Il est 20 heures, ce jeudi du 20 septembre 2001. Grande surprise - La Voix de l’Amérique m’apppelle au téléphone p me proposer de participer à un débat en direct sur la possibilité de traduire un dirigeant africain devant le tribunal – Pourquoi m’avez-vous choisi, et suis-je un juriste ? Il est vrai que j’ai fait du droit, mais je n’en suis pas un praticien. Et puis, qui vous a indiqué mon nom ? – C’est David Foncha en stage ici. Sans autre forme de procès, j’accepte, puisqu’il s’agit seulement de donner mon petit point de vue pour nourrir un débat multiforme.
Faut-il juger les chefs d’Etat africains ? Comment donc ? La réponse est sans équivoque affirmative, car, c’est précisément parce qu’on ne les juge pas, qu’ils se croient tout permis et qu’ils exagèrent. A peine ai-je commencé à répondre à cette embarrassante question que mon téléphone est coupé mystérieusement sans qu’il y ait eu coupure de courant électrique comme à l’accoutumée. Une heure de veine attente et d’effervescence pour retrouver la longueur d’onde de La Voix de l’Amérique pour écouter la suite, à défaut de pouvoir participer. Peine perdue. Je raccroche.
Voilà pourquoi j’écris aujourd’hui ces lignes pour tenter de faire rétrospectivement ce que je n’ai pas pu faire au bout du fil, à savoir répondre posément et librement à la question posée. Je vais donc y répondre le plus simplement possible en trois points – 1) L’état des lieux : pourquoi cette question ? Peut-elle se poser en ce qui concerne les dirigeants européens, par exemple ? 2) Plaidoyer contre. Il faut conserver le statu quo. 3) Plaidoyer pour. Les arguments qui militent en faveur du jugement des chefs d’Etat africains. Conclusion. Est-ce la fin de l’impunité ? Y aura-t-il enfin un peu de considération pour la vie humaine en Afrique noire ? Le Noir deviendra-t-il enfin un être humain ?
Table des Matières
Le déclic. La grande surprise de la VOA
Chapitre I. L'Etat des lieux
Chapitre II. Plaidoyer contre
Chapitre III. Arguments pour
Quelle instance va les juger?
Conclusion: La fin de l’impunité?
Le déclic. La grande surprise de la VOA
Il est 20 heures, ce jeudi du 20 septembre 2001. Grande surprise - La Voix de l’Amérique m’apppelle au téléphone p me proposer de participer à un débat en direct sur la possibilité de traduire un dirigeant africain devant le tribunal – Pourquoi m’avez-vous choisi, et suis-je un juriste? Il est vrai que j’ai fait du droit, mais je n’en suis pas un praticien. Et puis, qui vous a indiqué mon nom? – C’est David Foncha en stage ici. Sans autre forme de procès, j’accepte, puisqu’il s’agit seulement de donner mon petit point de vue pour nourrir un débat multiforme.
Faut-il juger les chefs d’Etat africains? Comment donc? La réponse est sans équivoque affirmative, car, c’est précisément parce qu’on ne les juge pas, qu’ils se croient tout permis et qu’ils exagèrent. A peine ai-je commencé à répondre à cette embarrassante question que mon téléphone est coupé mystérieusement sans qu’il y ait eu coupure de courant électrique comme à l’accoutumée. Une heure de veine attente et d’effervescence pour retrouver la longueur d’onde de La Voix de l’Amérique pour écouter la suite, à défaut de pouvoir participer. Peine perdue. Je raccroche.
Voilà pourquoi j’écris aujourd’hui ces lignes pour tenter de faire rétrospectivement ce que je n’ai pas pu faire au bout du fil, à savoir répondre posément et librement à la question posée. Je vais donc y répondre le plus simplement possible en trois points – 1) L’état des lieux: pourquoi cette question? Peut-elle se poser en ce qui concerne les dirigeants européens, par exemple? 2) Plaidoyer contre. Il faut conserver le statu quo. 3) Plaidoyer pour. Les arguments qui militent en faveur du jugement des chefs d’Etat africains. Conclusion. Est-ce la fin de l’impunité? Y aura-t-il enfin un peu de considération pour la vie humaine en Afrique noire? Le Noir deviendra-t-il enfin un être humain?
Chapitre I L’état des lieux
Faut-il juger les chefs d’Etat africains? Quelle question? Peut-on seulement les juger? Si oui où? Pourquoi cette question et pourquoi se pose-t-elle à ce moment précis? Quel est son fondement ?
Elle précise bien «juger les chefs d’Etat africains» et non tous les chefs d’Etat du monde, puisque ça se fait sous d’autres cieux, sauf en Afrique noire. Pourquoi se pose-t-elle aujourd’hui précisément? C’est que depuis le mois de juin 2001, on parle beaucoup d’un certain nombre de procès: celui de Pinochet, Milosévic, Hisène Habré, Sassou Nguesso, Robert Gueï, et puis les génocidaires Rwandais, les citoyens simples sont en train d’être traduits en justice à Arusha (en Tanzanie) – Ce n’est donc pas un problème d’actualité.
Cette question est-elle pertinente, est-on tenté de se demander? Sûrement. Sinon établissons l’état des lieux; on comprendra vite que les chefs d’Etat africains ne sont pas comme les autres. On entend couramment en Afrique prononcer des paroles qu’on entend nulle part ailleurs au monde. Par exemple: «Qu’es-tu même? Sais-tu à qui tu as affaire? Sais-tu que je peux te faire disparaître ici même sans subir aucune conséquence? Je suis du côté du président de la République – Il est tout-puissant. Il n’a peur de rien et de personne – Il peut vous tuer tous, qu’est-ce qu’on peut lui faire? Quand il parle qui, dans ce pays, peut encore ouvrir la bouche? Dieu est au ciel et le président de la République est sur la terre – Dieu veille sur les morts et lui sur les vivants, c’est par sa volonté que nous vivons. Il peut faire de nous ce qu’il veut. Rien ne peut lui arriver.» Par conséquent le président de la République pose tous les actes comme bon lui semble. Tant qu’il est au pouvoir, il ne craint rien. Il n’a ni foi ni loi. C’est un homme-dieu-Satan.
Dans les démocraties modernes où le président de la République ne compte que sur le suffrage du peuple, il est obligé de tenir compte de ce dernier. Mais en Afrique, le peuple ne compte pas. On connaît les résultats des élections longtemps à l’avance. Par conséquent, la voix du peuple n’est qu’un simulacre. C’est pourquoi personne n’accorde aucun crédit à nos élections, puisque le président de la République est en même temps juge et partie.
On comprend alors pourquoi la question paraît de prime abord surprenante. Qui a donc décrété qu’on ne doit jamais passer en jugement certains êtres humains? C’est vrai, pendant qu’ils sont au pouvoir, nos présidents ne sont jamais considérés comme des êtres normaux. Voilà pourquoi ils font des tours de passe-passe pour y rester ad eternam afin de ne pas redevenir hommes.
La première différence entre les chefs d’Etat africains et leurs homologues des autres continents, c’est que les seconds sont au pouvoir pour un temps limité et grâce à la volonté de leur peuple pour lequel ils travaillent. En Afrique, ils sont placés au pouvoir par les Européens pour défendre les intérêts de ces derniers au détriment de leurs propres compatriotes considérés à leurs yeux comme des non-êtres. Voilà pourquoi dès qu’ils sont éjectés du pouvoir par un coup d’Etat ils s’en vont immédiatement mener une retraite dorée au pays de leurs maîtres où ils ont planqué tous leurs biens. Dans ces conditions pourquoi voulez-vous qu’ils se préoccupent du sort du pays qu’ils gouvernent. Cette situation explique pourquoi, lorsqu’il a fallu passer à la phase de la privatisation de nos pays, tout a été confié aux Blancs sous prétexte que les nationaux n’ont pas de moyen de reprise en main des entreprises nationales, alors qu’ils pouvaient s’associer pour le faire. Les entreprises nationales ont été cédées à vil prix aux anciens colonisateurs et nous nous retrouvons à la situation d’avant 1960. L’expérience de l’indépendance a duré à peine quarante ans. Nous y avons renoncé sans crier garde sous la simple pression de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Ce retour aux sources a été d’autant facile que ceux qui tenaient les rennes du pouvoir n’étaient pas les combattants de la liberté qui avaient versé leur sang pour conquérir l’indépendance du pays. Il fallait s’attendre à cette issue. Propulsés au pouvoir par leurs maîtres, ils ont respecté leurs serments jusqu’au bout. C’est pourquoi le sort de l’Afrique ne leur dit rien, absolument rien. Ils n’ont jamais pitié de leur peuple qui se démène dans la misère au jour le jour.
Parce qu’ils sont redoutés, ils se croient vénérés par la foule et parfois certains s’imaginent que le peuple les aime et les encense – Alors, ils se comportent comme des immortels ou plutôt de mauvais dieux puisqu’ils détruisent tout dans leur passage. Convaincus curieusement que le Noir n’est pas un être humain au même titre que le Blanc, ils massacrent tous ceux qui osent montrer qu’ils sont intelligents, car ceux-là mettent en péril leur poste qu’ils n’ont du reste pas mérité. C’est pourquoi Mongo Béti et René Philombé ont été détesté au Cameroun jusqu’à leur mort. Au Cameroun, dès qu’un citoyen et notamment un intellectuel dit la vérité ou se prononce sur l’état des droits de l’homme aussitôt, il devient l’ennemi public numéro un. Qui lui a donné le droit de dénoncer ce qu’il voit? Voilà un subversif à abattre à tout prix. C’est un empêcheur de tourner en rond. L’anti-intellectualisme caractérise tous nos dirigeants qui s’en servent comme justificatif du harcèlement de leurs adversaires politiques. A quoi servent les intellectuels? Se demandent-ils dédaigneusement. C’est pour la même raison qu’ils perdent temps et argent à tenir des rencontres internationales pour chercher les voies et moyens du développement alors qu’ils s’opposent à la recherche scientifique et à l’industrialisation de leurs pays parce qu’ils estiment que les Noirs ne doivent pas copier sur les Blancs qui se sont développés grâce à la science et à la technologie. Les dirigeants Noirs sont les seuls au monde qui considèrent leurs gouvernés comme les déchets de l’humanité, comme des gens nés pour souffrir; des êtres sans droit.
Mobutu du Congo était le prototype de ce genre de chefs d’Etat africains qui ont passé tout leur temps à amasser des biens dont ils ne savaient que faire, et s’en fichaient de l’avenir de leur pays. Après nous, le déluge, se disaient-ils. Hélas, ce n’est pas fini. Les autres continuent leur basse besogne.
Et pourquoi se comportent-ils avec une telle désinvolture? Parce qu’ils ne tiennent point compte de l’existence de leur peuple. Toutes les élections étant truquées, les bulletins de vote importent peu. Si les présidents courtisent leurs peuples et font tout pour les satisfaire, c’est parce qu’ils comptent sur leurs bulletins de vote pour se maintenir au pouvoir. En Europe, par exemple, les chefs d’Etat savent qu’ils sont au pouvoir pour un temps limité et qu’ils ont un programme à court terme à exécuter. En Afrique noire, même si la Constitution prévoit une limitation de mandat, elle laisse toujours la possibilité au président de la République de faire des acrobaties de révisions pour se maintenir éternellement au pouvoir. Logiquement on ne devait permettre à aucun régime de manipuler la Constitution en sa propre faveur, notamment pour s’éterniser au pouvoir. Parce que les dirigeants sont intouchables, ils font n’importe quoi, puisqu’ils ne sont pas dans un Etat de droit. La loi fondamentale n’indique ni l’âge limite pour accéder à la magistrature suprême, ni pour en partir. On demeure président de la République même à cent ans. La République devient un euphémisme pour désigner le royaume. Soixante ans, voilà la limite d’âge raisonnable pour s’occuper des affaires publiques. Nous sommes tous des êtres contingents. Personne n’est donc nécessaire.
Sur le sol africain, il est impossible de juger les chefs d’Etat africains parce que la séparation de pouvoir est illusoire, voire un mythe. Le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et bien sûr le pouvoir exécutif, c’est-à-dire les trois pouvoirs distingués par Montesquieu, sont confondus entre les mains d’un seul individu qui en dispose selon son bon vouloir. Aussi manipule t-il tout le pays comme bon lui semble. Il est seul à endosser l’entière responsabilité de tout ce qui arrive au pays en bien ou en mal.
Ce ne sont donc pas les mobiles d’accusation contre les chefs d’Etat africains qui peuvent faire défaut, au contraire ils abondent. Dès qu’on a la moindre parcelle de pouvoir en Afrique noire, on en abuse. Les Noirs africains ont une mentalité particulière, façonnée par la colonisation. C’est incroyable, mais les Noirs eux-mêmes doutent de leur propre humanité et sont par conséquent convaincus que leur vie n’a aucune valeur. Il s’agit là d’un problème grave et profond dont dépend tout le développement du continent noir.
La dimension historique étant absente des préoccupations des Noirs, un chef d’Etat africain ne s’imagine pas qu’il pourra un jour répondre devant l’histoire de tous les crimes qu’il a commis sous son règne où il se prenait pour un surhomme. Etant au pouvoir, chaque dirigeant façonne des lois en sa faveur. Dans tous les pays, seul le cas de trahison est susceptible de conduire un président de la République devant les tribunaux. Même s’il massacre tout son peuple, il n’est pas passible d’un jugement, sinon on aurait jugé le président Idi Amin Dada d’Ouganda ou le président Sékou Touré de la Guinée. On oublie le président Ahmadou Ahidjo du Cameroun!
S’il est obligé d’abandonner le pouvoir un jour, ses maîtres d’Europe vont le recueillir et le protéger. L’Europe continue donc d’être la source de tous nos grands maux politiques et sociaux, après la traite négrière, la colonisation et le sous-développement, comme le démontre si magistralement Walter Rodney dans son livre How Europe underveloped Africa
Mon propos est d’actualité et se limite en une seule question. Ce dernier temps, la presse nationale et internationale parlent beaucoup du jugement des chefs d’Etat à travers le monde. L’Afrique noire ne fait-elle pas partie du monde? Pourrons-nous voir un jour un président ou un ancien président africain dans un box des accusés? La loi est-elle l’expression de la volonté générale?
Un président africain traduit devant une juridiction internationale pour des crimes qu’il a commis? Est-ce possible? Est-ce seulement concevable? L’idée en elle-même est déjà une révolution. Qui l’eût cru? Personnellement je n’y crois pas encore dans la mesure où ces gens-là ne se maintiennent pas en place par leur mérite, c’est-à-dire par la voie des urnes, la volonté du peuple. L’Europe ne laissera jamais faire. Les régimes mis en place par les Blancs n’ont pas de compte à rendre au peuple auquel ils ne doivent rien. L’importance du peuple découle des élections. Or les élections en Afrique noire constituent une pure comédie humaine, puisqu’on en connaît les résultats toujours longtemps à l’avance. Puisque le gouvernement ne respecte pas la loi, on fait tout au profit du parti au pouvoir; les fonctionnaires avec les voitures administratives, c’est-à-dire les produits des impôts de tous les citoyens employés au profit d’un seul parti. Les impôts de tous les citoyens financent le parti au pouvoir de gré ou de force. Le chef de l’Etat est en même temps le chef d’un parti politique et se dit président de tous les citoyens d’un pays. Quelle logique africaine! Le même président va nommer les maires en se proclamant le plus grand démocrate de toute l’histoire du pays – ainsi va l’Afrique – et si quelqu’un a l’audace de dire la vérité, on va le tuer. En décembre 2001, un magistrat tunisien, Moktar Yaya qui a écrit au président de la République tunisienne pour lui exposer sérieusement et sincèrement le mal qui ronge le système judiciaire du pays dans l’espoir que le Premier magistrat tunisien y trouvera un remède. Devinez ce qui lui arriva. Il fut limogé pour avoir dit la vérité à savoir que le législatif était inféodé à l’exécutif. Leçon: il ne faut jamais dire la vérité. Il a eu la chance d’avoir la vie sauve. Si c’était en Afrique noire, chacun sait ce qui lui serait arrivé.
La loi n’est faite ni pour le président ni pour le gouvernement. Pourtant c’est au nom du président qu’on arrête n’importe quel citoyen qu’on jette en prison après un simulacre de jugement, pasteurs, prêtres, évêques, cardinaux y passent et repassent. Seul le président est intouchable. Voilà pourquoi la loi est dit-on faite pour tout le monde. Nul n’est au-dessus de la loi; voilà le slogan creux avec lequel on nous rabat les oreilles. Pourquoi ne pas être assez courageux pour écrire que cette loi est valable pour tous les citoyens, sauf pour le président de la République?
Bien entendu, le problème se pose pour les présidents en exercice. Le 28 décembre 2001, le tribunal de Brazzaville a condamné par contumace l’ancien président Pascal Lissouba, à 30 ans de travaux forcés pour haute trahison pour avoir bradé le pétrole congolais aux Américains et non aux Français, à l’époque où il était au pouvoir. Il devra en plus payer une amende de 25 milliards de francs CFA et son hôtel particulier de Paris, acheté aux frais de l’Etat sera saisi, ainsi que tous ses comptes à l’intérieur et à l’extérieur du pays – Voilà un verdict bien ficelé, dicté par celui qu’on sait.
Au Cameroun, l’ancien président Ahmadou Ahidjo (1958-1982) fut condamné à la peine capitale par contumace en 1984 pour complot contre le président Paul Biya et non pour ses crimes contre l’humanité. Il est mort au Sénégal.
En Centrafrique, l’ancien empereur Sala Edine Jean Bedel Bokassa (1965-1979) fut condamné à mort en juin 1987 pour avoir massacré les enfants. Il fut libéré en 1993, sans qu’on sache pourquoi – la volonté du président.
En Ethiopie, l’ancien président Mengistu Haïlé Mariam (1974-1991) est poursuivi pour le meurtre dans dizaines de milliers d’opposants.
Ces condamnations sont-elles sincères? C’est une prévention pour empêcher les anciens dirigeants de rentrer les perturber au pays. Une fois condamné, qui acceptera de revenir se faire tuer au pays?
On le voit, il ne s’agit que d’anciens présidents tous hors du pays, en dehors de Bokassa. Ce sont donc des procès politiques qui n’ont pas d’impact sur le pays. Celui qui est au pouvoir veut protéger ses arrières. Même un aveugle voit que le président Sassou Nguesso du Congo arrivé au pouvoir par un coup d’Etat à deux semaines des élections, a monté ce procès contre son prédécesseur, afin que ce dernier ne revienne plus le déranger au pays.
En dehors de Nyerere et de Mandela, tous les anciens présidents africains s’exilent par peur d’avoir à payer leurs crimes commis avec l’immunité acquise par leurs fonctions. Les mêmes Etats qui les maintenaient indûment au pouvoir les accueillent par devoir de reconnaissance. Comment ne pas comprendre que les pays européens et notamment nos anciens colonisateurs sont la source de tous nos maux? L’Union européenne vient de délivrer un satisfecit sans réserve au président Sassou Nguesso du Congo, après son élection sans concurrent, avec 98% de voix pour (score des partis uniques), alors que la même organisation vilipende sans honte le président Mugabe qui a portant remporté son élection avec 56 % de voix seulement et devant des adversaires coriaces. Mais, on le sait, le Zimbabwe ne dispose pas de pétrole et le vieux président veut enfin régler le problème des terres accaparées à l’époque coloniale par les Blancs au détriment des Noirs. Personne ne cherche à chasser les Européens d’Afrique – ce serait un grave tort car le racisme a rebours ne paie pas, mais il faut que justice soit faite. C’est assez de traiter les Africains comme des enfants. Combien de pays occidentaux font des élections sans opposant et avec un score de 98 %? Si les Européens veulent intervenir dans les élections africaines, il faut le faire dans tous les pays du continent! S’ils veulent aider les Africains à se démocratiser réellement pourquoi ne pas exiger que tous les présidents africains, à l’instar des présidents américains ne passent pas plus de huit ans au pouvoir et ne jamais dépasser 60 ans au pouvoir? Chacun sait que nos présidents exécutent à la lettre les desiratas des dirigeants occidentaux. Qui ignore que c’est la conférence de la Baule, avec François Mitterand qui déclencha le processus de démocratisation en Afrique noire? Quel président africain peut oser se dresser contre les injonctions d’un président européen? Depuis que l’Europe a exigé que les pays africains mettent l’industrialisation sous les boisseaux, aucun président n’a osé leur tenir tête . Et voilà pourquoi depuis 1960 nous faisons du sur-place.
Pour crimes contre l’humanité M. Laurent Gbagbo, président en exercice de la Côte d’Ivoire et M. Paul Biya, président en exercice du Cameroun, ont été traduits devant la justice belge, à cause de la compétence universelle des tribunaux belges – cas unique au monde, par de simples citoyens, bien sûr. Pourront-ils être jugés? Il faudra d’abord que les plaintes soient jugées recevables, ensuite que les accusés soient culpabilisés. Voilà du nouveau dans l’histoire des droits de l’homme en Afrique noire.
Les poursuites de Hissène Habré, ancien président du Tchad, et du général Guéï, ancien président de la Côte d’Ivoire, se rangent dans la première catégorie. C’est facile de juger les anciens présidents, surtout en leur absence. Les mobiles ne peuvent jamais manquer. Qui veut noyer son chien l’accuse de rage. Il est facile de poursuivre en justice un ancien président, mais en est-il de même pour un président en exercice? Quand bien même on le jugerait et le condamnerait, comment exécuter la sentence? Un peuple africain peut-il accepter de laisser son leader aller en prison? Si oui, où? Dans son pays ou en Belgique? Dans ces conditions la sentence serait seulement morale.
On sait que dans l’histoire, beaucoup de pays du monde tels que la France, ont jugé et condamné à la peine capitale leur roi. Mais c’était uniquement dans un cas exceptionnel: la révolution. En revanche, en Afrique le roi était régulièrement jugé, condamné et exécuté après un certain délai de règne, pour éviter la dictature. Ce n’est qu’en Afrique que la mise à mort du roi était une coutume. D’où vient alors la reviviscence de cette idée de mettre en accusation les dirigeants criminels?
En 1999, cas unique dans le monde, le royaume de Belgique promulgue la loi qui accorde une compétence universelle aux tribunaux belges pour juger les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerres. Ce faisant la Belgique a pris la tête de la nouvelle justice pénale internationale. C’est un nouveau tournant dans le droit humanitaire international. Désormais chaque président africain en tuant sait qu’il aura un jour à rendre compte devant l’histoire et bien entendu devant Dieu.
Depuis cette date, en dehors du cas des pays africains, une avalanche de plaintes s’abattent sur les chefs d’Etat.
Le 29 janvier 2001, l’ancien dictateur de Chili, Augusto Pinochet est inculpé pour crimes contre l’humanité.
Pendant ce temps l’ancien président argentin Carlos Menem est poursuivi le 7 juin 2001 pour association illicite.
Depuis janvier 2001, l’ancien président des Philippines, Joseph Estrada, est poursuivi pour avoir détourné plus de 80 millions de dollars.
Malgré son état de santé, l’ancien président Suharto d’Indonésie a été accusé en 2000 d’avoir détourné 571 millions de dollars.
En 1999, l’ancien président de Yougoslavie, Slobodan Milosévic a été inculpé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Kossovo. En 2001, il était encore en train d’être jugé par le Tribunal pénal international.
Avant 1999, qui marque une date capitale pour la défense des droits de l’homme, le général Georges Papadopoulos, dictateur grec de 1967 à 1974, fut condamné en 1975 à la peine capitale pour haute trahison et purgea 24 ans de prison avant de mourir en juin 1999.
Vaut-il la peine se signaler le cas du président Nicolas Céausescu de Roumanie (1965-1989) qui fut exécuté avec son épouse après un jugement expéditif en 1989? Son cas ne relève-t-il pas plutôt d’un coup d’Etat., puisqu’il n’a pas eu le temps de se défendre?
Différent est le cas de Hussain Mohammed Ershad, président de Bengladesh, chassé du pouvoir et condamné à 13 ans de prison pour corruption en 1990. il sera libéré en 1997.
En Corée du Sud, l’ancien président Chun Doo-Hwan fut condamné à la peine capitale en 1996 à cause de son coup d’Etat de 1979 et la répression d’une manifestation à Kwengjir. Son successeur, le général Roh, Tae-Woo, fut condamné à 22 ans de prison pour corruption et mutinerie.
Chacun sait que le général Manuel Noriega (1984-1989) président de Panama, fut arrêté par l’armée américaine en 1989 et qu’il purge une peine de 40 ans de détention à Miami (Etats-Unis) pour trafic de stupéfiants et blanchissement d’argent de la drogue.
Enfin, au Venezuela, le président Carlos Andrés Perez (1969-1974) et (1989-1993) a été condamné le 30 mai 1996 à 28 mois de prison, avant d’être libéré le 18 septembre 1996 pour raison d’âge. Il vit aujourd’hui à Miami aux Etats-Unis.
Les Kurdes ont déjà porté plante contre M. Saddam Hussein.
L’Iranien Rafsandjani, tout comme le Rwandais Paul Kagame ont été aussi traduits devant les tribunaux belges pour crimes contre l’humanité.
En dépit de tous ces exemples, les opinions sont toujours partagées en ce qui concerne l’Afrique. Il convient donc d’envisager un plaidoyer pour et un plaidoyer contre.
Chapitre II Plaidoyer contre
Faut-il juger les chefs d’Etat africains? Curieuse question! En apparence pour un homme normal. La première réaction en écoutant cette question est de se demander d’abord pourquoi se poser une telle question? Les chefs d’Etat africains ne sont-ils pas des hommes? Si la réponse est affirmative, la conséquence directe est qu’ils sont jugeables. Seuls les irresponsables, c’est-à-dire les gens qui ont perdu la raison, peuvent être soustraits à cet exercice puisque par définition ils ne savent pas de quoi on parle. Pourquoi passe-t-on en jugement sinon pour établir les responsabilités? Le résultat se solde par l’application d’une échelle de punition afin de dissuader les éventuels apprentis sorciers. L’’exemplarité est logée au cœur de la punition. On punit pour que le contrevenant ne recommence plus son forfait, mais aussi et surtout pour prévenir les autres contrevenants des peines qui les attendent au cas où ils commettraient les mêmes torts à la société. Voilà pourquoi chez certains peuples on juge et punit même les trépassés, afin d’administrer des leçons aux vivants. Parfois on va encercler la tombe de fil de fer jusqu’à la fin de la durée de la peine.
Le jugement n’implique pas automatiquement la punition. C’est lorsqu’il y a faute reconnue que la société exige une réparation. La responsabilité est précisément l’obligation de réparer les dommages et les torts commis à l’égard de la société. C’est lorsqu’il y a culpabilité que la société exige réparation. La question se pose ici de savoir si l’on peut poursuivre légalement un chef d’Etat africain comme coupable d’avoir volontairement ou non transgressé, par exemple l’interdiction de l’homicide. Tu ne tueras point. C’est absolu. On ne dit pas, tu ne tueras pas, sauf si tu es un chef d’Etat.
Il est inconcevable que le président de la République qui seul exerce son droit de grâce, soit lui-même jugé. Qui pourra donc le grâcier? Aucune condamnation à mort ne peut être exécutée, tant que le président de la République n’aura pas statué – le président est le seul magistrat, qui en dernier ressort, décide de gracier un condamné ou de commuer sa peine en une condamnation à temps.
Je cite exprès cet exemple parce que pour nos leaders, la vie d’un Noir n’a aucune valeur. C’est pourquoi ils ne jurent que par le mot tuer, comme si c’était normal de supprimer la vie d’un être humain. En d’autres termes, la question posée signifie: est-ce qu’un président africain doit, comme les autres citoyens, expier ses fautes, subir un châtiment ou une peine en application de la loi?
Si la question se pose, c’est à cause de la personnalité exceptionnelle du chef de l’Etat. Pendant qu’ils sont au pouvoir, par hypocrisie ou par flagornerie, les citoyens les traitent non pas comme des rois, mais des dieux sur terre. Mais une fois qu’ils perdent le pouvoir, ils sont traités comme des boucs émissaires. En fait on leur rend la monnaie. S’il s’était agi des anciens présidents, la question ne se poserait même pas, puisque le tout-puissant président, tombé de son piédestal, est ravalé au rang de simple citoyen. Par conséquent notre questionnement ne concernera que les présidents en exercice.
Ceci dit devant qui un président africain peut-il rendre compte de ses actes, puisqu’il n’y a plus personne après lui? Et pendant combien de temps peut-il être responsable? Le président, il faut en convenir, a une autorité au-dessus de lui: Dieu d’abord, et ensuite la société. N’oublions pas non plus que l’autorité morale procède de la raison et de l’idéal. Le président dépasse-t-il Dieu? Est-il au-dessus de la société? Que non. Ce serait un non-sens. La société, en tant que somme des individus survit à tous les mortels. L’homme est essentiellement contingent. Mais il existe la permanence du sujet à travers le temps, en dépit des changements des rôles et fonctions. Si le moi n’était pas identique à travers le temps, notre responsabilité sera trop limitée et temporaire. C’est à cause de cette permanence du moi à travers le temps qu’un ancien président de la République peut être poursuivi pour les actes perpétrés pendant l’exercice de son mandat, bien qu’il ne soit plus au pouvoir. Si le temps a changé, ne s’agit-il pas du même homme? On ne peut donc pas imaginer un président irresponsable pendant qu’il exerce son pouvoir et irresponsable seulement lorsqu’il aura quitté le pouvoir.
S’agissant d’un chef d’Etat qui ne travaille pas seul, mais toujours avec une équipe, il va sans dire que la responsabilité prend une autre dimension. L’homme n’a pas agi seul mais avec d’autres. Certes, c’est toujours lui qui décide, mais s’agissant du cas extrême de l’assassinat des citoyens, l’exécuteur, moralement parlant est-il obligé d’obtempérer? N’engage-t-il pas sa propre responsabilité? A-t-on le droit d’agir mécaniquement? Peut-on obliger quelqu’un à faire du mal? Sauf en dehors du cas de la guerre, parce que si l’on ne tue pas l’ennemi d’en face, il vous éliminera lui-même, personne n’a le droit d’envoyer un autre empoisonner, ou poignarder un autre être humain. Par conséquent, dans le cas d’élimination d’un être humain, la responsabilité est engagée. Celui qui exécute est autant responsable que celui qui envoie tuer. Il n’est pas question ici d’invoquer le cas de l’autorité supérieure. C’est pourquoi les philosophes disent que «être homme c’est être responsables.» En ce sens la responsabilité devient un attribut fondamental de la nature humaine – Un être humain ne saurait se comporter comme un chien. On l’envoie voler chez le voisin, il exécute sans aucun remords sous prétexte qu’il a été envoyé par quelqu’un d’autre, en l’occurrence par son supérieur hiérarchique auquel il doit obéissance et soumission aveugles. Dans certains agissements, tels que les assassinats, la responsabilité d’un chef d'Etat est nécessairement collective, car il décide qu’on tue et d’autres exécutent. Quand la police politique dresse la liste des citoyens "dangereux" qui menacent la place du président, en éclairant la lanterne du peuple analphabète, et ceux qui connaissent le secret d'Etat, le chef lui propose la liste noire, c’est lui qui donne le feu vert pour opérer. William Bechtel n’avait pas empoisonné Félix-Roland Moumié tout seul, par sa propre volonté. L’ordre est venu de quelque part dans ce cas la responsabilité ne saurait être individualisée. Il rendait compte à Michel Débré – ce qui n’est un secret pour personne.
Suffit-il d’être à la tête d’un Etat pour se faire obéir à tout propos? On a vu les conséquences avec Hitler en Allemagne nazie. Le monde a perdu des millions d’hommes à cause de la folie d’une seule personne à qui il fallait obéir à tout prix. Hitler, il est vrai, a donné des ordres, mais d’autres les ont exécutés. Si quelqu’un vous recommande d’aller vous pendre, allez-vous lui obéir? Pourquoi lui obéissez-vous quand il vous envoie enlever la vie à un autre être humain?Par conséquent un être humain ne doit pas obéir les yeux fermés. Celui qui exécute des ordres diaboliques aurait pu donner lui-même ces ordres. Le faux journaliste Bechtel, l’assassin ordonné du président de l'Union des populations du Cameroun jusqu’à sa mort, n’a jamais eu la conscience tranquille. Voilà pourquoi il a vécu en cachette jusqu’à la fin de ses jours.
C’est ainsi que notre responsabilité engage l’humanité entière, car nous sommes responsables de l’humanité entière dans le temps et dans l’espace. C’est dire que nous sommes responsables de nous-mêmes et des autres au nom de la dignité humaine. Je réponds de la manière dont je traite la nature humaine à laquelle j’appartiens. Telle est la démarcation entre l’homme et l’animal. Par une telle responsabilité, je suis amené à témoigner de ma propre grandeur. Sans cette responsabilité, la sanction n’a pas de sens, car elle n’aura aucune portée.
Qui dit jugement dit sanction. En Afrique, on ne sanctionne pas son père. Le président de la République, en tant que père de la nation, doit donc jouir d’une immunité totale. Personne, même pas la haute cour de justice, n’est compétente pour juger le président de la République et les ministres mis en accusation par l’Assemblée nationale, pour haute trahison ou en raison des faits qualifiés de délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, même en cas de complot contre la sûreté de l'Etat. Une fois déposés les membres du gouvernement pourront être jugés en raison des faits qualifiés de crimes ou de délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Tout prévenu est innocent, mais après le jugement, il est exposé à des sanctions. L’idée de sanction découle de celle de la responsabilité. Tout être humain, quel qu’il soit, doit rendre compte de ses actes en assumant les conséquences de ses actes.
Qui en Afrique va établir la responsabilité de son président? Il faut être réaliste. Les magistrats sont tous nommés par le président de la République. Peuvent-ils se retourner contre celui qui les a fabriqués en les sortant du néant? Est-ce par un concours que tous ces juges occupent leur poste? Il faudrait pour ce faire l’existence d’une structure particulière. Qui va créer une pareille structure? Ce serait inviter les gens à vous envoyer à la potence. Aucun président au monde ne saurait créer une telle structure qui demain devrait le broyer. Cessons de rêver. Ils connaissent eux-mêmes le mal qu’ils font à leur pays. Voilà pourquoi ils n’ont pas la conscience tranquille – Il ne suffit donc pas de se poser la question de savoir s’il faut juger les chefs d'Etat africains. Encore faut-il se demander si on le peut. Quand bien même, on voudrait juger les dirigeants africains, où sont les structures? C’est vrai, les Constitutions africaines calquées sur celle de la France, pour faire plaisir aux démocrates occidentaux, n’ont pas de limitation de mandat, et ne prévoient pas de structure pour juger les présidents de la République.
On le sait, la Constitution française ne prévoit pas le jugement d’un chef d'Etat, sauf dans le cas exceptionnel de haute trahison – qui avait permis de juger le maréchal Pétain. Mais ce n’est pas pour autant que les présidents Français commettent des abus de pouvoir et des attentats au droit de l’homme. Toujours en France, un ministre ne peut être entendu sans autorisation. C’est donc après autorisation que le Premier ministre français a été entendu par le tribunal en novembre 2001. Cependant le président français, M. Jacques Chirac, a refusé de se présenter devant les tribunaux en témoin sous prétexte que sa haute fonction ne le lui permettait pas. Or les présidents africains imitent souvent leurs homologues européens.
L’Union européenne a la Cour européenne des droits de l’homme qui siège à Strasbourg et qui fait partie du Conseil de l’Europe. Lequel, fondé en 1949, se distingue de l’Union européenne puisqu’il comprend quarante Etats membres.
La Cour européenne des droits de l’homme veille au respect des principes énoncés dans la Convention pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Des Etats ou des particuliers qui considèrent que leurs droits fondamentaux sont empiétés peuvent saisir cette cour en dernier ressort, c'est-à-dire après avoir épuisé tous les recours judiciaires et administratifs dans l’Etat concerné.
Une telle structure n’existe pas encore dans l’Union africaine. On le sait, le respect des droits de l’homme est le cadet des soucis des pays africains qui estiment en leur for intérieur que le Noir n’est rien moins qu’un homme – Il est interdit aux Etats membres de l’Union européenne de pratiquer la dictature. C’est pourquoi La Grèce et l’Espagne ont mis du temps pour être acceptées au sein de l’Union. Peut-on appliquer un tel principe dans l’Union africaine? Il ne faut pas rêver. Qu’on respecte ou non la vie des Noirs, qu’importe? Il y a tellement de problèmes de non-respect des droits de l’homme dans tous les pays africains sans aucune exception que si l’on se met à les examiner, on ne ferait plus rien d’autre. Autant les négliger. Les linges sales, dit-on, se lavent en famille. Que chaque chef d'Etat s’occupe seul de ses problèmes de respect des droits de l’homme. Les citoyens n’ont qu’à se soumettre à leurs présidents en supportant leurs misères, car chaque chose a une fin. Celui qui n’est pas content du régime n’a qu’à s’exiler chez les Blancs qui sont directement responsables des pourrissements de la situation politique de nos pays. Ainsi, eux aussi porteront le poids de nos souffrances. Puisque les Européens ne veulent pas que les Noirs soient bien dans leur propre pays, ils doivent recueillir chez eux les insatisfaits que les dictateurs refoulent. Les exilés politiques, les chômeurs, bref tous les malheureux n’ont qu’à aller grossir la liste des sans-domiciles. Si leurs pays marchaient bien, ils ne chercheraient pas tous à s’expatrier. Le choix de l’étranger est le résultat d’un découragement profond et d’un regard pessimiste sur l’avenir de l’Afrique. Or qui en sont la cause?
Ce sont les compatriotes paresseux et jaloux et les assoiffés du pouvoir qui accablent les chefs d'Etat africains, parce qu’ils auraient voulu être à leur place. Il faut donc les laisser diriger tranquillement le pays. Est-il possible de gouverner tout un pays sans tuer? Kwamé Nkrumah l’avait expérimenté à ses dépens. Même chez les Blancs les dirigeants tuent et on cache pour ne pas souiller le pays.
Si l’on admet donc le principe de juger un président de la République en poste, chaque citoyen qui n’est pas d’accord avec lui portera plainte et ce sera un désordre indescriptible. En conséquence le pays deviendra ingouvernable.
Le président représente la magistrature suprême. Rien n’est donc au-dessus de lui. Ce n’est pas pour rien que les flagorneurs chantent l’air suivant: «Après notre président, Dieu. Il règne sur la terre et Dieu au ciel.» Par conséquent d’après eux, le président de la République vient d’abord et Dieu ensuite. Et il n’y a que le président et Dieu; le reste ne compte pas. Dans ces conditions qui peut alors juger un président de la République? D’autres présidents? Des rois? Des empereurs? Où les trouvera-t-on? Seront-ils disponibles pour cette tâche ingrate? Sur quels principes se fonderont-ils pour les juger? Allons nous accoucher d’un nouveau monde? Il ne faut pas rêver – Ils ont d’autres chats à fouetter.
Comme les Noirs sont naïfs, bêtes et méchants, si l’on commence à juger leurs présidents ou leurs rois, ils vont en déduire qu’ils sont comme les autres mortels et ils ne vont plus les vénérer comme des dieux. Et du coup, ils n’obéiront plus à l’aveuglette à leurs présidents. La conséquence directe de cette nouvelle donne sera l’anarchie générale. Chaque société a besoin d’idoles. Il faut non seulement que les Noirs respectent et vénèrent leurs présidents, mais encore qu’ils le craignent et le redoutent comme un magicien. L’essentiel pour un président est qu’on le craigne et non qu’on l’aime. L’amour peut s’en aller, mais pas la peur. C’est du reste ce que recherchaient les dirigeants romains: «Détestez-moi autant que vous voulez, l’essentiel est que vous ayez une peur bleue de moi.»
Chez les Blancs, les citoyens n’ont pas besoin de vénérer leur président de la République, parce que tout le monde comprend les choses et respecte naturellement les lois républicaines. Tout le monde sait que le président de la République est l’un des citoyens élus normalement et devant quitter le pouvoir à la fin de son mandat. Par conséquent il ne saurait se comporter comme un immortel. Chez eux, c’est la rationalité qui guide les faits et gestes des hommes. Un tel comportement n’est pas encore possible en Afrique car nous ne sommes pas encore civilisés.
Aucun pouvoir législatif sur le sol africain ne peut oser permettre qu’on juge un président de la République considéré ici comme un dieu qui ne saurait se tromper. Quel est cet homme de loi, quel est ce parlementaire qui oserait initier un tel projet sans être égorgé illico avec toute sa descendance et les gens de son ethnie? Qui donc oserait prendre de tels risques? Il ne faut donc pas prendre des décisions en sachant pertinemment qu’elles ne seront jamais appliquées.
Dans toutes les démocraties modernes, le chef de l'Etat est intouchable, sauf en cas de trahison. Tout dernièrement en 2001, en France, le Sénat a jugé qu’il était indigne que le président Jacques Chirac comparaisse devant le tribunal, fût-il pour être entendu comme témoin. Par contre, lorsqu’il aura quitté le palais de l’Elysée, il sera libre d’être traduit devant la justice. Mais le Premier ministre Léonard Jospin a accepté de témoigner devant les tribunaux. Ce geste ne déshonore pas le peuple français. Mais en Afrique, ce serait honteux de voir un Premier ministre devant les tribunaux pour quelque motif que ce soit, car ce serait le souiller et par suite, toute la nation en prendrait un coup.
Tout le monde dit qu’il faut juger les chefs d'Etat africains qui ont tué. On connaît le parcours de Mao Tsé-Toung (ou Mao Zédong) (1893-1976) l’homme qui changea la face de la Chine du XXe siècle et en partie, celle du monde. Son communisme aveugle coûta la vie à des dizaines de millions de Chinois jusqu’à 80 millions, selon certaines sources. Et pour cela a-t-il été jugé en Chine ou ailleurs? Le "Grand Timonier" n’est-il pas mort dans son lit? Pourquoi voulez-vous qu’il en soit autrement avec les dirigeants africains? Donc l’Afrique n’innove en rien. Elle copie. Qu’a-t-on fait de l’ogre d’Hitler, ne serait-ce qu’à titre posthume? Oui, les criminels doivent être jugés même à titre posthume car on juge surtout pour le futur et non pour le passé. Lorsqu’on sanctionne un individu, c’est par prévention, afin que l’acte ne se répète plus. C’est pourquoi on décourage le mal, l’immoralisme et le pourrissement de la société. Il faut décourager les futurs chefs d'Etat africains de suivre la voie tracée par leurs prédécesseurs.
A moins d’être fou, un président de la République peut-il se mettre à tuer au hasard ses sujets, et s’il les tue tous, sur quoi va-t-il régner encore? Tuer un opposant au régime ou les gens d’autres ethnies et surtout les mauvais citoyens est-ce trahir la patrie? De plus ce n’est jamais le président en personne qui exécute le coup directement. Il envoie toujours ses agents pour tuer. Ceux-là n’ont qu’à désobéir, s’ils trouvent que la cause n’est pas juste ou que le président de la République s’est trompé. Le président, le père de la nation, téléguide toutes les opérations des meurtres, il ne descend jamais lui-même sur le terrain, hormis le cas de Sala Edine Bokassa de Centrafrique. Qui peut nous dire si les exécuteurs ne vont pas parfois au-delà de ses ordres? Qui nous dit que parfois ils ne commettent pas d’erreur sur le terrain? Il ne faut pas oublier non plus que ce sont ses agents qui lui indiquent les citoyens à abattre pour protéger sa place. S’il faut empoisonner un intellectuel dangereux à son régime, on passera par les jeunes femmes. Sauf le cas de Mobutu, signalé dans le Dinosaure, jamais le président n’invitera à sa table un savant afin de l’éliminer. En principe le président ne fait disparaître que ceux qui le gênent. Que ceux-là se reconnaissent et restent tranquilles et ils auront la vie sauve. Si quelqu’un vous dépasse vous devez porter son sac. Le président ne tue pas pour le simple plaisir de tuer, mais parce que vous le gênez. Donc vous êtes vous-mêmes la cause de vos ennuis.
Nos présidents ne tuent que lorsqu’ils trouvent des entraves sur leur route. Chacun d’eux est élu pour un mandat précis. Il faut les laisser faire leur tâche. Les gens qui les provoquent disent qu’ils s’éternisent au pouvoir - Si nos présidents s’y accrochent c’est pour narguer ceux qui les provoquent. Et puis le pouvoir étant sucré, quiconque le prend, ne voudra jamais le lâcher volontairement. Hamani Touré du Mali constitue un cas exceptionnel de patriotisme que l’histoire retiendra car il confirme la règle. Parce qu’il y a trop d’opposants qui guettent le poste, nos chefs s’accrochent au pouvoir pour ne pas le perdre définitivement. Chez les Blancs, chacun sait qu’il peut quitter le pouvoir et le reprendre plus tard sans trop de dommage. En Grande-Bretagne l’alternance est une pratique courante. En Afrique la vie est courte. Il faut s’enrichir au plus vite, car il n’y a pas de temps à perdre. Dans un pays pauvre, que peut-on économiser en cinq ans de pouvoir? Et si le président réussit à amasser des richesses pour sa famille et ses amis, que dire des autres membres de son ethnie? Il faut donc leur laisser le temps de s’enrichir aussi. Et si la population de cette ethnie est importante, il faudra lui laisser un peu plus de temps. Et comme l’homme n’est jamais rassasié, il faudra attendre longtemps. Personne ne se dit riche, au point de s’arrêter d’amasser des richesses. Et au bout de compte on aboutit à l’absurde.
De toute façon, le jour où le président ne sera plus au pouvoir, il redeviendra un simple citoyen comme tout le monde. Alors la justice pourra le poursuivre librement à moins qu’il ne s’enfuie en Europe se cacher sous les ailes des Blancs dont il bénéficiait déjà de la protection.
Et s’il meurt, étant au pouvoir comme Jomo Kenyatta, que fera t-on? Alors, ses ayants droit et ses compagnons d’infortune répondront à sa place, car il faut que la justice soit rendue afin que la société survive. Par conséquent pendant que le président sera au pouvoir, il sera irresponsable dans tous les domaines. C’est normal, puisque c’est lui qui fait les lois. Lui seul peut les violer comme il veut pourvu qu’il maintienne la paix dans le pays. Il peut donc voler, détourner les fonds publics, enlever les femmes des citoyens, tuer les gens qui lui déplaisent comme faisaient Hissene Habré, Sekou Touré ou Ahidjo, il n’encoura aucune peine puisqu’il sera protégé par les lois qu’il aura fait voter par l’Assemblée nationale. La paix n’a pas de prix – «Pour un chef d'Etat, c’est un succès indéniable que de maintenir la paix civile dans son pays, condition primordiale pour le succès de toute stratégie de croissance de relance économique.», écrit Christian Penda Ekoka à Cameroun, vers le 3ème millénaire (p.151). Le maintien de la paix n’a pas de prix. Protéger la paix, c’est protéger la vie humaine qui n’a pas de prix, en d’autres termes rien ne vaut la vie d’un homme – Rien ne vaut la préservation de la paix sociale. L’on se plaint que lorsqu’un ministre ou un haut fonctionnaire détourne les deniers publics, on ne dit rien et lorsque la presse se dresse contre lui, tout au plus, ce ministre ou ce haut fonctionnaire perd sa place ou l’échange contre une autre. En fait les voleurs des biens publics sont tellement nombreux qu’on préfère se taire. Si on se met à les punir qui va-t-on laisser? Celui qui a détourné peut-il logiquement condamner un autre détourneur? Et si l’on emprisonne tous les contrevenants, y aura-t-il assez de prisons pour les contenir? Et si l’on les enferme tous, qui va donc travailler encore? Il faudra reconstituer l'Etat à zéro, c'est-à-dire recréer une nouvelle Fonction publique, en clair, il s’agit de créer un nouveau pays avec de nouveaux hommes, car si l’on recrute ceux qui voyaient les autres voler, qu’est-ce qui va les empêcher de faire exactement la même chose, ce qui équivaut à un éternel recommencement qui finit par nous donner un monde nouveau jamais vu ailleurs. Voilà pourquoi l’impunité est une stratégie de gouvernement qu’on peut considérer comme un pis-aller si l’on est pessimiste et une manière de gouverner comme tout autre, si l’on appartient à la mangeoire.
Le président de la République a un statut spécial et ne saurait témoigner devant les tribunaux comme un vulgaire individu. Christian Penda Ekoka nous prévient: «Nul ne saurait contester l’importance du leadership dans la conduite d’un pays vers ses destinées, c'est-à-dire la capacité de l’élite politique (dont le premier responsable est le président de la République ou le Premier ministre selon les régimes politiques) à exprimer une vision, à l’élaborer et à la formaliser pour ensuite mobiliser et organiser, avec volonté et efficacité, les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires à sa mise en œuvre.»(Cameroun, vers le 3ème millénaire, p107). S’il en est ainsi, de quel pouvoir disposons-nous pour faire passer le président de la République devant un tribunal? C’est un simple bon sens.
De plus: «Il est toujours difficile de porter un jugement radical, tranché, sur l’œuvre d’un homme politique, parce que de manière générale, l’appréciation de celle-ci est fonction de l’horizon, spatial et temporel, le rythme des évènements, en éclairant chaque fois un angle nouveau.» C’est le même auteur qui parle ainsi (p.108).
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- Prof. Dr. Dr. Chindji Kouleu (Autor:in), 2008, Peut-on juger les présidents africains?, München, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/118175
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