Le Faune de Stéphane Mallarmé a une longue et intéressante genèse. Conçu au départ comme intermède héroïque (1865) et passant par un deuxième état qui est l’Improvisation d’un faune (1875), la version définitive du poème paraîtra en avril 1876 dans une édition de luxe illustrée par Manet sous le titre de L’après-midi d’un faune. Et c’est cette version, une églogue comme Mallarmé précise, qui est le plus difficile à comprendre. « Ce poème renferme une très haute et très belle idée, mais les vers sont terriblement difficiles à faire [...] », dit le poète lui-même à propos du poème. Lui, qui a mis au point également : « [C]e n’est point avec des idées que l’on fait des vers....C’est avec des mots. »
Trois repères principaux déjà que l’auteur nous indique et qui nous aideront à trouver les traits importants de notre étude de l’expression langagière : Il nous faudra – entre outre bien évidemment – analyser le vocabulaire et les vers, voire le mètre. En plus, on essayera de trouver ce qui n’est pas tout de suite « visible » (sachant qu’un poème tient beaucoup de sa lecture à haute voix pour faire entendre la rime, le mètre et le rythme) dans le texte. Mallarmé, un des pionniers de l’art poétique du XXe siècle, a commencé à écrire le Faune après avoir travaillé sur l’Hérodiade à propos de laquelle il dit : « [C]ette œuvre solitaire m’avait stérilisé ». Communs est l’emprunt des scènes, figures et motifs qui révèlent la tradition greco-latine. D’autant plus, le poète renforce son refus d’un « art pour tous » par son travail de « [p]eindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit ». C’est un écart qui s’ouvre : réalité et rêve, recours à la tradition poétique et en même temps la tentation de sa transformation tout en gardant l’unité d’un poème.
Notre piste de lecture sera cet effet de division qui unie en même temps de différents niveaux langagière : « Mon crime, c’est d’avoir [...] divisé » tout en gardant l’unité classique d’un poème écrit en alexandrins. Nous allons d’abord analyser ce qui nous semble le plus évident, c’est-à-dire le repère temporel, le corpus graphique et la rime, pour étudier dans une deuxième partie le mètre et le rythme de l’extrait. La troisième partie sera consacrée à l’étude syntaxique et sémantique.
Plan
INTRODUCTION
I. « Mon crime, c’est d’avoir divisé... »
1. Repère temporel et corpus graphique
2. Une rime qui combine
II. Un rythme détaché
1. Alexandrin
2. Le rythme et les enjambements
III. L'ambiguïté sémantique et brouillage des repères
1. Phrases détachées
2. Des images acoustiques à plusieurs concepts et les clichés
CONCLUSION
Bibliographie
Texte
INTRODUCTION
Le Faune de Stéphane Mallarmé a une longue et intéressante genèse[1]. Conçu au départ comme intermède héroïque (1865) et passant par un deuxième état qui est l’Improvisation d’un faune (1875), la version définitive du poème paraîtra en avril 1876 dans une édition de luxe illustrée par Manet sous le titre de L’après-midi d’un faune. Et c’est cette version, une églogue[2] comme Mallarmé précise, qui est le plus difficile à comprendre. « Ce poème renferme une très haute et très belle idée, mais les vers sont terriblement difficiles à faire [...] »[3], dit le poète lui-même à propos du poème. Lui, qui a mis au point également : « [C]e n’est point avec des idées que l’on fait des versC’est avec des mots. »[4]
Trois repères principaux déjà que l’auteur nous indique et qui nous aideront à trouver les traits importants de notre étude de l’expression langagière : Il nous faudra – entre outre bien évidemment – analyser le vocabulaire et les vers, voire le mètre. En plus, on essayera de trouver ce qui n’est pas tout de suite « visible » (sachant qu’un poème tient beaucoup de sa lecture à haute voix pour faire entendre la rime, le mètre et le rythme) dans le texte. Mallarmé, un des pionniers de l’art poétique du XXe siècle, a commencé à écrire le Faune après avoir travaillé sur l’ Hérodiade à propos de laquelle il dit : « [C]ette œuvre solitaire m’avait stérilisé »[5]. Communs est l’emprunt des scènes, figures et motifs qui révèlent la tradition greco-latine. D’autant plus, le poète renforce son refus d’un « art pour tous » par son travail de « [p]eindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit »[6]. C’est un écart qui s’ouvre : réalité et rêve, recours à la tradition poétique et en même temps la tentation de sa transformation tout en gardant l’unité d’un poème.
Notre piste de lecture sera cet effet de division qui unie en même temps de différents niveaux langagière : « Mon crime, c’est d’avoir [...] divisé »[7] tout en gardant l’unité classique d’un poème écrit en alexandrins. Nous allons d’abord analyser ce qui nous semble le plus évident, c’est-à-dire le repère temporel, le corpus graphique et la rime, pour étudier dans une deuxième partie le mètre et le rythme de l’extrait. La troisième partie sera consacrée à l’étude syntaxique et sémantique.
I. « Mon crime, c’est d’avoir divisé... »
L’extrait est visiblement divisé en deux parties. On distinguera la partie A (v.1-7) de la partie B (v.8-18). Mais est-ce que cet effet de rupture est uniquement manifesté par l’italique de soulignement et les guillemets ?
1. Repère temporel et le corpus graphique
On peut constater que la partie A est temporellement structurée par le présent de l’indicatif. « Je t’adore » renvoie à un sentiment qui est considéré comme valable à toutes les époques pour le locuteur et évoque pourtant le passé par ce qui suit, comme il s’agit d’un présent de narration. Le je (le contexte hors de l’extrait nous apprend que c’est le faune) se met en première position – remplacé dans la partie B par le pronom personnel « mon. Le présent de narration décrit ici un événement passé, réel ou fictif, et déclenche l’effet d’assister en direct à cette scène. « Tressaille ! » pourrait également représenté la forme d’un impératif ou subjonctif (voir le point d’exclamation) afin de soutenir l’intensité de l’événement décrit, d’exprimer l’intention du je et ses vifs sentiments. Il semble que le locuteur s’adresse à un interlocuteur qu’il essaie d’influencer.
La partie B commence par un infinitif passé (v. 8/9) qui renvoie à une action accomplie. Cette construction est interrompue par une épithète détachée qui donne la raison pour laquelle le je a commis un crime. Le présentatif « c’est » met en relief « [m]on crime ». L’imparfait « j’allais cacher » concurrence le conditionnel présent et, renforcé pas l’adverbe «à peine », il actualise la situation précaire et presque faillite de l’action. Les participes présents « gardent » et « rougissant » désignent la simultanéité. Dans la parenthèse (v. 12-15), il faut relever le présent « s’allume » qui, comme dans la partie A, actualise la scène. Malgré l’utilisation de l’imparfait du subjonctif (se teignît), on n’a pas vraiment un récit qui est raconté en utilisant exclusivement les temps du passé. Les deux niveaux énonciatifs (présent narratif et imparfait) se mélangent. La fin de la partie B, se termine par un marqueur du passé, un imparfait (« j’étais ») qui soutient de nouveau le changement de temps dans l’extrait, comme il y a avant une forme du présent (« se délivre ») qui actualise de nouveau ce récit.
On vient de voir que ce n’est pas seulement le corpus graphique qui distingue l’extrait en deux parties, mais aussi l’usage des temps grammaticaux. Et pourtant, le locuteur ne tient pas le temps du passé dans la partie B et rend ainsi le récit plus vivant. L’italique de soulignement, renforcé par des guillemets qui rappelle un discours rapporté, donnent l’impression qu’il s’agit de deux niveaux de récits. L’un qui raconte plutôt un événement et l’autre qui se présente comme confession d’une action déroulée dans un passé antérieur.
A la première vue, l’extrait est bien divisé en deux parties, mais on verra par la suite que non seulement le repère temporel prouve que notre sens visuel est vite trompé. Les autres signes visibles, voire la ponctuation a une forte influence sur le rythme qu’on traitera dans la partie II.2.
[...]
[1] Et n’oublions pas Les Bucoliques de Virgile, « la » œuvre des chants bergers.
[2] Une églogue, c’est un petit poème pastoral ou champêtre. Cf. note 1.
[3] Mallarmé, cit. in: Meitinger, 1995, p. 69 ; il s’agit d’un extrait d’une lettre de Mallarmé à Cazalis, écrite en juin 1865, dans laquelle le poète parle de Le Faune, intermède héroïque, le premier des trois «états » du poème L’après-midi d’un faune.
[4] Mallarmé, cit. in: Austin, 1995, p.175 ; Austin commente cette riposte ainsi : « Il y aurait beaucoup à dire sur cette boutade, qui n’a peut-être pas la valeur absolue qu’on lui attribue parfois. Il faut l’interpréter. »
[5] Mallarmé, cit. in: Meitinger, 1995, p. 69 ; extrait de la même lettre voir note 2.
[6] Mallarmé, cit. in: Meitinger, 1995, p. 22; extrait d’une lettre à Cazalis qui date d’octobre 1864.
[7] FAU, v. 8/9 (je me réfère à notre extrait voir p. 10)
- Citation du texte
- Elisabeth Hecht (Auteur), 2003, L'apres midi d'un faune de MALLARME, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/26219
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