5.8.3.1. extrait 18 : synthèse des analyses
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5.8.4. extrait 19
An deñvalijenn a welis o klozañ war ar parkeier dilezet, an hentoù gleb, ar gwez dizeil o treiñ goustad e-biou d'an treñ gorrek. Edon va-unan er c'hombod, tamolodet em mantell, he gouzougenn savet betek va fri, va zal tostik-tost d'ar werenn brizhellet a dakennoù glav. Pegoulz e tizhfen ar gêr vihan dianav ma ranken tremen an noz ? Adal ur c'hardeur da vihanañ e tlefemp bezañ erruet. Hag atav e tibune ar parkeier, an hentoù, ar gwez, hag e pigne un dremmwel louet brumennek all, hep arouez nag ardamez a dier bodet en-dro d'un iliz.
Ur from espar a grog en den douget a-hed div roudenn dir e sioulded ar beuznoz, pa n'eus ket c'hoazh a c'houleier, ha nikun en e gichen. From ha damspont. Skeudenn wirion an tonkadur, difonn ha prim, arvarus ha dibleg. Badet ar c'hleved gant taboulinadeg ar rodoù, teoget ar sell gant kornigelladeg ar maez, e teuz ar gwirvoud en huñvre, ha faltazioù dic'hiz a vesk e prederennoù reizhek ar skiant. Bez' ez intr er spered neuze pep tra diwirheñvel evel ma ra er c'housked. Aet da get meizad an amzer hag an ec'honder. Digor an ene da santadennoù link ha merzadennoù tanav a vanfe kuzhet pe a vefe argaset raktal pa bar heol ar poell en e splannañ. Un alberz a baker neuze eus an darvoudoù o tont. Ha gouzout a raen d'an ampoent e vijent darvoudoù souezhus ha melkonius, ranngalonus din ha d'an dud a gejjen ganto dizale.
Ken start oan dalc'het gant ar strobinell – ha me ur pennad a-raok o koll pasianted – ma voen sebezet pa chomas an treñ a-sav er porzh-houarn. Buan a sachis va malizenn ha diskenn prim-ha-prim. Ne oa ket c'hoazh ken teñval ha ma 'm bije kredet. Gronnet an tiez avat en ul latar fetis. Den ne oa diskennet nemedon. En em gavout a ris war ur mell plasenn c'houllo, gant un nebeut stalioù hepken amañ hag ahont o lugerniñ. (extrait de Beajour ar goañv, cité dans Denez, 1987, p. 92 93)
5.8.4.1. extrait 19 : synthèse des analyses
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5.9. Ronan Huon (1922-2003)
5.9.1. extrait 20
Aet e oa kuit. Un ehan en doa graet war an treuzoù da lakaat e dog, met tavet e oa ar glav hag an hent a luc'he en heol. Div stal en doa c'hoazh d'ober. Mont da ginnig e varc'hadourezh en unan nevez-digoret e straed ar C'hastell ha dastum arc'hant en unan all. Soñjal a reas neuze en e vamm er gêr, en e vuhez ganti hag int kozh o-daou, en e vuhez en Havr-Nevez pa 'z ae a di da di da ginnig mekanikoù-da-wriat ha diwezhatoc'h mekanikoù-da-skrivañ ha penaos a-benn ar fin e oa deuet da chom er gêr-mañ, e gêr c'henidik, a gare kement, en doa karet kement. Met an dud a oa kemmet, e dud a oa kemmet, e diez ne oant ket mui e diez.
Erru e oa en ul liorzh. Nann, ne oa ket al liorzh evel gwechall, ne oa ket divalav avat ar brizh-heol o tañsal dindan ar gwez-tilh, war ar c'hlazenn ha war an alezioù. Sec'h e oa dija ar bankoù hag an holl dud er-maez. War un delienn bennak e luc'he an diwezhañ takennoù glav.
Ur volotenn a ruilhas betek e dreid, ur bugel o redek war he lerc'h. He herzel a reas Per Branelleg gant e droad hag ar bugel da ouelañ, ne grede ket tostaat d'he c'hemer, evel spontet gant melkoni daoulagad glas-lin an estrañjou. Mousc'hoarzin a reas ha pellaat gant e sac'h ler, en e vantell-c'hlav uzet er plegoù, hag ar bugel a redas da gemer e vell. (extrait de An Irin glas, cité dans Denez, 1987, p. 26)
5.9.1.1. extrait 20 : synthèse des analyses
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5.10. Fant-Rozeg Meavenn (1911-2001)
5.10.1. extrait 21
Nenn a lavare : ''Me 'zo 'vont.'' Mont a rae er-maez da souezhiñ an dud, da reiñ traoù dic'hortoz da dud dic'hortoz en ur mare dic'hortoz – n'eo ket da Nedeleg, evel just, p'emañ an holl o c'hortoz un dra bennak da gouezhañ warno.
Ne oa ket ezhomm anezhi er gêr. Soubenn a veze graet evit tri pe bevar devezh, ur mell pikol fars a bade ur sizhun, ha, dre c'hras Doue, e oa deuet a-benn d'en em zizoberdiouzh ar vuoc'h zu, ar yer droouk, ha betek ar c'hi Filos. Evit he liorzh, e roe he c'harantez da draoù a oa, evel ur wezenn roz limestra, ur c'hleuz melen gant bleunioù Koraiz, ur regennad tomatez, ar peurrest a oa labour he gwaz... ''Neuze, eme Nenn, me 'zo 'vont.''
Mont a rae a gammedoù bras, gant he fanerad pe he zavañjerad, he fenn sonn, prest da welout traoù kuzh ; war-du ne vern pelec'h. Ur wech graet ar souezhadenn, ne chome ket da lugudiñ en tiez, c'hoant ganti ''mont'' adarre – nemet he doa amzer, koulskoude, da gontañ pezh a oa c'hoarvezet en he ziegezh. Atav e c'hoarveze un dra bennak dezho – ken niverus e oant, ha ken taer. Atav o doa torret ur gador pe ziv – hag unan anezho a oa marv, ha dres d'ar poent-se an holl o doa gellet gwelout ur goulm o tont dre ar prenestr digor, o treiñ tro-dro d'ar gwele a-raok nijal kuit – ha kement a vurzhudoù all, a ziskoueze mat e c'helle ne vern petra c'hoarvezout en tiegezh-se, ne vern petra, da ne vern pegoulz.
A-raok mervel sioul ha dereat, evel m'en doa bevet, e lavaras an tad-kozh da Nenn : ''Morse n'on bet enoeet ganeoc'h, Mari.'' Ha Nenn a ruzias, souezhet d'he zro. (cité dans Denez, 1987, p. 13 14)
5.10.1.1. extrait 21 : synthèse des analyses
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5.10.2. extrait 22
Tintin Katarin, deuet d'ar stad disoursi a intañvez war e leve, he doa gellet ankounac'haat tamm-ha-tamm he doa bet ur farser da waz, ur c'hoarier troioù-kamm a gouske gant e voutailh odivi, ha bugale war ar marc'had, a oa bet kaset kuit eus an holl skolioù, betek mont da redek war al listri, dre c'hras Doue, da bevar c'horn ar bed. Dieub, lijer, he doa dilojet ur wech all evit dont e-kichen ti Nenn, en em lakaat da vevañ erfin, evañ kafe bemdez da beder eur, ha chom sioul, chom sioul gant he fenn war un tu hag he lagad yar lemm ha drouk. ''Sodez ma 'z out !'' a lavare Nenn, gant karantez. Eviti hag evit an holl, breudeur ha c'hoarezed, tintin Katarin a oa c'hoar vihan, merket gant an dichañs, ha kalz sotoc'h eget ne vern pe hini anezho, rak n'he doa krouet netra, n'he doa ket ijinet ur soubenn nevez, na lavaret morse peadra da sabatuiñ an tiegezh, a gare kement bezañ sabatuet. Rak zoken d'an deiz ma oa deuet d'an daoulamm da lavarout e oa bet beuzet he gwaz er puñs, pep hini en doa divinet diouzhtu ne oa ket gwir. Ha ne oa ket.
''Sotoc'h egeto, a lavare Nenn, dre ma oa bihanoc'h ha tevoc'h egeto.'' Nenn he doa reolennoù e-giz-se, skrivet du war wenn en he spered. Tintin Katarin a zebre kalz re. Ha n'he doa ket kresket evel ar re all, – neuze, n'oa ket da souezhiñ ma randone evel ma rae. Nenn a oa skuizh, ar re all a oa skuizh. Tintin Katarin a gendalc'he da gomz diwar-benn ar vro, gant he fenn war un tu, hag he lagad yar. Brest ne oa ket ur vro. Tintin Katarin a oa an hini divroet, ha feal.
Pa 'z omp aet d'ar ''vro'', pell amzer goude, tintin Katarin a oa marv dija, en douar estren, met den ebet ac'hanomp n'en dije gellet sellout ouzh ar vro-se, ha gwelout e oa heñvel ouzh ne vern peseurt korn eus Bro-Leon. Tamm ebet. Ar gwez a oa ken bras ha m'he doa lavaret tintin Katarin, hag ar feunteun a oa en he lec'h, hag ar c'hastell a oa deomp evel ma oa bet dezhi, hon eus lammet a-us d'an dour kant ha kant gwech evelti. Hag e sellomp ouzh an holl dud, evit gwelout hag o doa daoulagad glas hag un tal bras hag ur fri hir evelti hag eveldomp holl er gêr. Ha neuze avat, pa 'z omp bet anavezet, ni ivez, dre hon daoulagad c'hlas, hon tal hag hor fri, hon eus soñjet evel tintin Katarin e oa ur gwir vro, ya, ar vro-se dezhi. (cité dans Denez, 1987, p. 42 43)
5.10.2.1. extrait 22 : synthèse des analyses
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Commentaires :
Il est à noter que cet extrait contient une Marque d’Alternance Énonciative (MAÉ), et que celle-ci est exposée par « – ». Nous ne la considérons pas dans notre analyse sémantique puisque la portée de cette élément peut dépasser le niveau de l’énoncé écrit.
5.11. Reun Menez-Keldreg (1914-1984)
5.11.1. extrait 23
Anavezout a rit mat kêr Pont-ar-C'hastell, peogwir e tremenit drezi bep tro ma 'z it da Bont-'n-Abad, ha n'eo ket dav din diskleriañ deoc'h penaos e tremen an hent-houarn e kreiz kêr. Tost da beder eur e c'helle bezañ. Edon er c'horn-tro diwezhañ a-raok an hent-houarn pa glevis ar sonerez o skiltrañ tagnous ha brell, tra ma diskenne ar gloued dirazon. Re ziwezhat e oan evit gallout tremen, zoken ma 'm befe sanket tizh. N'em boa netra d'ober nemet gortoz. Furchal a ris em chakod evit kemer ur sigaretenn. Ur gelc'hgelaouenn a oa aze war an azezenn em c'hichen. He c'hemer a ris evit dihuediñ an amzer.
Nebeut goude, an tren a dremene. Div pe deir munutenn am boa bet da c'hortoz. N'em boa ket da chalañ. Va c'heflusker a lakais da dreiñ, ha prest e oan da loc'hañ diouzhtu pa savfe ar gloued. Met houmañ ne fiñvas ket. Hegaset un tammig, e verzis koulskoude e kendalc'he ar sonerez gant he c'hrenadenn diehan. Dav e oa din gortoz tremen un tren all. Eus ar steudad gweturioù a-dreñv din e savas un taol korn, ha raktal unan all ; nebeut goude, ar c'holori a zeuas da vezañ ur skiltradeg. Moulbenniñ a ris, rak ar c'hentañ edon, ha va zregasiñ a raent gant o zrouz diabeg. Gouzout a raen ne oa an dra-se nemet fallimor, ha tevel a rejont buan a-walc'h. Gallout a ris adkregiñ da lenn. N'em boa ket stouet mat va fenn davet ar bajenn ma c'hourlammis. Dorig ar gloued, lezetda vont en he flas gant un den war droad, a stokas ouzh he fost-houarn. Gouzout a rit penaos e stlak an dra-se. Lakaet tagnous dija gant safar ar gornadeg, e savis va daoulagad, prest da bulluc'hañ gant va selloù an istrogell a oa kiriek eus va gourlamm. Elena a oa dirazon. (extrait de Merc’hed, cité dans Denez, 1987, p. 20 21)
5.11.1.1. extrait 23 : synthèse des analyses
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5.12. Jakez Riou (1899-1937)
5.12.1. extrait 24
Hag an ostizez a lakaas keuneud sec'h dindan an trebez. Mont ha dont a reas en ti. Skaotañ 'reas skudilli, hag un taol skub a reas d'an daol ha d'al leur-di.
''Ha te, Kaou, emezi, te a zo deut ivez d'ober ur weladenn dimp ?
– Ya, siwazh ! a huanadas an hini kozh. Ne oan ket evit chom ken ; skornet e oan, ha va bizied a oa marv ouzhin. War an hent-se e c'hwezh un avel fall. A-boan ma em eus torret, er mintin-mañ, ur banerad vein.
– N'out ket yac'h, neuze ?
– Ha ne vezin ket ken ! Emañ an derzhienn warnon. Ur pistig a vir ouzhin plegañ va c'hein.
– Arabat dit dont d'az labour dre un amzer ken kriz.
– Dre amzer glouar ha dre amzer fall, e renko ar re baour labourat dalc'hmat.''
Hag e skopas etre e zivesker. Ober a reas ur sell ouzh ar boutailhoù :
''Kalz arc'hant a vankan deoc'h, pelloc'h, emezañ, lentik.
– Feiz ! Kaou, ne ran ket bemdez ar gont. Bez dichal, avat : ne vez lakaet war ar c'hoch nemet an dud onest. Petra 'gemeri ?
– …
– O ! Moereb, a hopas Alan, emañ an dour o virviñ. Aozit dimp buan bep a vanne rouzig tomm, ha lakait e-barzh ar gwellañ lip-e-bav a gavot war stal ar romoù. Marteze an tad-kozh a gemero ivez un dra bennak ?''
Kaou ne savas ket e benn.
''Ar baotred yaouank a bae ur banne dit, Kaou, a lavaras dezhañ e pleg e skouarn an ostizez. Petra 'vo lakaet dit ?
– M' em bo neuze ur banne odivi.''
Hag an torrer-mein a stouas e benn gant ar joa. (extrait de Mona, cité dans Denez, 1987, p. 29 30)
5.12.1.1. extrait 24 : synthèse des analyses
Énoncés Écrits 31
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5.12.2. extrait 25
Un nozvezh, aet an holl da gousket ha didrouz Kerevel, Izidor Lanuzel, gourvezet dilhad hag all war e wele, e kraou ar c'hezeg, a savas hep gouzout dare da zen. Teurel a reas evezh bras gant aon he dije gwigouret an nor vras en ur zigeriñ pe en ur serriñ. Ar c'hi a zeredas d'ober orbidoù d'e vestr pa dremene er porzh. Izidor a savas e vazh 'us d'e benn, hag al loen gant ur c'hlemm a lammas en e logell.
Izidor a gemeras hent ar Gili. Al loar a sklerijenne an hent evel ma vije bet penn-deiz. Bale a reas war letonenn ar riblenn, chouket hag aonik. Dirak ar Gili e chomas harpet ur pennadig, c'hoant dezhañ marteze mont betek an ti ha goulenn digor... En traoñ, e tal Penn-ar-Pont, dour bras ar stêr a voude en e lemm dreist ar skluz.
Diskenn a reas dre zindan ar saprennoù teñval betek ar prad, hag e heulias ar wenodenn a gase dre greiz ar peuriñ betek ar stêr Avon. Azezañ a reas, e gein sko ouzh ur wezenn-bupli, hag e selaouas an dour bras o vourbouilhat en oufoùigoù ar ribl, e-mesk ar c'hegidoù. Bep ar mare e taole ur sell war ar wenodenn a hede ar stêr, hag e c'hortoze.
Goude un abadenn, e welas un den o tont penn-da-benn gant ar stêr. En em guzhat a reas a-dreñv ur wezenn. Pa zegouezhas an den en e gichen, en em ziskoachas trumm.
''Te, amañ, d'ar mare-mañ ? a lavaras dezhañ Lorañs ar Gerdevez.
– Me eo Izidor Lanuzel, eus Kerevel, a voe hopet dezhañ.
– Gouzout a ran. Ha n'eo ket bet skornet c'hoazh da benn-adreñv war ar c'hlazenn c'hleb ?
– Me eo Izidor Lanzuel'', a hopas ar paotgr evit an eil gwech.
Lorañs ar Gerdevez a droas kein evit kemer gwenodenn ar Gili.
''Lorañs !...'' a hopas Izidor, dianket.
Mab-kaer ar Gili a distroas. Kerkent avat, e kouezhas a-c'hin, e-harz ar wezenn-bupli, faoutet e benn gant un taol keuneudenn. (extrait de Ar Goulenn, cité dans Denez, 1987, p. 38 39)
5.12.2.1. extrait 25 : synthèse des analyses
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5.13. Frañsez Vallée (1860-1949)
5.13.1. extrait 26
Ur c'hard lev bennak diouzh Benac'h en em gave gwechall milinoù-bleud. Prenet e voent er bloaz 1859 gant va zad-kozh, va eontr ha va zad, a savas en o lec'h ar vilin-baper. Nemet e voe lezet ar stêr damdost en he stumm gwechall, gant toulloù-kurun ha bodoù gwern, ur stank vras haag enezennoù (unan anezho bet kemeret da ched gant labous Sant-Marzhin), hag, o klozañ war ar stank ur vardell ma lamme dreisti, er goañv, an doureier bras. Neuze e weled eoged o sevel a-dreuz d'an eonennoù hag oc'h oc'h ober lammoù dreist penn ar vardell da vont er stank. Da gas dour d'ar rodoù en em astenne ac'hano ur ganol, boull-kenañ an dour enni, ma weled an dluzhed o neuñviñ a-herr a vandennoù.
An eoged ne vanent ket er ganol nag e stank ar vilin. O fesketa a raed pe a-us da Venac'h pe gentoc'h izeloc'h eget ar vilin-baper. Pesketaerien vrudet a oa d'ar pesked-se, en o fenn ur c'hordenner anvet Julian Riou. Nag a wech em eus e welet o vont d'ar pesketaerezh gant e walenn-eogata hir a kreñv, ha, war e chouk, e vazh-krog a dalveze dezhañ da dennañ an eoged eus an dour.
Ouzhpenn ma oa baradoz ar besketaerien, e oa Benac'h ivez, d'ar mare-se, baradoz an hemolc'herien. Klujiri ha gedon a oa stank er parkeier, hag e kaved, e lec'hiennoù a zo, klujiri ruz, bras ha ponner, a zo aet da get abaoue ar ouenn anezho. Gouezed bras a oa ouzhpenn : bleizhi, moc'h-gouez ha yourc'hed. E kreiz ar goañvoù, e rede ar bleizi betek en-dro da di va zad. Ur porzh a oa dirak an ti gant un nor-borzh a serred bemnoz. Log ar c'hi en em gave stok ouzh an nor-borzh-se, hag alies en noz her c'hleved o yudal ouzh ar bleizi. Neuze e kemere va zad e fuzuilh da dennañ anezho dre ar prenestr a skoe war an hent dirak an nor-borzh. Betek e kreiz an deiz, a-wechoù, e raent o mestaolioù. Koun am eus eus un dañvadez a oa bet taget ganto ur wech war an hent a gase eus ar vilin da Venac'h. Gwech ha gwech all e veze savet huadeg war ar bleizi hag ivez war ar moc'h-gouez a oa stank a faouioù e koad an Noz. Ur c'henderv din, a vourre dezhañ kalz an hemolc'herezh daoust d'e oad tener, am c'hasas ur wech gantañ da welout an huadeg voc'h-gouez. Diwar lein ur roc'h maen-kouarz gwenn a sav e-kreiz ar c'hoad e welemp an hemolc'hadenn hag e heuliemp ar moc'h-gouez dre al lusk a roent d'ar brouskoad. (extrait de Eñvorennoùigoù, cité dans Denez, 1987, p. 81 82)
5.13.1.1. extrait 26 : synthèse des analyses
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5.13.2. extrait 27
Ar pep brasañ eus va dervezhioù a dremenen er gegin dindan gward ar mitizhien. Ur gegin giz kozh e oa, gant ul leurenn bri melen, ur siminal bras-bras, dirazañ ar peurvuiañ eus an amzer un tro-ber a vourren kalz ouzh e welout o vont en-dro. En ur c'horn eus ar gegin e oa ul laouer-doaz, rak en ti e veze graet ar bara. E-keñver d'al laouer-doaz, ur fornigell, graet neket gant potin evel bremañ, hogen e brikennoù. War ar fornigell-se, hag a oa en he stumm heñvel a-walc'h, moarvat, ouzh fornigelloù klaskerien ar maen filizofek gwechall, e welen gwech ha gwech all ur vatezh o lakaat ur podig pri a veze ganti ar peurrest eus an deiz kuzhet mat en ur c'hornig. E-barzh ar podig-se e tiskenne ur braoued melen eus boutailhoù gwer a zalc'he, evel ar podig, klenket-mat er guzhiadell. Ha pa verve an dour er podig-se, e tenne ar vatezh, us ar guzhiadell bepred, ur vi. Ha da betra e tenne ar geginadenn diaoulek-se ? Diwezhatoc'h eo em eus klevet kement-mañ. Va eontr kozh a oa ur sorser brudet er vro. Hag evel ma oa anezhañ, war un dro, un den madelezhus-kenañ, e troe e zonezonoù a sorser da vad e amezeien. Kerkent hag en em gave unan eus ar re-mañ dalc'het gant an derzhienn, e veze kaset d'am eontr ul litrad eus e droazh. Ha neuze e staged gant troioù-sorserezh am eus damwelet anezho er gegin em bugaleaj. E-barzh troazh ar c'hlañvour e veze poazhet ar vi. Pa veze poazh, tremenet ennañ an derzhienn, e veze kaset d'am eontr. Hemañ a beurlazhe ar c'hleñved dre un taol-sorserezh boemus graet gantañ a-gevret hag a-unvan gant e gi gwirion, al Lontreg, unan moarvat eus e vagad brudet kon-bleizi. N'on ket evit diskleriañ da vat penaos e c'hoarveze an taol ganto, nemet e c'houzon e veze plaouiet ar vi hag an derzhienn gant al Lontreg ha pareet kerkent ar c'hlañvour. (extrait de Eñvorennoùigoù, cité dans Denez, 1987, p. 85 86)
5.13.2.1. extrait 27 : synthèse des analyses
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6. Vers une description empirique de la ponctuation bretonne
Notre travail montre clairement que la ponctuation fait partie intégrale de la lexicogrammaire bretonne. En effet, c’est une ressource lexicogrammaticale qui implique l’activation de plusieurs fils sémantiques et l’exposition de plusieurs éléments syntaxiques. Notre description de la ponctuation bretonne doit donc tenir compte des sens aussi bien que des formes. Pour ce faire, nous nous appuierons sur des données récoltées au cours de nos analyses des extraits littéraires.
D’abord nous partagerons nos observations générales. Cela se fera à partir du tableau de synthèse de nos analyses. Après cela, nous aborderons la syntaxe et puis la sémantique de la ponctuation bretonne. Ensuite, nous offrirons quelques ébauches de réseaux de systèmes touchant à la ponctuation, avant de détailler, d’un point de vue systémique, l’exposition des signes de ponctuation relevés dans nos analyses. Et puis nous ferons quelques commentaires sur les probabilités provisoires qui peuvent être attribuées à nos réseaux systémiques. Nous dirons aussi deux mots sur les critères de réalisation par rapport aux résultats de nos travaux. Enfin nous signalerons quelques pistes qui se présentent comme une continuation logique à nos recherches.
6.1. Observations générales
Au cours de nos analyses, nous avons recueilli les diverses données nécessaires pour la formulation d’une description empirique de la ponctuation bretonne. Premièrement, nous avons déterminé les dimensions précises de notre corpus. Nous avons aussi précisé la répartition de la ponctuation simple et de la ponctuation composée dans les énoncés écrits dont il est composé. Ensuite, nous avons spécifié les rapports entre les éléments syntaxiques et les signes de ponctuation qui les exposent. Enfin, nous avons explicité la valeur sémantique des signes de ponctuation recensés dans notre corpus. Toutes ces données sont réunies dans le tableau ci-dessous :
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En regardant ce tableau, qu’apprenons-nous ? Premièrement, on constate que notre corpus comprend 551 Énoncé Écrits. Et si on considère que ces ÉÉ proviennent de 27 extraits tirés de d’une vingtaine d’ouvrages distincts écrits par 13 écrivains différents, on comprend que ce corpus forme un échantillon suffisamment large et varié pour servir de fondement à des conclusions généralisables sur la ponctuation bretonne, du moins lorsqu’il s’agit des genres littéraires.
Ensuite, on voit que ~40 % de ces ÉÉ sont classés « ponctuation simple » : la ponctuation se limite aux signes qui remplissent la paire Ouverture/Fermeture d’Énoncé Écrit ; et que ~60 % des ÉÉ ont une ponctuation composée : celle qui consiste en une paire OÉ/FÉ et un ou plusieurs autres éléments exposés par des signes de ponctuation. Cette distribution est liée à un choix sémantique « informationnelle » que nous préciserons lors de l’élaboration des réseaux systémiques (voir la section 6.4.1. du présent chapitre). Mais nous envisageons aussi la possibilité que les détails de cette répartition puissent varier selon le registre ou le genre des écrits en question. Nos chiffres pourront donc servir de point de repère dans des recherches postérieures sur le rôle de la ponctuation dans la catégorisation textuelle.
Après un classement des ÉÉ en catégories de « ponctuation simple » et « ponctuation composée », il s’agit d’entrer dans les détails de l’exposition des éléments ponctuationnels. Puisque l’Ouverture d’Énoncé Écrit (OÉ) et la Fermeture d’Énoncé Écrit (FÉ) sont des éléments constitutifs de l’Énoncé Écrit (ÉÉ), le nombre de chacun de ces deux éléments égale le nombre d’ÉÉ. Mais une telle similarité ne se fait pas remarquer dans leur exposition. On voit que l’OÉ s’expose par une majuscule (« CAP ») dans ~97 % des cas, et que dans les ~3 % des cas restant, l’OÉ reste cachée. Quant à la FÉ, elle est susceptible à une diversité ponctuationnelle nettement supérieure lors de son exposition : « . », « ! », « ? », etc. Cependant on observe tout de même une forte tendance au « . », qui expose la FÉ dans ~88 % des cas.
En ce qui concerne la ponctuation composée, on remarque que les limiteurs (lr) y jouent un rôle dominant. Cela est évident tant dans la fréquence relative des lr que dans la diversité des signes de ponctuation qui les exposent. Pourtant il est à noter que cette diversité ponctuationnelle n’est vraiment que virtuelle, puisque dans ~89 % des cas recensés le limiteur est exposé par « , ». Il devient donc parfois difficile de distinguer le lr de la paire ouverture/fermeture de sous-ensemble marqué, qui est aussi exposé très souvent par « , ». Mais, à la différence du lr, le paire osem/fsem permet une exposition par les « ( ) », qui deviennent donc utiles pour la commutation. De son côté, la particule verbale (R) ne s’expose que très rarement par des signes de ponctuation, et lorsqu’elle le fait c’est toujours par une « ‘ ».
Enfin, on peut aborder la sémantique des signes de ponctuation qui se trouvent dans notre corpus. Nos analyses ont révélé que cinq des huit fils sémantiques majeurs permettent une exposition par un signe de ponctuation. De ce groupe, il est clair que c’est l’informationnelle qui est l’incontournable : la totalité des signes recensés portent une valeur informationnelle. Mais cela n’étonnera personne puisque il correspond à la conception traditionnelle de la ponctuation comme outil organisateur d’un texte écrit. Ce qui est peut-être plus intéressant c’est le rôle non négligeable de la ponctuation dans la réalisation de la sémantique interpersonnelle. Et c’est frappant que seul le « ? » porte la valeur « chercheur », tous les autres signes de cette catégorie signalent « donneur ». À propos des trois autres fils sémantiques – logique, affective et thématique – ils ont chacun sa place, sans doute importante, mais dont l’étendue est sensiblement inférieure à celle de l’informationnelle et de l’interpersonnelle.
6.2. Sur la syntaxe de la ponctuation bretonne
Les centaines d’analyses syntaxiques élaborées au cours de nos recherches, et qui constituent un des éléments principaux de notre chapitre 5, démontrent clairement que la ponctuation mérite une place dans la description de la syntaxe bretonne. En fait, il est évident que les signes de ponctuation réalisent des fonctions importantes tout comme les autres items grammaticaux et lexicaux. Ces fonctions sont souvent définies par le choix entre « ensemble » et « sous-ensemble » dans le réseau systémique INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE (voir la section 6.4.1 du présent chapitre pour une description plus détaillée de ce réseau de systèmes). Mais puisqu’un signe de ponctuation peut aussi remplir la particule verbale (R), il faut aussi envisager la possibilité que le rôle catalytique de l’INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE n’est qu’une forte tendance et non pas une nécessité syntaxique.
6.2.1. L’ensemble
Un aspect essentiel de l’énoncé écrit, selon notre définition (voir la section 4.2. de la présente thèse), c’est le rôle actif du scripteur dans sa délimitation. L’énoncé écrit n’est pas le produit d’un mécanisme langagier involontaire, c’est le résultat d’une décision sémantique, de la part du scripteur, qui se fait sentir par des moyens syntaxiques. Nous pouvons modéliser, de manière simplifiée, le caractère de cette décision à travers un réseau systémique INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE simplifié :
On voit ici que le scripteur choisit de présenter ce qu’il écrit soit comme un « ensemble », soit comme un « sous-ensemble ».
Selon notre modèle, c’est « ensemble » qui représenterait la décision de formuler un énoncé écrit. Le choix « ensemble » entraîne la présence de certains éléments sur le plan syntaxique, plus précisément des Ouverture et Fermeture d’Énoncé Écrit (OÉ/FÉ). Regardons l’arbre syntaxique suivant (l’illustration 16) :
L’Ouverture d’Énoncé Écrit (OÉ) est, comme l’indique son nom, le premier élément de la structure dont l’Énoncé Écrit (ÉÉ) est rempli. Cependant, d’autres éléments peuvent s’assimiler à cette OÉ ; dans notre exemple (l’illustration 16), c’est un Ajout qui est assimilé à l’OÉ. En fait, une telle assimilation semble être la norme en breton écrit, où l’exposition de l’OÉ se fait, dans notre échantillon, exclusivement par moyen d’une lettre majuscule (« CAP ») au début du premier item lexical ou grammatical de l’ÉÉ . Outre sa valeur « informationnelle », l’OÉ semble contribuer à la réalisation du fil sémantique thématique.
La Fermeture d’Énoncé Écrit doit, de par sa nature, être le dernier élément de la structure dont l’Énoncé Écrit est rempli ; elle n’est donc jamais un élément « thématisé ». Et contrairement à l’OÉ, la FÉ bretonne ne semble pas se prêter à l’assimilation. Mais les fonctions des items qui l’exposent ne sont pas limitées à l’informationnelle, c’est-à-dire le marquage de la fin d’un ÉÉ, elles portent aussi sur l’interpersonnelle et parfois même l’affective. Cela se révèle à travers la diversité des signes de ponctuation susceptibles d’exposer la FÉ : « . », « ? », « ! », « … », « ?… », « !… », etc.
En principe, tout ÉÉ comprendra une OÉ et une FÉ, mais l’enchâssement d’un ÉÉ dans un autre peut créer des conditions qui favorisent l’occultation d’un de ces éléments soit dans l’ÉÉ enchâssé, soit dans l’ÉÉ principal. Considérons l’illustration 17 :
Ici on voit que la FÉ de l’ÉÉ principal reste caché, tandis que la FÉ de l’ÉÉ enchâssé est exposé par un « . ».
On serait peut-être tenté d’expliquer ce phénomène par le biais des arguments basés sur une approche structurelle qui postulerait l’inutilité et la lourdeur d’une ponctuation redondante en fin de phrase, et qui par la suite proposerait des règles d’assimilation qui géreraient le contact entre deux signes de ponctuation. Et, effectivement, les systémiciens de la Grammaire Cardiff semblent avoir cédé à cette tentation en s’appuyant sur des « final adjustment rules », ou règles d’ajustement final, dans leur traitement du phénomène (Fawcett, 2014, p. 21). Cependant de telles explications nous paraissent inadéquates dans le contexte des recherches qui se fondent sur la Linguistique Systémique Fonctionnelle, parce que le rôle de la sémantique dans la ponctuation n’est pas suffisamment pris en compte.
À notre sens, alors, il faudrait aborder l’occultation d’une FÉ, non pas comme un simple réflexe syntaxique, mais comme le résultat des choix sémantiques dans un (des) réseau(x) systémique(s) à déterminer. Le fait que c’est parfois la FÉ principale et parfois la FÉ enchâssée qui reste cachée nous mènent à croire qu’il s’agirait de la mise en valeur d’une des voix énonciative en question. Mais l’élaboration de cette hypothèse demanderait l’articulation d’un modèle plus complet de la langue bretonne, et dépasserait donc les limites du présent travail. Nous remettrons alors un traitement approfondi de cette question à des recherches postérieures ; et nous le ferons sans hésitation puisque l’impact sur la présente thèse sera négligeable vu que l’occultation des OÉ/FÉ ne représente qu’une faible minorité des cas recensés : ~3 % des OÉ et ~2 % des FÉ.
Un phénomène beaucoup plus fréquent, et directement lié aux choix faits pendant les traversées du réseau INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE, c’est ce que nous appelons la ponctuation simple. Celle-ci se définit par une ponctuation qui se limite à une Ouverture d'Énoncé (OÉ) et une Fermeture d'Énoncé. La ponctuation simple indique que, après avoir décidé de « l’ensemble », le scripteur rejette le marquage de tout « sous-ensemble ». Les ÉÉ à la ponctuation simple font les 218/551 des énoncés écrits de notre corpus, soit ~40 %. Outre sa valeur pour la définition de probabilités dans les réseaux systémiques, ce chiffre pourrait servir comme niveau de référence lors des recherches postérieures portant, par exemple, sur la ponctuation et la structure discursive d’un texte.
6.2.2. Le sous-ensemble
L’énoncé écrit est présenté comme un ensemble, certes, mais cet ensemble est souvent composé de sous-ensembles définissables que le scripteur peut choisir de mettre en évidence au moyen d’un marquage ponctuationnel. Dans notre modèle descriptif, ce choix participe du réseau systémique INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE où l’élection de « sous-ensemble » sert de critère d’entrée à d’autres systèmes dont les principaux sont illustrés ci-dessous :
Si on considère la quantité de sous-ensembles possibles (graphèmes, items, groupes [nominaux, prépositionnels et verbaux], etc.) dans quelconque énoncé écrit, et la paucité des signes de ponctuation relative à cette quantité, on comprend que le scripteur prend l’option « non-marqué » avec une fréquence considérable. Mais celle-ci est difficilement quantifiable en raison de l’absence de tout élément syntaxique destiné à la réalisation de ce choix. L’option « marqué », par contre, est remarquable justement par sa présence tangible.
En effet, le choix « informationnelle-assemblage-sous-ensemble-marqué » entraîne la présence d’un élément syntaxique qui est spécifié par encore une autre décision sémantique : la question si le marquage s’effectue à une borne ou deux. La sélection de « une-borne » occasionne la présence d’un limiteur (lr), tandis que la détermination « deux-bornes » nécessite la présence d’une paire ouverture/fermeture de sous-ensemble marqué (osem/fsem). Et puisque le réseau INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE est particulièrement susceptible à la récursivité, étant donné que le scripteur peut choisir à volonté le marquage de la subdivision éventuelle de son ÉÉ, il n’est pas rare de constater la présence d’un mélange de limiteurs (lr) et de osem/fsem. Considérons, par exemple, l’illustration 19 :
Ici on voit que le groupe nominal (gn) qui remplit le premier Ajout (A) comprend une osem et une fsem, et que le groupe nominal (gn) qui remplit le Complément (C) se termine par un limiteur (lr).
Le limiteur est un élément qui peut éventuellement participer de toute unité syntaxique. Il marque la limite terminale de l’unité dont il fait partie. En principe, sa fonction se nuance selon la combinaison de fils sémantiques activés lors de son exposition ; outre la sémantique informationnelle, la logique, l’interpersonnelle et l’affective sont susceptibles de déteindre sur le limiteur. Mais dans la grande majorité des cas recensés (~89%), le limiteur est exposé par la « , », l’exemple ci-dessus en est représentatif. Autrement dit, il s’agit d’un limiteur où la sémantique informationnelle domine, et où la logique et l’affective ne sont pas marquées, tandis que l’interpersonnelle n’est même pas activée (voir la section 6.4.2.6. du présent chapitre).
Tout comme le limiteur (lr), la paire ouverture/fermeture de sous-ensemble marqué (osem/fsem) peut éventuellement contribuer à la composition de toute unité syntaxique. Cependant, comme le nom est censé indiquer, ce couple marque la limite initiale aussi bien que la limite terminale de l’unité en question. Sa fonction semble moins nuancée que celle du limiteur dans le sens que les fils sémantiques logique, interpersonnelle et affective ne s’offrent pas à la formulation de ce type de marquage. Mais, sur ce point, il faut reconnaître que les outils développés jusqu’ici dans le cadre de la LSF ne semblent pas encore suffisamment précis pour bien éclaircir les différences entre les osem/fsem qui s’exposent par « ( ) » et celles qui s’exposent par « – – », par exemple. Une telle distinction doit, théoriquement, son origine à une divergence sémantique, mais laquelle ? Voilà ce qui reste flou. En tout cas, il est clair que la sémantique informationnelle a un rôle déterminant dans l’exposition des osem/fsem, puisque la majorité prépondérante (~98%) des osem/fsem de notre échantillon s’expose par « , », dont le caractère sémantique est presque uniquement informationnelle (voir la section 6.4.2.6. du présent chapitre).
6.2.3. La Rannig
Nous venons de voir que certains éléments syntaxiques sont le propre de la ponctuation : OÉ, FÉ, limiteur, etc. Cependant l’utilisation des signes de ponctuation en breton n’est pas entièrement limitée à l’exposition de ces éléments-là. Nos analyses ont révélé que la particule verbale bretonne, la Rannig (R), est aussi un élément qui peut être exposé par la ponctuation, quoique de manière très restreinte.
En effet, moins de 3 % des Rannigs recensées dans notre corpus sont exposées par un signe de ponctuation. Mais dans 100 % de ces cas, la Rannig est exposée par la « ‘ ». Nous reconnaissons que notre interprétation de cette « ‘ », comme étant l’exposition de la Rannig, puisse paraître ténue, mais elle se base sur un travail empirique rigoureux qui nous permet d’identifier trois réalisations distinctes de la particule verbale bretonne.
Outre l’exposition par un item ponctuationnel, le breton permet, bien sûr, la possibilité de l’exposition par un item grammatical orthographique. Et eu égard à sa présence considérable dans notre corpus, 86 % des Rannigs recensées, on comprend que cette exposition par item grammatical est le choix dominant des scripteurs bretonnants. Mais nous avons aussi documenté de nombreux cas où la Rannig reste « cachée », c’est-à-dire la Rannig n’est pas exposée du tout. C’est justement ce phénomène qui nous intéresse ici, parce qu’il semble rendre superflue l’utilisation d’une « ‘ » pour une simple signalisation de la non-exposition de la Rannig. Considérons l’illustraion 20 :
Le premier groupe verbal (gv) consiste en une Rannig (R) exposée par « ‘ » et un verbe, tandis que le deuxième groupe verbal (gv) se compose d’une Rannig cachée et un verbe. Du point de vu phonétique, il n’y aurait aucune différence entre la première Rannig et la deuxième. Cependant le scripteur choisit d’en faire une distinction visuelle, et celle-ci produit une différence formelle. Alors, si on reste fidèle à l’idée que la variation formelle réalise une variation sémantique, il faut conclure que la Rannig exposée par « ‘ » résulte d’un choix sémantique autre que celui qui mène à la Rannig cachée.
Mais l’élaboration des réseaux systémiques régissant les éléments du groupe verbal, dont la Rannig fait partie, nous éloignerait de notre problématique : la lexicogrammaire de la ponctuation bretonne. Nous laisserons donc l’exploration approfondie de la Rannig à des recherches postérieures. Cela ne nous empêchera aucunement de définir les particularités de la « ‘ », comme nous le démonterons dans la section 6.4.2.10. du présent chapitre.
6.3. Sur la sémantique de la ponctuation bretonne
Le tableau de synthèse présenté dans la section 6.1. ci-dessus montre clairement que les signes de ponctuation sont tous porteurs de sens. Mais il est aussi évident que cette ponctuation résulte de choix sémantiques dont la complexité est variable. Cette variation se produit, en grande partie, par l’activation modulée des fils sémantiques. Des huit fils sémantiques principaux reconnus par la Grammaire Cardiff, cinq sont susceptibles à l’activation lors de la ponctuation : interpersonnelle, thématique, informationnelle, logique et affective. C’est le jeu de l’activation de ces fils sémantiques, aussi bien que le choix du parcours pour traverser les réseaux systémiques connexes, qui aboutit à une agrégation d’attributs significatifs appelée spécification de réalisation des traits sémantiques (voir aussi la section 3.3.2.1. de la présente thèse). La composition exacte de la spécification de réalisation déterminerait la nature précise de toute ponctuation éventuelle ; chaque signe de ponctuation aurait donc une spécification de réalisation qui lui est propre.
6.3.1. Interpersonnelle
Le fil sémantique interpersonnelle est celui qui est le plus associé à la réalisation des fonctions illocutoires. Autrement dit, il s’agit du conditionnement des rapports entre les interlocuteurs. Il n’est donc pas surprenant que tous les énoncé écrits de notre corpus comprennent un ou plusieurs signes de ponctuation investis d’une valeur sémantique interpersonnelle, c’est-à-d ire « . », « ? », « ! », « : », « ; » et/ou « … ».
Cependant, la valeur interpersonnelle de ces signes se révèle très restreinte ; elle se limite à une seule distinction : « donneur/chercheur ». Cela représente une forte simplification des réseaux systémiques de MODALITÉ, ceux qui dominent la sémantique interpersonnelle, tels qu’on les envisage généralement (voir, par exemple, Fawcett, 2008, p. 157 et 163). Cette simplification peut s’expliquer par le fait que le breton accomplit une délicatesse de MODALITÉ par des procédés autres que la ponctuation. La différence entre « traitement d’information » et « proposition pour une action », par exemple, est réalisée surtout par des moyens lexicaux et morphologiques, tandis que la distinction « donneur/chercheur » dépend très fortement de la ponctuation dans le breton écrit.
6.3.2. Thématique
Dans la LSF, l’idée de « la proposition comme message » est avant tout une conception de thématisation (Halliday, 2014, p. 88 133). Et vu que la proposition bretonne se montre particulièrement souple en ce qui concerne le thème, on s’attendrait peut-être à ce que le fil sémantique thématique se fasse beaucoup sentir à travers la ponctuation. Mais quoique le fil sémantique thématique soit activé dans la totalité des énoncés écrits de notre corpus, son impact sur la ponctuation bretonne reste très restreint.
En effet, nous ne décelons l’influence de la sémantique thématique que sur deux aspects de la ponctuation bretonne. Premièrement, la thématique nous permet de baser notre distinction entre l’Ouverture d’Énoncé Écrit (OÉ), qui est thématisé, et la Fermeture d’Énoncé Écrit (FÉ), qui n’est pas thématisé, sur un choix sémantique, et non pas seulement sur des a priori formels. Deuxièmement, la majuscule qui expose l’Ouverture d’Énoncé Écrit semble être l’unique signe de ponctuation susceptible d’indiquer la thématisation dans les Énoncés Écrits bretons. Alors, malgré l’omniprésence de la thématique dans les ÉÉ, la ponctuation bretonne reste presque complètement « non-thématisée ».
6.3.3. Informationnelle
Comme son nom indique, la sémantique informationnelle détermine la formulation et le marquage des unités d’information. Lorsqu’il s’agit de la langue parlée, l’intonation joue un rôle important dans la réalisation de ce fil sémantique (Fawcett, 2014, p. 16 21) ; mais quand il est question de la langue écrite, c’est la ponctuation. Les liens qui relient la ponctuation à la sémantique informationnelle sont évidents non seulement au moment des analyses sémantiques des signes de ponctuation, mais aussi lors de l’inventaire des éléments syntaxiques les plus susceptibles à une exposition par la ponctuation.
Premièrement, tout signe de ponctuation comprend un aspect informationnel. En fait, la majorité des signes répertoriés dans notre corpus s’ensuit d’une activation de l’informationnelle sur deux niveaux : celui de l’assemblage et celui de la complétude. Seules la majuscule et la « ‘ » ne dépendent de l’activation que d’un niveau informationnel. Deuxièmement, c’est le choix entre « ensemble » et « sous-ensemble » dans le réseau INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE qui suscite la présence des éléments syntaxiques de caractère fortement ponctuationnel dans un Énoncé Écrit donné. Ces éléments sont les Ouverture/Fermeture d’Énoncé (OÉ/FÉ), le limiteur (lr) et les ouverture/fermeture de sous-ensemble marqué (osem/fsem) ; et ils ne sont exposés dans notre corpus que par des signes de ponctuation.
6.3.4. Les fils sémantiques dits relations logiques et affective
La sémantique relations logiques détermine la réalisation des sens tels que la coordination et la subordination, tandis que l’affective dirige celle des ajouts affectifs. Lorsqu’il est question de l’exposition par la ponctuation d’un élément donné, ces fils sémantiques semblent s’exclure. Il en résulte la possibilité d’établir une correspondance entre l’élément syntaxique ponctuationnel et la probabilité d’une véritable activation de l’un ou l’autre de ces fils sémantiques.
Nous disons « une véritable activation » parce que, dans notre corpus, relations logiques et l’affective ne sont généralement activées que pour choisir le non-marquage de l’élément en question. Autrement dit, qu’il s’agisse du réseau systémique LOGIQUE ou AFFECTIVE, l’option « marquée » est rarement prise. Mais lorsqu’elle l’est, sa distribution semble justifier notre décision d’abandonner les éléments Starter et Ender en faveur d’une description plus nuancée consistant en Ouverture/Fermeture d’Énoncé Écrit (OÉ/FÉ), limiteur (lr) et ouverture/fermeture de sous-ensemble marqué (osem/fsem) (voir la section 3.5. de la présente thèse).
Dans ~6 % des cas recensés, la FÉ est exposée par un signe de ponctuation marqué d’une valeur affective ; notre corpus ne recèle aucun exemple de l’exposition de la FÉ marquée de relations logiques. La situation est pratiquement l’inverse lorsqu’il s’agit de l’exposition du limiteur. Ceci est marqué sur le plan relations logiques dans ~9 % des cas recensés, alors que sur le plan affective son marquage reste autour de 1 %. Quant au couple osem/fsem, toutes les occurrences inventoriés montrent une ponctuation qui résulte d’un choix « non-marquées » dans ces deux fils sémantiques ; il en est de même pour l’OÉ.
6.4. Quelques ébauches des réseaux systémiques
Les analyses nous permettent de discerner les grandes lignes des choix sémantiques qui sous-tendent l’exposition d’un élément syntaxique par un signe de ponctuation quelconque. Dans la LSF, ce parcours sémantique se visualise par des illustrations des réseaux systémiques (voir la section 3.3.2.4. du présent travail). Nous commencerons par un regard global sur les réseaux systémiques touchant à la ponctuation. Ensuite nous définirons le parcours distinctif, à travers ces réseaux, de chacun des signes de ponctuation répertoriés dans notre corpus.
Toutefois, il est à souligner que les réseaux systémiques que nous proposons ici sont de nature descriptive ; alors, quoique nous formulions des réseaux systémiques suffisamment explicites pour bien décrire la lexicogrammaire de la ponctuation bretonne, nous ne cherchons pas à répondre aux exigences plus rigides d’un modèle génératif. Et même d’un point de vue descriptif, nos réseaux systémiques doivent forcément être provisoires, et cela pour une raison principale : un modèle suffisamment détaillé de la langue bretonne, dont dépendrait tout réseau systémique touchant à la ponctuation, n’existe pas encore.
6.4.1. Un regard global sur les réseaux systémiques ponctuationnels
Avant de pouvoir décrire la spécificité lexicogrammaticale de chaque signe de ponctuation, il faut établir les bases d’une lexicogrammaire générale de la ponctuation bretonne. Autrement dit, il est nécessaire de caractériser et représenter le potentiel significatif qui sous-tend tout emploi de cette ponctuation. Pour ce faire, nous proposons les réseaux systémiques suivants :
L’illustration 21 montre que, en ce qui concerne la ponctuation, le choix fondamental, celui qui active toute possibilité de ponctuer un texte quelconque, c’est la décision d’écrire son texte. Ce choix se fait dans le système MÉDIUM dont le critère d’entrée est « mode » . Le système CANAL n’a pas de pertinence puisque seule la décision d’écrire son texte entraîne l’usage des signes de ponctuation, et non pas l’élection du canal graphique ou phonique pour le faire transmettre au récepteur.
Une fois activé par le choix « écrit » dans le système MÉDIUM, le potentiel ponctuationnel est précisé en fonction de l’activation éventuelle de cinq des huit fils sémantiques principaux : logique, interpersonnelle, affective, thématique et informationnelle . En effet, l’exposition d’un élément par un signe de ponctuation dépend précisément du parcours suivi à travers les réseaux systémiques connexes à ces fils sémantiques. Faisons donc l’inventaire de ces réseaux.
Le réseau LOGIQUE modélise le fil sémantique relations logiques et débute par le choix entre « relations-marquées » et « relations-non-marquées ». Si la première de ces deux possibilités est choisie, on entre dans un deuxième système, celui où il faut choisir entre « subordonnées » et « coordonnées ». Cela représente l’étendue du marquage des relations logiques lorsqu’il s’agit de la ponctuation bretonne. Et comme nous avons indiqué dans la section 6.3.4. du présent chapitre, ce type de marquage n’apparaît que dans une faible minorité des cas de ponctuation recensés ; et lorsqu’il est présent, c’est uniquement dans le cadre de l’exposition d’un limiteur (lr).
L’INTERPERSONNELLE ne se déploie que très peu lors de la ponctuation. Son unique système consiste en un choix entre « donneur » et « chercheur ». Malgré cela, son rôle n’est pas négligeable, puisque c’est principalement à travers les Fermetures d’Énoncé Écrit (FÉ) que ces aspects du fil sémantique interpersonnelle se réalisent dans les ÉÉ bretons.
Quant à l’AFFECTIVE, ce réseau commence par un choix entre « affectivité-marquée » et « affectivité-non-marquée ». L’option « affectivité-marquée » est le critère d’entrée à un système où il faut choisir entre « affectivité-spécifiée » et « affectivité-non-spécifiée » ; « affectivité-spécifiée » mène à un système où le but serait de préciser l’émotion exprimée par un signe de ponctuation éventuel : « heureux », « triste », « vexé », « riant », etc. Cependant, notre corpus n’offre aucun exemple d’« affectivité-spécifiée ». Cela est peut-être du au fait que les textes analysés datent d’avant le développement des émoticônes et des émojis. Quoiqu’il en soit, l’affectivité marquée reste un phénomène minoritaire qui, lorsqu’il apparaît, tend vers l’exposition de la FÉ, mais qui n’est pas totalement absent dans l’exposition du limiteur (lr).
Le faible impact de la sémantique thématique sur la ponctuation bretonne se reflète dans l’austérité du réseau qui le modélise. Dans le contexte ponctuationnel, le réseau THÉMATIQUE se limite à un seul système : le choix entre « thématisé » et « non-thématisé ». De plus, l’option « thématisé » ne semble servir qu’à différencier l’Ouverture d’Énoncé Écrit (OÉ) de la Fermeture d’Énoncé Écrit (FÉ). Et puisque l’exposition de l’OÉ se révèle, en breton, fortement restreinte, la délicatesse du réseau THÉMATIQUE qui contribue à sa réalisation peut aussi l’être.
Contrairement aux autres fils sémantiques que nous avons regardés et dont la contribution à la ponctuation est fluctuante, la sémantique informationnelle est manifeste dans tous les cas d’exposition par signe de ponctuation. En fait, l’importance de l’informationnelle est telle qu’un seul réseau systémique ne suffit pas pour modéliser son apport à la ponctuation. Notre modèle descriptif en envisage donc deux : INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE et INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE.
Notre INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE démarre par un choix entre « ensemble » et « sous-ensemble ». Ce dernier est le critère d’entrée du système qui oppose « sous-ensemble-marqué » à « sous-ensemble-non-marqué ». « Sous-ensemble-marqué » mène au choix entre « une-borne » et « deux-bornes » ; dans les deux cas, il faut ensuite choisir entre « faible(s) » et « forte(s) ». Les choix faits en traversant INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE sont déterminants dans la mesure où ils aboutissent à l’insertion des éléments ponctuationnels dans un ÉÉ donné : « ensemble » nécessite un couple OÉ/FÉ ; « sous-ensemble-marqué-une-borne » entraîne un limiteur (lr) ; « sous-ensemble-marqué-deux-bornes » suscite une paire osem/fsem.
Le réseau INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE est moins nuancé que INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE ; et son impact n’est pas sur l’insertion des éléments ponctuationnels, mais sur les items qui exposent ces éléments. INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE se réduit essentiellement au choix entre « achevé » et « inachevé ». Et puis dans le cas, peu fréquent, où le scripteur choisit « inachevé », il doit souvent décider si cette incomplétude sera signalée « à l’ouverture » ou « à la fermeture » de l’élément en question.
6.4.2. L’exposition des signes de ponctuation du point de vue systémique
Maintenant que nous avons établi les bases d’une lexicogrammaire générale de la ponctuation bretonne, il devient possible d’utiliser nos données empiriques pour la formulation d’une description des particularités lexicogrammaticales d’un certain nombre de signes de ponctuation. Nous en ferons ici l’inventaire. Et notre description de chacun de ces signes consistera en une visualisation de son parcours systémique et l’articulation de sa spécification de réalisation des traits sémantiques.
La notation que nous adoptons pour la spécification de réalisation des traits sémantiques est la suivante : [RÉSEAU : a/b/c ou d/e/f ;]. Le nom du réseau, en majuscules, est suivi des traits sémantiques appropriés ; le deux-points signale la relation entre le réseau et les traits sémantiques qui suivent ; la barre oblique indique la dépendance d’un trait sémantique à celui qui le précède, et qui lui est le critère d’entrée à son système ; dans le cas où plusieurs parcours à travers un même réseau sont possibles, ces parcours sont séparés par le mot « ou » ; le point-virgule sépare un réseau d’un autre ; et le tout est encadré par des crochets.
En ce qui concerne la lecture des illustrations, il est à noter que les parenthèses seront utilisées pour marquer les traits sémantiques que le scripteur rejette lorsqu’il choisit le signe de ponctuation en question. Il faut aussi rappeler que nous utilisons les accolades de manière imprécise, c’est-à-dire en les vidant de leur sens « entrée simultanée », et cela pour des raisons pratiques : l’ordre d’entrée dans les réseaux systémiques n’est pas pertinent à notre travail descriptif , son intégration dans nos visualisations serait donc inutilement encombrante.
6.4.2.1. Le « . »
[LOGIQUE : non-marquées ; INTERPERSONNELLE : donneur ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : ensemble ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
6.4.2.2. Le « ? »
[LOGIQUE : non-marquées ; INTERPERSONNELLE : chercheur ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : ensemble ou sous-ensemble/marqué/une-borne/forte ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
6.4.2.3. Le « ! »
[LOGIQUE : non-marquées ; INTERPERSONNELLE : donneur ; AFFECTIVE : marquée/non-spécifiée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : ensemble ou sous-ensemble/marqué/une-borne/forte ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
6.4.2.4. Le « : »
[LOGIQUE : marquées/subordonnées ; INTERPERSONNELLE : donneur ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : sous-ensemble/marqué/une-borne/forte ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
6.4.2.5. Le « ; »
[LOGIQUE : marquées ; INTERPERSONNELLE : donneur ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : sous-ensemble/marqué/une-borne/forte ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
6.4.2.6. La « , »
[LOGIQUE : non-marquées ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : sous-ensemble/marqué/une-borne ou deux-bornes/faible(s) ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
6.4.2.7. Le « … »
[LOGIQUE : non-marquées ; INTERPERSONNELLE : donneur ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : ensemble où sous-ensemble/marqué/une borne ou deux bornes/forte(s) ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : inachevé/à-l’ouverture ou à-la-fermeture]
6.4.2.8. Le « – » et les « ( ) »
Nous avons indiqué plus haut que chaque signe de ponctuation se distingue par un parcours systémique qui lui est propre, mais le « – » et les « () » semblent avoir des profils sémantiques presque identiques :
Le « – » (illustration 29) :
[LOGIQUE : non-marquées ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : ensemble ou sous-ensemble/marqué/une-borne ou deux-bornes/forte(s) ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
Les « () » (illustration 30) :
[LOGIQUE : non-marquées ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : ensemble ou sous-ensemble/marqué/une-borne ou deux-bornes/forte(s) ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : achevé]
On voit que le « – » et les « ( ) » ne font pas vraiment exception à la règle : le premier peut résulter d’un choix « une-borne » aussi bien que « deux-borne », tandis que le deuxième dépend de la sélection de « deux-bornes ». Il faut, cependant, avouer que cette distinction est insuffisante puisque elle ne permet pas de différencier ces deux signes de ponctuation dans le cas « deux-bornes ». Mais les outils d’analyse actuels que nous offre la LSF manque toujours de la subtilité requise pour résoudre ce problème, il sera donc nécessaire de revenir sur cette question lors des recherches postérieures.
6.4.2.9. La majuscule
[LOGIQUE : non-marquées ; AFFECTIVE : non-marquée ; THÉMATIQUE : thématisé ; INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE : ensemble]
6.4.2.10. La « ‘ »
[LOGIQUE : non-marquées ; AFFECTIVE : non-marquée ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE : inachevé]
6.5. Quelques commentaires sur les probabilités provisoires
Dans la section 6.4.1. du présent chapitre, nous avons proposé une ébauche des réseaux systémiques touchant à la ponctuation de manière générale. Et nous avons aussi signalé que cette ébauche ne saurait être que très provisoire en raison du manque d’un modèle plus complet de la langue bretonne. Autrement dit, l’insuffisance du modèle fait obstacle à tout effort d’exhaustivité par rapport à l’articulation de nos réseaux systémiques. Cela se fait le plus sentir par l’absence de toute indication de probabilité dans ces réseaux systémiques (voir l’illustration 21). Quoique les limites de nos recherches nous empêchent de combler cette lacune-là, il nous est néanmoins possible d’offrir quelques observations à ce sujet, et celles-ci pourraient, éventuellement, servir comme point de départ pour des travaux futurs.
Dans la LSF, on rejette la notion de « grammaticalité » chère aux partisans de la linguistique chomskyenne en faveur de celle de « probabilité ». Alors, plutôt qu’à définir des normes linguistiques, le systémicien cherche donc à reconnaître les tendances de l’usage. Pour ce faire, il s’appuie sur l’étude des corpus, qui décèle des tendances syntagmatiques qui permettent, à leur tour, la postulation des tendances paradigmatiques (Tucker, 2006, p. 90 92). Voilà une des raisons pour lesquelles notre travail se base sur un corpus composé d’une pluralité d’extraits littéraires. Et bien que notre corpus n’atteigne pas l’énormité des corpus utilisés dans le traitement informatique des textes, l’analyse détaillée de 551 Énoncés Écrits a sans doute une grande valeur lorsqu’il s’agit de saisir les nuances qui colorent l’usage de la ponctuation.
En fait, nos recherches permettent non seulement de postuler la probabilité empirique d’un certain nombre de choix portant sur la ponctuation, mais aussi de déceler « les rapports de dépendance » entre quelques réseaux systémiques et « la corrélation probabiliste entre certains critères » à l’intérieur de certains réseaux (Tucker, 2006, p. 92). Plus précisément, nous pouvons établir la priorité du réseau INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE, et ensuite déterminer l’impact de la THÉMATIQUE sur la réalisation éventuelle d’un choix « ensemble ».
Nous avançons l’idée que le réseau INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE doit précéder tout autre lors de la ponctuation puisque c’est ici où les choix sémantiques déclenchent la génération des éléments ponctuationnels qui sont ensuite précisés par le parcours choisi en traversant les autres réseaux systémiques. Alors, le choix entre « ensemble » et « sous-ensemble » est le point de départ dont le résultat forme le critère d’entrée au prochain système.
L’option « ensemble » occasionne l’insertion du couple OÉ/FÉ dans la première ligne de l’arbre syntaxique d’un ÉÉ donné. Ensuite, il faut que la sélection « ensemble » soit le critère d’entrée au réseau THÉMATIQUE, puisque c’est précisément le choix entre « thématisé » et « non-thématisé » qui permet une différenciation sémantique entre la OÉ et la FÉ. Vu que l’OÉ et la FÉ vont de paire, il n’est pas étonnant que la distribution probabiliste de « thématisé »/« non-thématisé » soit 50/50 lorsqu’il s’agit de ponctuer un « ensemble » (voir les illustrations 33 et 34). Cependant, cette distinction a un énorme impact sur les réseaux qui seraient ensuite activés, et aussi sur la précision des probabilités à l’intérieur de ces réseaux.
Considérons d’abord l’illustration 33, qui montre l’exemple [INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE:ensemble;THÉMATIQUE : non-thématisé] :
Il est question, ici, d’une FÉ. On voit que « non-thématisé » est le critère d’entrée à quatre réseaux (LOGIQUE ; INFORMATIONNELLE ; AFFECTIVE ; INFORMATIONNELLE-COMPLÉTUDE), et qu’une probabilité empirique est attribuée à chaque caractéristique de chaque système de chacun de ces réseaux .
Ensuite, comparons ces détails à ceux associés aux choix qui mènent à une OÉ, c’est-à-d ire [INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE:ensemble ; THÉMATIQUE: thématisé], et que nous modélisons ainsi :
Seuls les réseaux LOGIQUE ET AFFECTIVE sont activés par le parcours « thématisé »; et on constate que les probabilités attribuées aux caractéristiques du réseau AFFECTIVE sont complètement différentes de celles du même réseau lorsqu’il s’agit d’un « non-thématisé ».
Enfin il nous semble utile de revenir sur le choix originel, « ensemble »/« sous-ensemble », afin de mettre en lumière une certaine défaillance de notre modélisation probabiliste. Le lecteur remarquera sans doute que nous n’avons pas attribué des probabilités au système « ensemble »/« sous-ensemble » du réseau INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE. La raison pour cela est bien simple, nous n’avons pas encore réussi à définir, de manière assez précise, la taux de récursivité de ce réseau. Vu qu’il est possible, du moins théoriquement, de ponctuer chaque élément/item d’un ÉÉ donné, une forte récursivité est certainement envisageable. Dans un tel cas, [INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE: sous-ensemble/non-marqué] serait sans doute le parcours dominant, et de loin, mais de telles observations restent à l’anecdote.
Mais notre but n’est pas, ici, de résoudre le problème des probabilités par rapport à la modélisation de la ponctuation bretonne. Nous nous contentons tout simplement de démontrer que notre travail descriptif consiste en des observations pertinentes et suffisamment détaillées pour contribuer au développement des modèles génératifs, dont les probabilités sont un aspect important. Nous reconnaissons quand même les limites de nos recherches présentes, et nous remettons la clarification de la question des probabilités à des travaux postérieurs.
6.6. Deux mots sur les critères de réalisation
La Grammaire Cardiff conçoit une lexicogrammaire à deux composants : le réseau systémique sémantique et des critères de réalisation (voir la section 3.3.2.4. du présent document). Ces derniers représentent le mécanisme qui relie la sémantique à la syntaxe dans un modèle systémique fonctionnel génératif. « Ils sont un élément essentiel de la lexicogrammaire, malgré le fait qu’ils sont rarement explicités dans les écrits sur la LSF » (Fontaine, 2008, p. 108, notre traduction). En fait, nous ne les avons pas non plus explicités au cours du présent ouvrage, et pour cause : le caractère descriptif de ce travail rend accessoire une entrée dans les détails des critères de réalisation. Cependant, vu l’interdépendance des travaux descriptifs et génératifs dans la Grammaire Cardiff, il nous semble utile d’en faire mention, même si la qualité préliminaire de nos recherches sur la langue bretonne nous empêche d’offrir autre que des réflexions superficielles.
Dans la section précédent (6.5.) du présent chapitre, nous avons fait allusion au concept qui sous-tend les critères de réalisation lorsque nous avons dit que le choix « ensemble » dans le réseau INFORMATIONNNELLE-ASSEMBLAGE occasionnerait l’insertion du couple Ouverture/Fermeture d’Énoncé Écrit (OÉ/FÉ) dans la structure de l’Énoncé Écrit (ÉÉ). Mais il ne faut pas confondre de telles évocations, dont le but est strictement descriptif, avec de véritables critères de réalisation, qui sont, quant à eux, essentiels au modèle génératif. Et puisque ce modèle génératif se manifeste par un programme informatique (voir Fawcett, 1992), les critères de réalisation nécessitent une expression bien précise et qui consistent généralement en quatre parties :
1. {numéro du critère :}
2. {caractéristique(s) systémique(s) au(x)quel(s) s’attache le critère :}
3. {conditions associées à l’application du critère, si nécessaire}
4. {les opérations du critère.}
e.g. 14.1: necessity : if [non conditional mod] then O< ‘‘must’’.
(Tucker, 1999, p. 47, notre traduction, mais c’est l’auteur qui souligne)
Regardons l’exemple de plus près : il s’agit d’un critère de réalisation dont le numéro est « 14.1 » ; ce critère est attaché au caractéristique systémique « necessity » ; « [non conditional mod] », c-à-d une modalité qui n’est pas le conditionnel, est la condition associée à l’application de ce critère ; « then O< ‘‘must’’ », c’est son opération – dans ce cas « must » exposera l’Operator (O), qui est un élément de la Proposition (P) anglaise.
On comprend qu’un critère de réalisation dépend d’une modélisation approfondie et du potentiel sémantique et du potentiel syntaxique de la langue en question. Et puisque un tel modèle n’existe pas encore pour le breton, la formulation de critères de réalisation pour la ponctuation bretonne doit être renvoyée à des travaux futurs. Mais il est clair que notre description de la ponctuation bretonne démontre que l’intégration de la ponctuation dans tout modèle génératif éventuel n’est pas seulement possible, mais désirable.
6.7. La prochaine étape : évaluer nos observations en les intégrant dans une grammaire systémique fonctionnelle générative ?
Dans les sections précédant du présent chapitre, nous avons d’abord présenté des observations générales par le biais d’un tableau qui réunit beaucoup d’information, sur la syntaxe et la sémantique de la ponctuation bretonne, d’une manière à la fois efficace et détaillée. Ensuite nous avons expliqué la syntaxe de la ponctuation bretonne. Nous avons souligné l’importance du réseau systémique INFORMATIONNELLE-ASSEMBLAGE, où nous modélisons le choix entre « ensemble » et « sous-ensemble », par rapport aux éléments strictement ponctuationnels. Mais nous avons aussi signalé la possibilité que d’autres éléments, tels que le Rannig, puissent être exposés par des signes de ponctuation. Puis nous avons porté notre regard sur la sémantique, et nous avons vu que, parmi les huit fils sémantiques majeurs, il y en a cinq qui conditionnent la ponctuation bretonne. Tout cela a servi de terreau pour la formulation d’ébauches de réseaux systémiques destinés à élucider la valeur lexicogrammaticale de la ponctuation bretonne : d’abord au moyen d’une vue globale des réseaux systémiques ponctuationnels, ensuite à travers la précision de l’exposition des signes de ponctuation, et enfin par une brève réflexion sur la place des probabilités et critères de réalisation dans une lexicogrammaire de la ponctuation bretonne. Il est donc clair que nos recherches ont été fructueuses. Cela dit, il est aussi évident que la présente thèse n’est qu’un premier pas dans un long chemin vers l’articulation d’une lexicogrammaire de la ponctuation bretonne ; il reste encore du travail à faire.
Au cours de notre travail nous avons parlé de l’importance de vérifier nos observations sur la ponctuation bretonne en les intégrant dans une grammaire systémique fonctionnelle générative du breton. Malheureusement, celle-ci n'a pas encore été développée. Voilà la tâche primordiale à entreprendre, puisque tout autre effort d’éclaircir la lexicogrammaire bretonne restera inachevé s’il n’existe aucun moyen suffisant pour tester les hypothèses descriptives. Mais si on se rappelle la qualité symbiotique des relations entre le travail génératif et le travail descriptif dans la LSF, on comprendra que les analyses syntaxiques et sémantiques de notre corpus, que nous avons faites dans l'intention de mieux décrire le rôle lexicogrammatical de la ponctuation, peuvent être revues afin d'en tirer les éléments nécessaires pour entamer un modèle génératif de la lexicogrammaire bretonne.
Mais au-delà de sa valeur comme point de départ pour un travail éventuel sur un modèle génératif, la présente thèse montre que les outils élaborés dans le cadre de la LSF sont d’une grande utilité lorsqu’il est question de faire des analyses méthodiques et rationnelles de la ponctuation. Notre travail ouvre donc le chemin à toutes sortes de recherches portant sur cette branche négligée de la linguistique : le rôle de la ponctuation dans la différenciation des genres et des registres dans la langue écrite ; le glissement sémantique des signes de ponctuation ; l’intégration des émoticôns/émojis dans la lexicogrammaire ; etc. Il nous paraît, alors, tout à fait à propos de clore ce document-ci par un signe de ponctuation qui laisse entendre que ceci n’est qu’un début : « … »
Appendices
I. Glossaire des termes en Grammaire Cardiff de la Linguistique Systémique Fonctionnelle
Depuis les origines de la Linguistique Systémique Fonctionnelle, les systémiciens tendent à faire publier leur travail en anglais. Vu l'importance actuelle de cette langue dans tous les domaines de la recherche, un tel choix n'a peut-être rien d'étonnant. Cependant cette pratique a tout de même quelques inconvénients pour ceux d’entre nous qui ne suivons pas la tendance : la traduction des termes techniques ne se fait pas de manière méthodique.
Il est vrai que certains systémiciens, comme A. Caffarel (2006, p. 198 202) et D. Banks (s. d.-a), proposent des lexiques utiles, mais la portée de leur travail reste quelque peu limitée par le fait qu’il ne tient compte que du vocabulaire de la Grammaire Sydney. En effet, à notre connaissance, il n’existe aucun glossaire anglais-français de terminologie de la Grammaire Cardiff. Notre contribution, malgré ses imperfections, comblera cette lacune.
Pour les termes anglais et leurs abréviations, nous nous appuyons principalement sur le « Summary of English syntax for the text analyst » de R. Fawcett (2000, p. 303 307, 2008, p. 248 252). Nos innovations terminologiques (que l'innovation soit dans le terme même, ou dans l'usage d'un terme déjà courant) sont signalées par un « * » ; nous rappelons que la section 3.5. de la présente thèse est consacrée à leur explication.
Units/les Unités
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Elements of the Clause/ Les Éléments de la Proposition
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Elements of the nominal group/ les Éléments du groupe nominal
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Elements of the prepositional group/ les Éléments du groupe prépositionnel
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Elements of the quality group/ les Éléments du groupe qualitatif
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Elements of the quantity group/ les Éléments du groupe quantitatif
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Elements of the genitive cluster/ les Éléments de l'agglomérat génitif
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Elements found in all groups/ les Éléments qui se trouvent dans tous les groupes
linker (&) le maillon (&)
inferer (i) l'élément d'inférence (i)
starter (st) le démarreur (dém)
ender (e) le limiteur (lr)
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- Citation du texte
- Dr Karl Haloj (Auteur), 2017, Premiers éléments pour une lexicogrammaire de la ponctuation bretonne, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/385118
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