La préoccupation dans ce travail, est de découvrir le combat de Shérazade héroïne de la trilogie, qui se porte volontaire comme celle des "Mille et Une Nuits" pour libérer cette fois-ci ses sœurs de la tyrannie non de l’homme oriental, mais celle du regard orientaliste de l’homme occidental. L'auteur tente de discerner les procédés par lesquels elle va déconstruire l’iconologie orientaliste sclérosante qui a longtemps emprisonné la femme orientale. Elle tente aussi de démontrer, que pour déconstruire l’iconologie orientaliste sur la femme orientale, Leila Sebbar joue avec les représentations orientalistes qu’elle conteste pourtant en même temps. Quant à la photographie, tout au long de la trilogie, Shérazade est mitraillée par l’objectif. Or il se trouve qu’on l’a trouvé tellement exotique comme les Mauresques des cartes postales de guerre. Ces mêmes photos, paradoxalement grâce à qui Yacine va enfin découvrir l’histoire de son pays : l’Algérie.
L’écriture de L’écrivaine franco-algérienne Leila Sebbar porte un intérêt particulier à l’art de la peinture orientaliste et à la photographie coloniale. Son œuvre confronte les chefs d’œuvres orientalistes du passé et les photographies de guerre, avec deux personnages emblématiques : deux adolescents d’origine maghrébine qui vivent dans une banlieue parisienne. Ces deux protagonistes vont à travers l’art, découvrir leur histoire qu’ils ignorent, tout en prenant leurs distances par rapport au discours orientaliste qu’ils tenteront de démythifier. L’objectif principal du travail de recherche est d’étudier les stratégies scripturales et discursives que Leila Sebbar déploie pour d’un côté, déconstruire la vision portée sur la femme orientale par des orientalistes occidentaux en mal de l’Orient. Et d’un autre côté, reconstituer à partir de cette déconstruction "l’image authentique" de cette femme galvaudée par le regard masculin.
Sotntnaire
Remerciements
Introduction
Sommaire
Partie I : La peinture orientaliste et la photographie coloniale comme intertexte dans l’œuvre de Leila Sebbar
Introduction
Chapitre I : La peinture orientaliste : L’odalisque
1. L’odalisque comme genre pictural
a. Les sources mythiques et sociopolitiques à l’origine des productions d’Odalisques
b. Les thèmes de l’Odalisque
2. Shérazade l’Odalisque
a. Les thèmes de l’Odalisque dans la trilogie
b. Les Mille et Une Nuits et la trilogie
c. Les nœuds intertextuels entre la trilogie de Leila Sebbar et Les Mille et Une Nuits
3. Intertextualité avec la peinture universelle
Chapitre II : La photographie comme intertexte dans l’œuvre de Leila Sebbar
1. De la peinture orientaliste à la photographie coloniale a. La carte postale coloniale
b. Les thèmes de la carte postale coloniale c. Le photographe colonial
2. La carte postale coloniale dans la trilogie
a. Le décor b. La danse
c. La charge érotique
d. Julien photographe colonial
Conclusion
Partie II : Déconstruction des clichés orientalistes dans la trilogie
Introduction
Chapitre I : Le rapport de Shérazade au regard masculin orientaliste
A. Le rapport de la femme orientale au regard masculin européen dans la tradition orientaliste
1. La femme orientale : Une menace
a. Le voile et l’administration française selon Frantz Fanon
b. Le rapport de Moi à Autrui selon Jean -Paul Sartre c. Voir sans être vu
d. Le pouvoir « disciplinant » du regard selon Michel Foucault
2. La femme orientale : Un fantasme
3. La femme orientale : Une Méduse
B. Shérazade, l’objet-regardé de Julien
C. Autres spectateurs propriétaires dans la trilogie
Chapitre II : Stratégies de déconstruction du regard orientaliste masculin
1. Shérazade, une anti-odalisque
2. La révolte de Shérazade
a. La mobilité
b. Le camouflage comme arme contre le mauvais œil
3. Shérazade, une odalisque qui échappe à son spectateur-propriétaire
4. Une odalisque qui boit du Coca-Cola
5. Shérazade n’est pas Shéhérazade
a. Une Shérazade à laquelle on raconte des histoires b. Shérazade/Nidaba
c. Je ne suis pas Shéhérazade
d. Shérazade où le refus de se laisser prendre par l’image
Conclusion
Partie III : La nouvelle image des odalisques libérées
Introduction
Chapitre I : Peintures orientalistes subverties
1. Leila Sebbar repeint les chefs-d’œuvre orientalistes
a. Dans Shérazade 17ans, brune, frisée les yeux verts
b. Dans Les Carnets de Shérazade
c. Dans Le fou de Shérazade
2. Destruction des scènes orientalistes dans la trilogie
a. La maison de la vieille patricienne de Beyrouth
b. Les posters d’Odalisques de la cité HLM d’Aulnay-Sous-Bois c. Dans la terrasse du café
d. Dé-fétichiser le fétichisme orientaliste dans la maison de Pierre Loti
Chapitre II : La dénonciation de la représentation orientaliste de la femme orientale et la libération de cette dernière de la photographie coloniale
1. Dénonciation de la finalité pornographique de la photographie
2. Dénonciation des dérapages des métiers de mode et de média
3. Dénonciation de la représentation cinématographique de la femme
4. La libération des femmes Algériennes des photographies de guerre de Marc Garanger
a. Yacine ou l’amnésie culturelle
b. Yacine et l’homme algérien, spectateurs derrière la vitrine c. L’image comme malédiction
d. La libération de la femme de la photographie
e. Shérazade, une photo d’identité de Marc Garanger
Conclusion
Conclusion générale
Table des matières
Table des illustrations
Bibliographie
Résumé :
L’écriture de L’écrivaine franco-algérienne Leila Sebbar porte un intérêt particulier à l’art de la peinture orientaliste et à la photographie coloniale. Son œuvre confronte les chefs d’œuvres orientalistes du passé et les photographies de guerre, avec deux personnages emblématiques : deux adolescents d’origine maghrébine qui vivent dans une banlieue parisienne. Ces deux protagonistes vont à travers l’art, découvrir leur histoire qu’ils ignorent, tout en prenant leurs distances par rapport au discours orientaliste qu’ils tenteront de démythifier.
L’objectif principal de notre travail de recherche est d’étudier les stratégies scripturales et discursives que Leila Sebbar déploie pour d’un côté, déconstruire la vision portée sur la femme orientale par des orientalistes occidentaux en mal de l’Orient. Et d’un autre côté, reconstituer à partir de cette déconstruction « l’image authentique » de cette femme galvaudée par le regard masculin.
Mots-clés :
Odalisque, peinture orientaliste, photographie coloniale, discours,
voyeurisme, subversion, déconstruction.
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Remerciements
La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes qui ont participé, par leur aide et leur enthousiasme, à m’encourager, à me communiquer des pistes et des informations, des personnes sans qui cette thèse n'aurait pu être menée à bien et à son terme, et envers qui je voudrais témoigner toute ma reconnaissance.
En premier, je ne pourrais jamais remercier assez ma directrice de recherche, Mme Sari Fewzia, pour sa compréhension, et pour m’avoir montré le chemin de sortie et grâce à qui j’ai pu mener à terme ma recherche.
Mon directeur de recherche, M. Jean-Marc Moura, qui répond patiemment à mes mails depuis l’année 2007, pour ses conseils et ses critiques qui m’ont permis d’avancer dans mon travail.
Mes parents, qui ont tout fait, qui se sont sacrifiés pour moi et grâce à qui j’ai pu poursuivre mes études jusqu’à aujourd’hui.
Mon mari Hamid, merci de m’avoir aidée et encouragée dans mes périodes de doute, et pour m’avoir remonté le moral quand j’en avais besoin.
Ces remerciements ne seraient pas complets sans une pensée pour mes sœurs : Ilhem, Samia, Nadia et Asmaa, sans oublier mon beau-frère Arnaud.
Mes dernières pensées iront vers ma défunte grand-mère, qui au lieu de me raconter des contes le soir, me parlait de l’importance des études dans la vie d’une femme.
« L’Odalisque est une
représentation de l’Occident » 1
Introduction
Sujet de curiosité et de fantasmes aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’Orient devient, pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale2.
Au siècle suivant, le faste et le mystère de cet Orient, l’exotisme dont il est entouré, nourrissent et inspirent les écrivains et les artistes occidentaux.
Ces derniers viennent en explorateurs grâce aux charges consulaires ou commerciales qui leur sont confiées pour voyager, découvrir et étudier les cultures et les mœurs de cet Orient mythique. Leurs enquêtes les mènent dans le fin fond de l’Orient : Au Caire, à Constantinople à Tanger et à Alger. Cependant, la majorité de ces peintres n’ont jamais quitté leur atelier de travail. Ils utilisent les récits de voyage des universitaires et des soldats ; en plus de leur imagination, afin de réaliser des peintures.
Scènes de guerres ou de combats sanglants, scènes de chasses, descriptions de paysages spécifiques : Villes orientales, déserts et oasis, … Tels sont les principaux sujets abordés par les peintres, qui mettent l’accent sur certains détails : les costumes, les caractéristiques de l’architecture, les objets de la vie quotidienne et l’habitat. Cependant, le thème le plus affectionné par les peintres demeure les femmes orientales dans leur intérieur. Ainsi avons- nous : Femmes d’Alger dans leur appartement d’Eugène Delacroix, La Grande Odalisque de Jean-Auguste-Dominique Ingres, L’Odalisque à la culotte rouge d’Henri Matisse …
Ces artistes peignent un monde nouveau, tellement différent de l’Occident, tantôt étrange tantôt fascinant, un monde exotique explicitement érotique.
L’Odalisque a souvent été magnifiée dans la peinture, pour des raisons évidentes de non accès au Harem pour tout homme, a fortiori occidental. Les peintres orientalistes avaient donc plus qu’imaginé ces véritables houris, somptueusement féminines, toutes en poses alanguies, dans l’attente de leur maître. Elles étaient ainsi dans l’attente du seul plaisir d’un homme jamais représenté, mais auquel l’observateur européen de la toile était invité à s’identifier. C’est un imaginaire béat qui tient des Mille et une nuits, très masculin et paradoxalement très occidental dans ce qu’il a de fabriqué. C’est l’Orient imaginaire, l’Orient iconographique dans lequel l’homme européen débarquait avec des idées somme toute biens simplistes.
On retrouve cette image de la femme orientale même en littérature, les odalisques des tableaux ont longtemps servi comme toile de fond, que cela soit en littérature coloniale ou postcoloniale comme dans Aziyadé et Les Trois Dames de la Kasbah de Pierre Loti
L’odalisque, femme lascive et figée, est restée emprisonnée par les plumes, les pinceaux et les clichés des orientalistes peintres, écrivains et photographes coloniaux.
Longtemps, très longtemps après, nous allons justement retrouver ces femmes/odalisques dans deux récits de la romancière et nouvelliste Franco- Algérienne Leila Sebbar. Essentiellement dans sa trilogie : Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts ; Les Carnets de Shérazade ; Le Fou de Shérazade ; et ensuite dans la nouvelle La photo d’identité.
Shérazade, l’héroïne de la trilogie, est une adolescente de 17ans qui fuit la maison de ses parents en banlieue. Partout où elle va, elle ne passe pas inaperçue, de par son prénom et sa beauté, elle est souvent associée aux odalisques des peintures orientalistes du siècle dernier. Malgré des conditions de vie précaire en squat et sans ressources, Shérazade ne sombre pas. Elle préfère hanter les bibliothèques et les musées à la recherche des odalisques, attirée comme par un aimant vers ces femmes, qui viennent d’un monde qu’elle ne connait pourtant pas, mais dont elle a le vague et lointain sentiment de porter en elle quelques traces. Et pourtant, Shérazade jeune fille moderne, ayant une prédilection pour le Coca-Cola, habillée en jeans, Adidas et blouson en cuir, souvent sale, les cheveux courts, rebelle et agressive, ne ressemble pas tout à fait à ces femmes allongées, habillées de soie et parées des plus beaux bijoux, douces et somnolentes, qui vivent dans l’attente et qui en réalité émanent de l’imaginaire de ces artistes peintres et écrivains occidentaux. Shérazade souvent prise pour ces femmes imaginaires par les hommes qu’elle rencontre tout au long de la trilogie, réfute cette image qu’elle adopte pourtant en même temps. Tout au long du récit, la jeune adolescente ne cesse de jouer l’odalisque, tout en rejetant cette image de femme lascive.
Yacine, héros de la nouvelle La photo d’identité tout comme Shérazade, est un adolescent des banlieues qui cherche à comprendre la guerre d’Algérie, dont on ne lui parle pas et qui est fasciné par une photo d’une femme algérienne dans la vitrine d’une librairie. La photo en question fait partie du livre des photographies de guerre de Marc Garanger. La femme de la photographie avait perdu la raison suite aux séances de photos réalisées sans son consentement. Les femmes algériennes étaient sorties de force de leurs maisons, dénudées et photographiés par le photographe colonial. Ces séances de photographies sont vécues comme un viol. L’homme algérien que rencontre Yacine tous les jours devant la vitrine de la librairie, n’est autre que le fils de la femme de la photo, qui désespéré par la folie de sa mère, tentera dans un dernier recours de lui faire retrouver sa raison en détruisant la photographie.
Nous avons constaté que le thème de la dimension visuelle est primordial dans les deux corpus de notre étude (Shérazade 17ans, brune, frisée, les yeux verts (1982); Les carnets de Shérazade (1985); Le Fou de Shérazade (1991); et La photo d’identité (1996) . Que ce soit en Peinture ou en photographie, le langage plastique constitue la matrice du récit, son moteur et son inspiration.
L’intérêt que porte l’auteur pour l’art de la peinture et de la photographie, est essentiellement lié à l’Orient. Comme elle l’indique elle-même à propos de ses visites dans les musées :
[...] Au Louvre, les Primitifs français. Deux petites salles. Ce que j’aime, les visages et les femmes envoilées [...]3.
Plus qu’une source d’inspiration, l’art forme la toile de l’écriture des ouvrages en question. Ce dernier sert de procédé de réécriture du mythe orientaliste.
L’Odalisque à la culotte rouge d’Ingres, Femmes d’Alger dans leur appartement de Delacroix, et bien d’autres chefs d’œuvres de peintures orientalistes, cartes postales et photographies de guerre de Marc Garanger véhiculent le récit de Leila Sebbar.
En ce qui concerne la peinture, l’auteur s’adonne tout au long de notre corpus d’étude, à subvertir des peintures orientalistes, qui renvoient au bout du compte à des images antithétiques. Comme l’a fait Pablo Picasso bien avant elle pour le tableau Femmes d’Alger,4 Leila Sebbar s’amuse à déplacer les odalisques des tableaux : d’observées elles deviennent observatrices, de femmes érotiques et sensuelles, elles se transforment en petite banlieusarde rebelle et courageuse, sale, habillée en jeans et blouson en cuir. Nous allons en somme dans ce travail explorer ce qui se passe, lorsque la plume croise les pinceaux.
Mais que recherche Leila Sebbar ? À exorciser l’influence des grands peintres orientalistes du passé ou à se conformer à eux ?
Notre préoccupation dans ce travail, est de découvrir le combat de Shérazade héroïne de la trilogie, qui se porte volontaire comme celle des Mille et Une Nuits pour libérer cette fois-ci ses sœurs de la tyrannie non de l’homme oriental, mais celle du regard orientaliste de l’homme occidental. Nous tenterons de discerner les procédés par lesquels elle va déconstruire l’iconologie orientaliste sclérosante qui a longtemps emprisonné la femme orientale.
Nous tenterons aussi de démontrer, que pour déconstruire l’iconologie orientaliste sur la femme orientale, Leila Sebbar joue avec les représentations orientalistes qu’elle conteste pourtant en même temps.
Quant à la photographie, tout au long de la trilogie, Shérazade est mitraillée par l’objectif. Or il se trouve qu’on l’a trouve tellement ‘exotique’ comme les Mauresques des cartes postales de guerre. Ces mêmes photos, paradoxalement grâce à qui Yacine va enfin découvrir l’histoire de son pays : l’Algérie.
Les deux protagonistes refusent l’image que leur renvoie l’objectif occidental, Shérazade tentera d’y échapper, Yacine va essayer symboliquement de libérer la femme de la photographie de l’album de guerre exposé dans la vitrine de la librairie.
Nous essayerons dans ce travail d’estimer la place de la représentation picturale dans la constitution d’un espace identitaire nouveau, basé sur le questionnement du passé historique.
Dans le cadre de la réalisation de notre travail, nous proposons trois parties. Dans une première partie qui s’intitule La peinture orientaliste et la photographie coloniale comme intertexte dans l’œuvre de Leila Sebbar, nous allons d’abord parler de l’odalisque, son origine et ses principaux thèmes. Ensuite nous tenterons de retrouver ses mêmes thèmes dans la trilogie: Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts ; Les carnets de Shérazade et Le fou de Shérazade.
Dans un deuxième temps, nous parlerons de l’odalisque à travers la photographie coloniale, et voir aussi comment un phénomène pictural s’est transformé en un phénomène photographique.
Nous allons bien évidemment retrouver les mêmes thèmes initiaux qui constituent les peintures d’odalisques dans la photographie coloniale et enfin dans la trilogie de Leila Sebbar.
Ensuite dans une deuxième partie qui s’intitule Déconstruction des clichés orientalistes dans la trilogie, nous analyserons d’abord le rapport de Shérazade au regard masculin orientaliste et ensuite les stratégies déployées par cette dernière afin de le déjouer et de le déconstruire.
Enfin, dans une troisième partie, Subversion et dénonciation de l’orientalisme dans la trilogie Shérazade et la nouvelle : La photo d’identité, nous allons en premier, analyser dans la trilogie la libération des odalisques à travers la subversion des célèbres peintures et scènes orientalistes, telle La Baigneuse d’Ingres et Les Femmes d’Alger dans leur appartement de Delacroix. Ensuite, nous examinerons le discours de la dénonciation de la représentation de la femme orientale et la libération des odalisques de la photographie coloniale dans la trilogie Sherazade et la nouvelle La photo d 1 identite de la meme auteure.
Partie I La peinture orientaliste et la photographie coloniale comme intertexte dans l’œuvre de Leila Sebbar
Introduction
Deux sujets récurrents s’imposent avec force dans le récit de Leila Sebbar (la trilogie Shérazade : Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, Les carnets de Shérazade, Le fou de Shérazade et La photo d’identité), celui de la peinture orientaliste et de la photographie coloniale. Ils dominent et deviennent un élément capital du récit.
La littérature et la peinture sont toutes les deux un mode de représentation. La littérature peut donc retrouver dans la peinture une source d’inspiration, soit par confrontation de la différence de représentation, soit par un attrait pour l’autonomie esthétique de la peinture. Selon Johanna Rajkumar :
La fascination plastique qu’exerce la peinture sur la littérature, renvoie dans un premier temps à la conscience d’une origine commune, d’un cadre de création partagé dans le rapport à la représentation. Si à la base, la plume et le pinceau se rejoignent, les signes graphiques et plastiques par contre divergent dans leur aboutissement et leur manière de signifier.
Dans cette confrontation, la peinture est d’abord un sujet à traiter, elle sert de référence comme activité esthétique, fournit un élan créateur ou un modèle que l’écrivain peut reproduire ou s’incorporer, et remplit alors une fonction intermédiaire qui lui permet d’interpréter une vision du monde, de s’exprimer indirectement sur son travail. Ainsi, l’écriture de la peinture, où la peinture se transforme en une source d’inspiration, devient également un moteur de l’écriture. 5
La trilogie de Leila Sebbar est en constante intertextualité avec l’art de la peinture, plus particulièrement la peinture orientaliste qui forme la trame du fond du récit. L’odalisque, thème principal de la peinture orientaliste, revient d’une manière récurrente dans le récit de Leila Sebbar.
Robert Alter dans The Art of Biblical literature, qui traite la question de la répétition d’un même mot dans un texte, explique que le terme Leitwortstil fut inventé par Martin Buber et Franz Rosenzweig et appliqué au domaine de l’étude des textes bibliques (exégèse biblique). Robert Alter explique que le terme indique un effet de style particulier, consistant en une répétition volontaire de mots clé dans un même texte littéraire donné. Le Leitwort, ou « mot-vedette »,6 exprime généralement un motif ou un thème important dans une pièce littéraire. La répétition mesurée et calculée de ce Leitwort réussit à attirer d’une manière très habile l’attention du lecteur sur un point bien précis du récit.
Servante, esclave, l’odalisque est une monnaie d’échange, un objet sexuel, un jouet dont la destinée est entre les mains de son maître, le sultan. Emprisonnée au cœur du harem, l’odalisque mène une vie de prisonnière.
Devenant par la suite un genre pictural à la mode, l’odalisque véhicule la représentation de femmes inactives, lascives, peu vêtues. Ce genre pictural devient de moins en moins pratiqué vers la fin du dix-neuvième siècle.
La photographie a pris la relève. Des cartes postales, ont été éditées au début du XX siècle et des militaires s’en sont servi pour donner plus de pittoresque à leurs correspondances.
Leila Sebbar écrit :
Ces esclaves de harem seraient mortes à la mémoire de l’Occident comme de l’Orient si des hommes ne les avaient travesties de leurs désirs d’hommes pour les exposer au regard et au désir de l’autre, féminin, masculin, pour l’éternité : une femme qui s’offre dans le secret de l’atelier, puis au profane sur les murs des musées ou des salons privés (…) Ou encore comme cartes postales, objet d’échange (…). On croit pouvoir la posséder alors qu’il s’agit d’un simulacre. Toute femme dévoilée, dénudée, exposée … devient courtisane ou prostituée. 7
Ces cartes postales « de l’intérieur » comme nous allons le voir, semblent appartenir à un genre narratif : Ce sont des scènes d’une histoire implicite où l’absence de l’homme permet à qui le veut de s’attribuer ce rôle. Ce sont des fragments de narration, des condensés d’exotisme.
Les cartes postales ne sont en fait qu’une version moderne des tableaux des peintres orientalistes.
La photographie est présente dans la trilogie Shérazade, d’abord à travers les portraits non-fictifs de l’album de photographies de Marc Garanger, et les portraits fictifs de Shérazade, dont la plupart sont prises par son petit ami Julien, qui les imprime et les affiche tout au long de son appartement. Shérazade est largement appréciée par sa beauté, dans la rue et partout ailleurs, des hommes, des inconnus lui font des avances, recherché comme un sujet pour des photos lors des soirées, et choisie par un metteur en scène à l’étoile comme l’héroïne d’un scénario écrit par Julien.
Dans cette première partie de notre travail, nous allons dans un premier temps essayer de revoir, en bref, la place qu’occupe la femme orientale dans l’iconologie orientaliste, d’abord en peinture. Puis retrouver une intertextualité dans l’œuvre étudiée de Leila Sebbar avec l’art de la peinture orientaliste en particulier et quelques chefs d’œuvre de la peinture universelle en général.
Dans un deuxième temps, nous allons tenter de revoir la place qu’occupe la femme orientale dans la photographie coloniale, et de retrouver par la suite ces clichés orientalistes dans la trilogie de Leila Sebbar.
Chapitre I La peinture orientaliste : L’odalisque
1 . L’odalisque comme genre pictural :
La définition du mot « odalisque » est assez vaste et comprend plusieurs interprétations. Dans son livre : L’odalisque : Ou la représentation de la femme imaginaire, Jean-Pierre Brodier reprend les définitions données par différents dictionnaires. Nous pouvons y lire que:
Le dictionnaire encyclopédique Larousse du XX siècle (1932) définit l’odalisque ainsi : (n. fém. du turc Odaliq de Oda : chambre).
1) Dans l’Empire ottoman, esclave attaché au service des femmes du sultan. (N.B. Dans le grand Larousse du XIX siècle on peut lire : nom donné par erreur aux femmes qui composent le harem du sultan).
2) En littérature : Courtisane.
3) Encyclopédie iconographique : Femme nue allongée sur un lit, l’odalisque représente l’interprétation dans le goût oriental de ce thème traditionnel.
Le dictionnaire Hachette Livre (1999) propose : (du turc odaliq : femme de chambre).
1) Femme esclave, au service des femmes d’un harem.
2) Par ex. Femme d’un harem.
Le dictionnaire Littré précise qu’on se fait une idée trop avantageuse de leur condition et que ce ne sont que des chambrières.8
Par ailleurs, Carla Coco dans son livre, L’Orient amoureux, écrit que :
Le terme Oda désigne des services qui gèrent les activités complexes de la vie de la cour. Chaque esclave est affectée à un service particulier. Les femmes esclaves sont les ouvrières de ces services, pas forcément des courtisanes. 9
Au XVII siècle, le pouvoir royal crée des Académies pour contrôler les artistes et les organiser en association : l’Académie royale de peinture et de sculpture gouverne les arts.
André Félibien qui était l’historiographe du Roi, avait énoncé les codes officiels vers 1635 et la hiérarchie des genres qui vont s’imposer pendant plus de deux siècles. Ce qui donne dans l’ordre : La nature morte, le paysage, l’art animalier, le portrait, le portrait de groupe (ou portrait de corporation), et enfin la grande peinture ou peinture d’histoire.
Les académiciens doivent respecter la règle. Or ils dépendent des commandes officielles. A la fin du règne de Louis XIV, le temps s’est figé, les peintres n’ont plus de commandes. Mais l’austérité devient moins sévère et moins pénible après la mort du Roi Soleil.
Au XVIII siècle, la bourgeoisie d’affaires s’empare de l’élégance, du bon goût et du marché d’art. Le mécénat des particuliers et la clientèle des petits nobles prennent une importance nouvelle tandis que la cour perd l’exclusivité du goût et que la légèreté se développe.
La liste des genres augmente et les sujets vont subir de nombreuses variations. Le nu est certes toléré, mais avec certaines précautions.
Généralement, l’odalisque est un genre pictural qui désigne une femme nue, couchée, une courtisane.
La définition donné dans le dictionnaire Larousse citée plus haut caractérise un statut quasiment social de femme et crée un écart entre l’appellation ottomane de la femme esclave et la courtisane en France, même si on l’utilise plus couramment en littérature.
En ce qui concerne la courtisane, Jean-Pierre Brodier souligne que:
Selon les dictionnaires consultés, la courtisane est soit une femme qui se fait entretenir, soit une femme de mauvaise vie. Un dictionnaire Argot- Français du début du XX siècle, traduit odalisque par : Prostituée.
A la fin du même siècle le Dictionnaire des synonymes de la langue française indique : Beauté, courtisane, esclave, Eve, femme, Vénus. Quant au courtisan, il est défini soit comme une personne qui vit à la cour, soit par extension, comme un individu flatteur, obséquieux, ou bien comme celui qui flatte, par hypocrisie, par bassesse ou par intérêt. Selon le sexe et le genre, le sens diffère énormément. 10
Cette tentative de définition fait apparaitre beaucoup d’écarts, notamment entre courtisan et courtisane. Les courtisanes sont devenues prostituées, pas (toujours) les courtisans.
Pourtant, dans l’histoire ottomane, les odalisques sont les ouvrières des services du harem.
Fatima Mernissi, commissaire de l’exposition Fantaisies au harem et nouvelles Shérazade, précise que :
Le mot harem vient du haram, ce qui signifie ce qui est illicite, ce que la loi religieuse interdit, par opposition à halal, ce qui est permis. En tant qu’institution familiale, le harem constitue un espace privé strictement codifié, dont les règles doivent être respectées. 11
Le harem se trouvait à l’intérieur du sérail qui désigne la totalité du Palais. Le harem est un ensemble de bâtiments et appartements réservés aux femmes, épouses et concubines. Par extension, par métonymie, on désigne par harem l’ensemble des femmes qui y habitent. Les odalisques ne sont donc pas des courtisanes, bien qu’on imagine tous les jeux de séduction déployés pour s’attirer les grâces du maitre.
a. Les sources mythiques et sociopolitiques à l’origine des productions d’Odalisques :
Comme tout autre artiste et écrivain, les peintres sont très sensibles à leur environnement sociopolitique et culturel,
Déjà les Académiciens dictaient des normes. Mais les commanditaires changent. Le marché de la peinture se transforme en fonction de différents critères.
Sous Louis XIV, les commandes proviennent surtout de, ou par, Versailles. Au XVIII siècle, la bourgeoisie achète de la peinture ; après la Révolution, l’Etat reprend la tutelle et l’Académie contrôle de nouveau la production, les thèmes et les commandes. Les peintres sont soumis aux salons, et à leurs normes. Selon les courants politiques du moment, les tendances ne sont pas les mêmes.
On connaissait les mythes bibliques. Les fatalités austères et aussi des thèmes plus licencieux bien que cruels. A titre d’exemples : Suzanne et Les Vieillards, David et Bethsabée dont le sujet a été exploité par plusieurs peintres.
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Figure1 : Suzanne et les vieillards / l’Ecole Française. XVII
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Figure 2 : David et Bethsabée / Le serviteur de David venant chercher
Bethsabée, Jean Masys 1562
On connaissait les mythes gréco-latins, où les divinités et la nature offraient de nombreux thèmes. On connaissait L’Art d’aimer et Les Métamorphoses d’Ovide. On savait situer les espaces de l’Olympe et de l’Arcadie.
Des peintres, comme Honoré Fragonard peignent beaucoup de Vénus femmes nues, offertes, allongées sur des couches ou bien repues et sommeillant, souvent accompagnées d’Eros et autres angelots. Bientôt, à ces Vénus allaient se joindre d’autres femmes, venant d’un autre monde, d’un autre mythe.
Un livre, une campagne et une colonisation offrent des thèmes nouveaux et stimulent l’imagination, transforment l’imaginaire, bouleversent même la perception culturelle aussi bien de la part de la demande que, bien entendu, de l’offre.
Ainsi vint d’abord l’avènement des Mille et Une Nuits. La première traduction en français de ce livre est faite par Antoine Galland en 1704, orientaliste, spécialiste de manuscrits anciens et de monnaies, habitué de la Bibliothèque royale, et antiquaire du roi.12 Ce vaste ensemble de récits des Indes et de Perse transmis par la tradition orale va d’emblée s’imposer comme « best-seller » de la littérature universelle comme une source inépuisable d’imaginaire, de rêves, de fantasmes et même de modes. Un Orient de fantaisie, non sans sagesse ni plaisir : Mille et Une: Le chiffre en soi, déjà, passionne, surtout lorsqu’ on y ajoute Nuits.
Antoine Galland a reçu un manuscrit de Syrie, il entreprend de le traduire, et l’aventure des Mille et Une Nuits commence : Le premier volume de la traduction, en 1704, puis d’autres volumes seront publiés jusqu’ en 1717 au fur et à mesure que de nouveaux textes seront découverts dans différents pays orientaux. Ces contes d’origine indo-persane, dont certains sont repérés dans une version arabe au IX siècle de notre ère, proviennent aussi de toutes les cultures et l’imaginaire orientaux, de la Chine à l’Egypte, en continuant de se transformer, par suppressions ou adjonctions continues, jusqu’au XVI siècle.
Le fil conducteur de ces contes est l’histoire de la princesse Shéhérazade qui, accompagnée de sa petite sœur Dinarzade, prend le pari, en racontant nuits après nuit une multitude de contes, s’enchevêtrant les uns dans les autres, de faire oublier au roi Shahrayar son infortune conjugale par les plaisirs de l’amour qu’elle lui procure, et ainsi de remettre sa décision de coucher chaque nuit avec une femme nouvelle qu’il fera tuer au matin.
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Figure 3 : Schéhérazade raconte au sultan une aventure des Mille et Une Nuits par Paul-Émile Destouches.
Phénomène captivant que celui d’un texte considéré comme de la littérature savante et magique, qui échappe, aux littératures officielles.
Shéhérazade enchante par ses contes. Cependant, elle transforme en récits ce que le roi fait réellement. Curieux miroir, ou curieuse mise en perspective. Les contes les plus salaces sont racontés par un personnage qui, parfois lui- même, provient d’une autre histoire énoncée au deuxième ou au troisième degré.
Avec la traduction des Mille et Une Nuits, Shéhérazade fait rêver et ranime les stéréotypes qui ont cours concernant l’Orient. La peinture de genre va se porter justement sur cet Orient encore inconnu.
Le nouveau genre odalisque entre dans le répertoire des nymphes et autres beautés à offrir aux amateurs d’art. Ensuite, aux XIX siècle, après ce qu’on a pu appeler La fin des Mille et Une Nuits, l’Orient se visite enfin. Mais en dehors de la Bible, on ne connaissait que peu de choses sur les civilisations orientales avant le XVIII siècle.
On peut penser que voyager en Italie, encore à cette époque, est une expédition et que pour un peintre vivant à Paris le pays transalpin est très exotique. En outre, les peintres y trouvent la richesse extraordinaire des œuvres exposées dans les musées ou dans les églises de Rome, de Florence, de Venise et d’autres villes encore.
De plus, la campagne d’Egypte met au goût du jour une ancienne civilisation. Le développement de la machine à vapeur et la mise en place des chemins de fer favorisent la possibilité de se rendre sur place.
Au XIX siècle, le voyage en Orient devient un rituel de célébration collective. Il prend une valeur initiatique sociale. Tout en même temps, il affirme un ordre culturel occidental. Il constitue pour le jeune bourgeois de l’époque un rite de passage par excellence.
Ainsi, la réalité orientale devient à son tour un tableau de genre.
Le 30 avril 1827, le consul de France vient présenter ses civilités au dey Hussein Pacha, représentant la Turquie dans son palais de la Casbah d’Alger. La France commerce avec Alger, mais à crédit. Lors de l’entretien, il est question de remboursement de créances que la France n’aurait pas honorées. Le consul insulte son hôte en répliquant avec arrogance. Les deux hommes ne sont pas à leur première algarade. Le dey ordonne à ce convive de quitter les lieux en le menaçant de son éventail en plumes.
Charles X exige officiellement réparation pour l’affront et s’insurge contre la piraterie turque qui sévit sur cette partie de la Méditerranée. Il s’agit aussi de prendre pied en Afrique du Nord pour éviter de laisser le champ libre à l’Angleterre.
Le coup de l’éventail n’était qu’un prétexte. Le 5 juillet 1830 les troupes françaises s’emparent de la ville d’Alger. C’est le début d’une colonisation qui va durer plus d’un siècle et demie.
La connaissance de l’orient s’affirmé avec sa possession. Et c’est le début en Algérie de la défiguration et de la claustration de la femme à travers les représentations mentales de l’occupant, en l’occurrence les peintures orientalistes.
b. Les thèmes de l’Odalisque :
Il s’agit ici de montrer comment les peintres orientalistes, en s’inspirant des
Mille et Une Nuits se sont représenté la vie des femmes orientales.
D’abord, le terme représentation recouvre plusieurs sens : L'acte de représentation est intimement lié à l'art, notamment dans les arts visuels où la représentation est plus particulièrement un mode sémantique consistant en l'imitation de l'apparence.13 C’est le fait de représenter quelque chose. Ce qui est valable pour le théâtre, mais aussi pour un graphique, un dessin, un tableau … Ce fait peut être une évocation, une exposition, une exhibition d’objets, de couleurs, de traits, de dessins, de gestes et de personnages qui rendent présente la vie de ces choses et de ces personnages exemplaires dans ce qu’ils ont de visible : Un donné à voir. S’il y a un donné à voir c’est en premier lieu ce que le peintre, ici, dispose sur sa toile.
Le fait de représenter, de rendre présente, c’est ensuite : re-présenter. Présenter à nouveau à l’esprit par l’emploi d’un système de figuration (langage, dessin, théâtre …). Ou bien de soi à soi, des choses qui existent dans la mémoire du peintre, une mémoire considérée comme étant « le noyau autour duquel la peinture transite»14, et qui sont de nouveaux présentées à lui-même. Elles peuvent différer de ce que la mémoire avait enregistré. La mémoire non seulement « ressuscite des réminiscences visuelles chez ceux qui regardent la peinture »15, mais en même temps quelque chose de nouveau. En l’occurrence, le peintre met en œuvre son imagination, ou bien de soi à autrui, à l’observateur, en convoquant des signes, des éléments symboliques et conventionnels liés à un imaginaire collectif, à une civilisation ou à la culture du milieu dans lequel le peintre évolue, par des codes et des conventions communes.
C’est enfin le sens que l’on confère à la diplomatie : être le représentant de. Une personne agit au nom d’une autre personne physique ou n’est que le substitut d’une personne morale. Une chose en représente une autre. Le terme représentation se rattache donc à deux idées fondamentales : celle de présence actuelle et celle de remplaçant. Ces deux sont liés. Il y a dans la représentation comme superposition de deux types de présence : d’une part, la présence effective directe, matérialisée par l’objet exposé, le donné à voir médiateur entre le concepteur et le récepteur, d’autre part, la présence indirecte médiatisée par la première, d’une réalité qui n’appartient pas au champ de l’appréhension directe.
Dans ce schéma découpé en trois items, le troisième en fait s’interpose entre les deux premiers. Représenter obtient par là un statut complexe : des signes peuvent être (présentés à nouveau) déjà connus par les uns et non par les autres.
Les odalisques des peintres étudiés ici sont des objets visibles, représentant ce que les peintres ont mis en scène. La toile peinte est un objet réel. Ce qui est représenté est devenu une sorte de double de ce qui était réellement présent au moment de sa création. Par exemple : Victorine Meurent16, modèle qui a posé pour L’Olympia de Manet, est morte depuis longtemps, il ne reste que les tableaux où elle a été représentée.
Ceux – observateurs, spectateurs, autrui – qui regardent aujourd’hui les tableaux ne voient pas tout à fait la même chose que ce que les spectateurs du XVIII siècle, par exemple, pouvaient percevoir, bien que l’objet peint soit resté le même. On peut dire aussi que les éléments pertinents du signifiant sont restés. Ce qui est signifié a peut-être changé.
Par ailleurs, pendant près de deux siècles, beaucoup de peintres ont repris le même sujet. Dans son livre : L’Odalisque ou la femme imaginaire, Jean Pierre Brodier distingue trois thèmes dominant dans ses représentations :
D’abord, la lascivité :
C’est le thème de la courtisane sensuelle, érotique, allongée, nue au service de la gent mâle dominante, qui se dessine.17
Ensuite le thème de la cruauté :
Le deuxième ressort du récit des Mille et Une Nuits est la vengeance du roi de Perse Shahrayar, prétexte à l’égorgement de femmes infidèles. Si cette cruauté exposée par les contes est due à la souffrance d’un mari trompé, c’est aussi pour le lecteur occidental une occasion de se conformer aux stéréotypes du barbare. L’oriental devient le symbole du despotisme, de l’autorité arbitraire et du manque de liberté, enfin tout ce à quoi l’Europe des lumières doit éviter de ressembler : Le barbare brutal. 18
Et enfin, le thème de l’enfermement :
Les femmes d’un seul homme sont enfermées dans un harem. De haram, illicite. Le harem est donc interdit à ceux qui n’ont rien à y faire. Le client, ou l’observateur, pourra se prendre pour un sultan ou un pacha, et se donner le droit de veiller à ces femmes merveilleuses qui sont enfermées, réservées au maître. A cette clôture correspond en écho l’emprisonnement de la gent féminine et du sexe pour en jouir. 19
Ainsi, tous les tableaux s’inscrivent dans des espaces clos. Les odalisques nommées ainsi offrent au regard du spectateur des femmes sur leur couche, attendant, invraisemblablement, le bon vouloir masculin. C’est particulièrement le cas de L’Olympia de Manet.
Ingres, par ailleurs, a circonscrit son Bain turc dans un tondo20, un tableau de forme circulaire, ce qui lui a permis de focaliser davantage l’effet de voyeurisme pour son bain maure.
Quelles que soient les œuvres, le milieu montré est opulent : les parures exhibées sont d’une certaine aisance. Si les femmes sont esclaves, elles sont représentées comme baignant dans la richesse du maître possédant, tout en le constituant. C’est ainsi que les peintres veulent que l’on perçoive leurs œuvres.
La perception procure une conscience de la réalité présente à partir des stimuli des sens : la vision, en ce qui concerne les œuvres plastiques.
La perception est le résultat du processus éducatif. C’est un apprentissage lent, fait de contraintes, de devoirs mais aussi de plaisirs. Ces plaisirs ne sont pas toujours immédiats, il est vrai, mais escomptés.
Pourtant, lentement, les musées se sont remplis. Un public de plus en plus nombreux s’y rend. Des guides donnent des clés pour accéder aux œuvres. En même temps, la consommation d’images médiatisées et publicitaires s’est accrue. Ces images sont très élaborées. Leur fonction est d’éduquer la perception de ceux qui les regardent et de l’associer à un produit, au désir d’acquérir ce produit. L’image d’odalisque produite par un peintre n’est-elle pas de provoquer ainsi un certain désir ?
Y a-t-il de bonnes et des mauvaises images ? La question est simpliste. Car la plus part de ceux qui fabriquent des images pour les associer au désir d’un objet ont souvent été éduqués et formés à la bonne image. La bonne image et la mauvaise image sont aussi tributaires de l’idéologie d’une époque et des encodages pariétales dans les grottes, il est parfois aisé d’y percevoir des animaux représentés d’une manière éblouissante. Cependant qui sait dire ce que cache l’apparente évidence ? C’est ce que notre perception ne peut plus associer du sens à une mémoire qui est perdue et qui sera peut-être retrouvée par association à d’autres domaines.
Il s’agit de la reviviscence des images du passé : « Il est dans notre activité psychique, aucune image innée »21 a écrit le psychologue André Virel. Elles sont donc toutes acquises et reproduites.
En l’occurrence, on peut distinguer différentes sortes de mémoires, considère Paul Ricœur22:
La mémoire empêchée :
Dans le cas de la couleur de la peau de L’Olympia de Manet, on ne pouvait pas donner à une femme nue un autre teint que celui qui était admis.23
Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten
Figure 4 : L’Olympia d’Edouard Manet, 1863
La mémoire donc, refuse de percevoir, et n’a nullement l’intention de s’écarter de ce qui est admis. Par contre, beaucoup de thèmes traités par les arts, la peinture en particulier, mettent en scène des massacres. C’est le cas de La mort de Sardanapale. Il y a d’autres exemples. Curieusement ces œuvres ne sont pas cachées aux enfants, à condition que la sexualité ne soit pas montrée, révélée. La mort violente peut être classée parmi les arts, pas l’acte d’amour, de procréation. Il y a culturellement manipulation. Cela fait partie du domaine du caché.
La mémoire manipulée :
En ce qui concerne la peinture de l’odalisque, au XVIII et au XIX siècles tout au moins, que savait-on de cet univers oriental ? C’était celui des lieux cachés. Personne n’y avait pénétré. Les écrivains, surtout, les avaient décrits en fonction de quelques bribes recueillies ici et là. Mais aussi en acceptant globalement des légendes comme celle des merveilleuses Mille et Une Nuits, ou des croyances qui circulaient comme des faits réels.
Les grandes mythologies de l’Orient, c'est-à-dire les mythologies assyro- babyloniennes égyptiennes, mais aussi indo-mangole, chinoises, grecque et latines sont mortes. Mais elles font toujours partie d’un univers de la culture cultivée.
Si les mythes sont des représentations d’un imaginaire humain, on peut inverser la proposition en disant que l’univers humain baigne dans les représentations de mythes, qu’ils soient contemporains ou lointains, lointains dans le temps ou lointains dans différents espaces.
Les mythologies continuent cependant à inspirer, qu’elles viennent du profane ou du sacré. Pourtant nul n’a pénétré dans un harem, mais on tente d’en proposer un dévoilement, comme Ingres le fait pour Le Bain turc à condition bien sûr, de rester dans la limite de l’admis.
[...]
1 Coco Carla, Harem, l’Orient amoureux, Mengès, Paris, 1997. P126
2 Victor Hugo, préface de la première édition des Orientales, janvier 1829, voir : « Les Orientales», édition critique, par Élisabeth Barineau, Paris, Librairie Marcel Didier, 1954 ; t. I, p. 10-11.
3 Colette Dumas / Nathalie Bertrand ; Femmes d’Orient-Femmes d’Occident. L’harmattan, 2007. P83
4 Tout au long de sa vie, depuis son apprentissage académique aux dernières années de sa vie, en passant par la révolution cubiste et la période néoclassique, Picasso se nourrit de la peinture du passé. Dans les années cinquante, il peint trois grandes séries de variations d'après des chefs-d’œuvre du passé : Les Femmes d’Alger d’après Delacroix en 1954, Les Menines d’après Velasquez en 1957, Le Déjeuner sur l’herbe d’après Manet en 1960-61, mais aussi, de façon moins systématique, d’après Poussin, David, Le Nain, Courbet…Treize années de sa vie sont dominées par ces variations, qui comportent plus de 250 toiles, sans compter les innombrables dessins et gravures. Lorsqu’il « repeint » les Femmes d’Alger, Picasso change le nombre des personnages, leurs positions, renversant sur le dos la femme assise pour en faire un nu couché et retrouvant ainsi un thème qui lui est familier, celui de la dormeuse et de la femme assise. Tantôt les formes féminines sont toutes en rondeur et arabesque, tantôt il contraint les corps dans des formes rigoureuses et anguleuses. Les deux dernières versions sont très opposées : l’une est en grisaille géométrique et stylisée (version M, 11 février 1955, coll. part.), l’autre déborde de couleurs (version O, 14 février 1955, coll. part). Les harmonies chatoyantes de rouge, bleu et jaune vif sont une concession à l’Orient. Picasso s’en donne à cœur joie, d’une scène d’intérieur secrète et langoureuse, il fait une scène dynamique d’un érotisme agressif et joyeux. La femme du fond se transforme parfois en phallus et se confond avec l’arrondi de la fenêtre mauresque. L’unité, dans cette profusion, est créée par le quadrillage décoratif de céramiques dans lequel s’insèrent les personnages. Cette scène d’intérieur, proche du voyeurisme avec ses femmes nues et le rideau rappelle Le Harem , 1906 et Les Demoiselles d’Avignon , 1907. Elle permet à l’artiste d’étudier l’intégration d’une figure à un fond décoratif. Picasso expérimente sur un motif donné diverses écritures picturales et tire les leçons du simultanéisme issu du cubisme, qui présente les corps à fois de face et de profil. Picasso/Delacroix : Femmes d’Alger http://www.musiquesdumonde.fr/Picasso-Delacroix-Femmes-d-Alger
5 Johanna Rajkumar, Désir de Langage et « Aventures de Lignes »/ Littérature et peinture chez Baudelaire, Hofmannsthal et Michaux. Article tiré du site : http://www.youscribe.com/catalogue/presentations/art-musique-et-cinema/beaux-arts/desir-de- langage-et-aventures-de-lignes-358614
6 Robert Bernard Alter, The Art of Biblical Narrative, 1981, Basic Books, ISBN 0-465-00427-X
7 Jean-Pierre Brodier, L’Odalisque : Ou la représentation de la femme imaginaire, L’Harmattan, Paris, 2005. P129
8 Ibid., p. 15.
9 Coco Carla, Harem, L’Orient amoureux, Mengès, Paris, 1997. P66
10 Jean-Pierre Brodier , L’Odalisque : Ou la représentation de la femme imaginaire, L’Harmattan, Paris, 2005. P21.
11 Fatima Mernissi, Le Harem politique : Le Prophète et les femmes. Edition Albin Michel, 1987. P113
12 http://www.arte.tv/fr/il-etait-une-fois-les-mille-et-une-
13 http://fr.wikipedia.org/wiki/Repr%C3%A9sentation
14 Juliano Caldeira, http://julianocaldeira.com/press/Luxe_Caldeira.pdf
15 Ibid.,
16 Victorine Louise Meurent, parfois épelé Meurend, Meurant ou Meurand, (18 février 1844 - 17 mars 1927) est une artiste peintre française restée célèbre pour avoir été le modèle le plus fréquemment utilisé par le peintre Édouard Manet. http://fr.wikipedia.org/wiki/Victorine_Meurent
17 Jean-Pierre Brodier, L’Odalisque : Ou la représentation de la femme imaginaire, L’Harmattan, Paris, 2005. P44
18 Ibid., p. 45.
19 Ibid., p. 45-46.
20 Mot italien signifiant « forme ronde » et désignant un tableau de forme circulaire très en vogue au XVe siècle en Italie. Le tondo est généralement constitué par un panneau de bois entouré d'un cadre d'assez large dimension qui évoque les guirlandes « à l'antique » entourant la même forme circulaire en sculpture : peinture de la Vierge du Magnificat de Botticelli (1485 env., Offices, Florence) et sculpture de la Vierge à l'Enfant d'Antonio Rossellino pour la tombe du cardinal de Portugal à San Miniato al Monte, à Florence (1460-1466 env ). http://www.universalis.fr/encyclopedie/tondo/
21 Virel André, Histoire de notre image, éd. Du Mont Blanc, Genève 1965, p. 23
22 Paul Ricœur, L’écriture et la représentation du passé, in Magasine littéraire, numéro 330, Sept 2000.
23 La jeune femme du tableau qui n’est autre que Victorine Meurent, est peinte avec un blanc éclatant par opposition à sa servante noire qui est confondue avec le décor sombre, et donc reléguée au statue d’objet. L’accent est clairement mis entre le noir et le blanc
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- Faiza Tali (Author), 2015, Réécriture de la peinture orientaliste dans la trilogie "Sherazade" de Leila Sebbar, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/505874
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